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Maasina


Amadou Hampaté Bâ & Jacques Daget
L'empire peul du Macina (1818-1853)

Paris. Les Nouvelles Editions Africaines.
Editions de l'Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales. 1975. 306 p.


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Chapitre II

Dans toute la boucle du Niger on savait maintenant qu'Amadou Hammadi Boubou était mal vu des chefs et de certains marabouts, notamment de ceux de Dienné. L'antagonisme, qui devenait de jour en jour plus vif, ne pouvait pas manquer de dégénérer en conflit ouvert. Les visées musulmanes d'Amadou Hammadi et de ses partisans étaient par ailleurs présentées avec une telle adresse que tous les croyants, qui désiraient sincèrement voir l'Islam se répandre, ne pouvaient pas ne pas embrasser une cause qui leur paraissait être celle de Dieu lui-même. Les marabouts de Dienné, rongés de jalousie, se concertèrent et demandèrent aux autorités de la ville d'expulser Amadou de Roundé Sirou qui était une propriété des chefs de Dienné.
— Cet Amadou Hammadi Boubou, disaient-ils, grandit chaque jour sous nos yeux et nous assistons impassibles à sa montée. Il est temps encore de freiner son ascension vertigineuse. Quand il sera au faîte, ce ne sera plus un homme de rien, un fétu que l'on peut briser sans danger. Il constituera alors un péril pour tous ceux qui ont un nom et une situation dans le pays.
Le chef de Dienné fit dire à Amadou de déguerpir de Roundé Sirou et de s'en aller comme il était venu avec tous ceux qui tenaient à le suivre. Mais Amadou demanda un délai en raison des intérêts qu'il avait dans le pays.

Entre temps, quelques talibés d'Amadou s'étaient rendus à la foire de Simay 1, un village du Dérari pour y faire des quêtes. Le prince héritier du Macina, Arɗo Guidɓadɓo, fils d'Arɗo Amadou 2, se trouvait là. En voyant passer les élèves d'Amadou, il dit :

Le marabout de Roundé Sirou commence à prendre une importance que je n'aime guère. Que l'on aille retirer de force une couverture à un de ses talibés pour que je m'asseye dessus et signifie par ce geste à Amadou Hammadi Boubou que tant qu'un Arɗo restera vivant sur la terre du Macina et des environs, un « noircisseur de planchettes » ne commandera pas le territoire. Je tiens à ce que Amadou Hammadi Boubou sache que le rôle d'un marabout doit consister à bénir les mariages, laver les morts, baptiser les nouveaux liés et surtout vivre des poignées de nourriture mendiées par-ci par-là, de porte en porte, dans les villages, mais rien de plus.

Les courtisans pourchassèrent les talibés et s'emparèrent de l'un d'eux auquel ils arrachèrent sa couverture après l'avoir fortement malmené. Après la foire, Arɗo Giɗaɗo fit dire à Amadou Hammadi Boubou de quitter au plus tôt Roundé Sirou et de ne s'en prendre qu'à lui-même si des « chevaux » 3 venaient piétiner ses planchettes et ses gourdes de mendiant ambulant.
Amadou, qui depuis huit ans n'avait cessé de travailler à bien disposer les esprits en sa faveur, n'était plus un obscur marabout qu'on pouvait vexer et maltraiter impunément. Il alerta ses partisans et leur demanda de se tenir prêts à toute éventualité. A ceux qui étaient présents à Roundé Sirou il déclara :
— Dieu nous commande de ne plus avoir d'autre maître que Lui. Or voici que Ségou et les Arɓe veulent nous obliger à obéir à leurs idoles et à eux-mêmes. Ils disent qu'ils sont les maîtres du pays, et que celui-ci leur appartiendra tant qu'ils vivront. En vérité la terre n'appartient qu'à Dieu et Il la donne en héritage à qui Il veut.
Puis il prit une lance bénite nya'l'al 4 et en arma un de ses meilleurs talibés, Ali Guidado, originaire de Taga dans le Sébéra 5. Cet homme était un partisan sur. Il avait laissé une immense fortune en bétail, terres et points d'eau, pour se consacrer à Dieu et vivre sous les ordres d'Amadou Hammadi Boubou dont il partageait la vie humble et parfois difficile. Amadou dit à son disciple Ali Guidado :
— Va à la foire de Simay ; fais-toi accompagner de quelques talibés. Tu rencontreras Arɗo Giɗaɗo. Tu lui réclameras de ma part la couverture de mon élève. S'il refuse, tu renouvelleras ta demande jusqu'à trois fois, en invoquant le nom de Dieu et la tradition des honnêtes gens. Tu ne te laisseras effrayer ni par ses cris ni par ses menaces. S'il persiste à ne pas rendre la couverture, tu le transperceras de cette lance : il en mourra.
Ali Guidado se rendit au marché. Il aperçut Arɗo Giɗaɗo étendu sur des couvertures de laine, au milieu de ses courtisans. Il se dirigea vers lui.
— Je viens, dit-il au prince, te prier au nom de mon maître, Amadou Hammadi Boubou, de rendre la couverture de laine que tu as prise de force à l'un de ses talibés, la semaine dernière.
L'Arɗo Giɗaɗo tempêta contre Ali Guidado. Celui-ci, imperturbable, réitéra sa demande une deuxième et une troisième fois. Le prince, vexé de voir un mendiant lui résister avec un tel cran en public, entra dans une fureur noire. Il saisit un sabre et, se levant brusquement, cria de toutes ses forces :
— Ote-toi de ma vue, vite, vite ! Et va dire à ton maître, qui est loin d'être le mien, que je ne rendrai jamais la couverture de son talibé. Je l'ai troquée contre de l'hydromel. Je sais que cela l'irritera, mais sa colère m'importe peu. L'hydromel est une boisson honnie par le Coran, mais elle ne l'est pas par mes ancêtres. Je marcherai sur leurs voies plutôt que sur celle d'un autre. Va dire à ton maître de s'en aller de Roundé Sirou ou...
Et Arɗo Giɗaɗo proféra une injure grossière à l'adresse d'Amadou Hammadi Boubou.
Cet outrage exaspéra Ali Guidado qui se sentit soudainement rempli d'une force surnaturelle, comme Dieu en repartit dans le coeur de ceux qu'il destine à accomplir des actes héroïques ou à subir sans défaillance des épreuves douloureuses. Exécutant jusqu'au bout sa périlleuse mission, il bondit comme une panthère, poussa un cri farouche et transperça Arɗo Giɗaɗo de sa lance.
Le prince reçut le coup dans le bassin, tituba et tomba à la renverse. Les talibés, qui étaient dispersés dans la foire, surveillaient la scène de loin. Pour semer la panique et permettre à Ali Guidado de s'échapper, ils poussèrent des cris de guerre. Les marchands, croyant avoir à faire à une troupe de brigands, se débandèrent. Les courtisans, qui ne pouvaient en croire leurs yeux, furent entraînés et bousculés par la foule prise de panique. Ali Guidado put dévaler la berge, se jeter à la nage dans le marigot de Simay et gagner l'autre rive, imité par tous les talibés. Ils revinrent à Roundé Sirou et y attendirent les conséquences de leur coup.
Le prince Arɗo Giɗaɗo expira le même jour. La nouvelle s'en répandit rapidement. Elle fut commentée de diverse manière selon qu'on était pour ou contre Amadou Hammadi Boubou. Arɗo Amadou, père de la victime, voulait punir le marabout. Il envoya des émissaires auprès de Da, roi de Ségou, de Guéladio, Bayo Boubou HamboDédio, pereedyo du Kounari 6, de Faramoso, roi des Bobo, et de Mousa Koulibali, roi de Monimpé :
« Je demande votre concours, leur fit-il dire ; le noircisseur de planchettes de Roundé Sirou a osé faire assassiner mon fils. Si son acte reste impuni, il grandira aux yeux des habitants de ce pays et aliénera notre prestige à tous. Pis que cela, il nous obligera plus tard à nous prosterner à terre, tels des ânes qui broutent de l'herbe. »
Les notables de Dienné firent dire une deuxième fois à Amadou de quitter Roundé Sirou, car ils ne voulaient pas être confondus avec ses partisans et subir des représailles pour un acte dont ils n'étaient pas complices.

Or l'Arɗo du Sébéra avait promis l'hospitalité à Amadou au cas où il partirait de Roundé Sirou et ne trouverait aucun lieu pour y habiter. Amadou fit demander à l'Arɗo s'il tiendrait encore sa promesse malgré l'incident grave de Simay. L'Arɗo répandit que non loin de sa résidence Soy, existait un lieu dit Noukouma 7, où Amadou pouvait venir s'installer avec les siens, quand et comme il voudrait. Ce dernier fit donc ses préparatifs et quitta Roundé Sirou pour Noukouma, suivi de tous ses talibés et partisans. Quant à ceux qui ne pouvaient le rejoindre en raison de leur éloignement, il leur enjoignit de se tenir prêts à toute éventualité. Le père d'Ali Guidado, effrayé de la tournure que prenaient les événements voulait livrer son fils à Arɗo Amadou pour apaiser celui-ci ; mais l'Arɗo du Sébéra s'y opposa, alléguant qu'Ali Guidado s'était réfugié sur son territoire et que son honneur d'Arɗo lui interdisait de livrer un homme à qui il avait accordé l'hospitalité.
L'expulsion d'Amadou Hammadi Boubou de Roundé Sirou par un ultimatum des notables de Dienné, ville réputée comme un foyer spirituel et une métropole musulmane, fut considérée par les fidèles comme un acte déloyal qui ne fit, contrairement à l'attente des gens de Dienné, qu'attirer de nouvelles sympathies à Amadou. Ce dernier, avec Ousmane et Ismaïla Sankoma d'une part, l'imam Ismaïla de Gomitogo d'autre part, avait acquis le concours des pays suivants : Pondori, Diennéri, Dérari, Sébéra. Mais tant qu'il n'eût pas gagné à sa cause le Fakala, sa situation demeurait précaire.
Amadou avait révisé plusieurs matières avec le grand marabout Alfa Yéro. Il n'avait pas rompu par la suite avec la famille de ce maître. Durant son séjour à Roundé Sirou, il n'avait cessé de faire du bien aux trois fils d'Alfa Yéro : Mamoudou, Bokari et Oumarou le cadet ; tous trois étaient d'éminents marabouts et en même temps des guerriers.
Amadou Hammadi pouvait sans crainte entrer en relation avec eux pour solliciter leur concours. Les trois frères se mirent en campagne à travers le Fakala et le Fémay 8. En tant que conseillers et maîtres spirituels du pays et grâce à une propagande intense, ils réussirent à disposer faborablement les esprits au profit d'Amadou. Mamoudou Alfa Yéro, qui deviendra plus tard cadi du Fakala et portera le titre d'Alqali Fakala, s'adressa personnellement à ses cousins, Alfa Samba Fouta Ba, fondateur du village de Poromani, Amadou Alqali Ba, Almami Abdou Ba, Amadou Daradia Ba ainsi qu'aux notables ci-après dont l'assentiment était indispensable : Abdou Karim Dem, Ibrahima Kamara, Alfa Seydou, Hammadi Ali Foutanké, Amadou Hammadi Koradié, Amadou Alqali, Hafidji Diaba dit Hammadoun Ba et Amadou Diouldé Kannê de Kouna.
« Les fétichistes de toutes races ont pactisé avec les Arɓe et plusieurs armées, dont celle de Ségou, se préparent à attaquer Noukouma. Il faudrait qu'Amadou Hammadi Boubou puisse trouver auprès de nous aide et protection », tels étaient les termes de sa propagande. Les notables ci-dessus désignés jurèrent de défendre Amadou Hammadi Boubou. Ce dernier pouvait dès lors envisager l'avenir avec confiance. Il organisa son école coranique comme un véritable corps de troupe et attendit.
Les fétichistes ont décidé d'attaquer Amadou Hammadi Boubou. Ségou envoie une armée sous le commandement de Diamogo Sèri Diara, dit Fatoma 9. Cette armée passe par Saro, Sakay, Nguêmou, Simay, Saré Malé et vient camper à Mégou. Elle opère sa jonction avec les forces de Faramoso qui, venant de Poromani, ont traversé le Bani à Yomi et occupent le Fémay. Une autre armée bambara, agissant pour le compte de Mousa Koulibali, roi de Monimpé, passe par Moura, traverse le Niger au gué de Bimani et vient prendre position à Sandyira. Guéladio HamboDédio, à la tête de ses troupes, quitte Goundaka, franchit les défilés du Pignari et établit son camp sur la rive droite du Bani, près de Kouma. Quant à Arɗo Amadou, dont le fils a été tué à Simay, il traverse le Niger à Saré Seyni et pénètre dans le nord du Sébéra. Le filet est jeté. Les différentes armées n'ont plus qu'à établir leurs liaisons, resserrer leur étreinte autour de Noukouma et engager l'assaut final. Diamogo Séri Diara assume la direction générale des opérations. L'armée de Monimpé s'avancera en direction de la mare de Pogôna 10 ; Guéladio surveillera les rives du Bani en vue de couper toute retraite vers la montagne, et, s'il est nécessaire, de prendre Noukouma à revers ; le gros des troupes bambara restera dans la région de Dotala et Diamogo Séri lui-même à la tête des meilleurs soldats bambara et bobo attaquera Noukouma. Il établit son quartier général au sud de la mare de Pogôna et donne ses ordres en vue du combat. Ses hommes sont munis d'une bonne quantité de cordes pour ficeler les vaincus comme ballots de poisson sec et les expédier ainsi à Da.
Amadou n'avait dans Noukouma que 1.000 combattants en tout, 40 cavaliers et 960 fantassins. De Pogôna, où se trouve l'ennemi, au village de Noukouma, il n'y a pas plus d'une traite de bon coursier. Aussi les partisans d'Amadou, qui ont leurs biens et leurs familles dans le village, se montrent-ils inquiets. Le gibier, effarouché par l'approche des armées et cherchant où se cacher, s'est réfugié dans le village et jusque dans les cours des cases. A la vue des pauvres bêtes, les femmes elles-mêmes s'affolent. Ne pouvant plus tenir en place, elles saisissent leurs bébés et, portant ceux-ci dans les bras ou le dos, vont trouver Amadou Hammadi Boubou :
— Les bêtes sauvages, disent-elles, se sont jointes à nous dans nos cases et mêlent leurs cris aux nôtres. Nous sommes-nous trompées en te suivant, ô marabout vénérable ? L'esclavage n'est-il pas suspendu sur nos tètes et sur celles de nos époux ? Connaîtrons-nous encore les joies de la vie familiale et les délices de la liberté ? Dis quelque chose, fais quelque chose pour nous. Amadou, imperturbable, répond à cet émouvant appel :
— Rentrez dans vos demeures. Mettez-vous en prière. La victoire est à Dieu, il nous la donnera. Nous sommes tous pour Lui, il sera donc pour nous.
Ces quelques mots rassurent les femmes qui rentrent aussitôt chez elles et se mettent à prier.
Ousmane, le premier allié d'Amadou, vient le trouver et lui dit :
— Les éclaireurs sont revenus : nous sommes cernés. Nous avons à faire face à un ennemi deux cents fois supérieur. Il nous faut résister à cinq armées mieux équipées que nous ne le sommes. Diamogo Séri Diara et Faramoso sont au sud de Pogôna, ils ont au moins 100.000 hommes. Moussa Koulibali est à l'ouest de Pogôna. Guéladio avec ses 130 juuDe 11 a campé à Kouna et nous coupe ainsi toute retraite vers la montagne. Arɗo Amadou, chef du Macina, principal intéressé dans cette affaire, vient de traverser le Niger à Saré Seyni et marche sur nous. Il semble venir très vite.
Amadou réunit ses premiers partisans, au nombre de 81, et leur tient le discours suivant :
— La gloire et la puissance sont à Dieu. Je lis sur vos visages la bonne contenance malgré le danger qui nous menace. Le grand jour est arrivé. Ne vous laissez pas impressionner par le désarroi de vos épouses et la position de l'ennemi qui paraît avantageuse. Ce jour est pour nous un nouveau Bedr. Souvenez-vous de la victoire que notre Prophète remporta sur les idolâtres coalisés. N'a-t-il pas attaqué l'ennemi avec 313 combattants seulement ? Ne remporta-t-il pas une éclatante victoire ? A son exemple, nous attaquerons Diamogo Séri Diara avec 313 hommes prêts à combattre pour Dieu. Vous êtes ici 81, vous, mes premiers partisans. Je vous adjoindrai 231 autres combattants et ainsi, avec moi-même, nous atteindrons le chiffre de 313. Les meilleurs cavaliers monteront les 40 chevaux dont nous disposons, les autres se battront à pied. Un deuxième groupe de 313 hommes ira vers Kouna et interviendra le cas échéant. Un troisième groupe de 313 hommes passera dans le Fakala et s'y tiendra prêt à toute éventualité 12. Les 61 lances qui restent surveilleront les femmes et les enfants. Ali Guidado a fait preuve de courage en portant le premier coup de lance. Nous avons à notre tour à nous élever au-dessus de l'événement qui nous menace et dominer la situation. Soyons fermes et ne disons pas comme les Juifs : « Nul pouvoir à nous, en ce jour, contre Goliath et ses troupes » (II, 250), mais : « Combien souvent bande peu nombreuse a vaincu bande nombreuse avec la permission d'Allah ! Allah est avec les constants (II, 250). »
Les 81 premiers disciples d'Amadou furent profondément remués par ces paroles appuyées de versets coraniques opportuns. Les s'écrièrent d'une seule voix :
— Le jour où tout le monde doit mourir est un jour de fête.
Puis ils récitèrent en chœur le verset coranique suivant :

« Marchant donc sur Goliath et ses troupes. »

Ils s'écrièrent :

« Seigneur ! verse en nous la constance 1 affermis nos talons ! secours-nous contre le peuple infidèle ! (II, 251). »

Amadou ne pouvait qu'être heureux d'un tel enthousiasme. Aussi répondit-il au choeur de ses talibés :

« Ils mirent celui-ci en fuite, avec la permission d'Allah. David tua Goliath. Allah donna à David la royauté et la sagesse et il lui apprit ce qu'Il voulut. Si Allah ne neutralisait pas une partie des Hommes par une autre, la terre serait corrompue. Mais Allah est Détenteur de la Faveur pour le monde (II, 252). »

Amadou, s'adressant à Ousmane, lui dit :
— Tu es mon premier auxiliaire et notre doyen d'âge. Je te donne le commandement de notre armée et le titre d'Amirou Mangal 13.
Puis il ajouta :
— Amirou Mangal, lève les yeux, regarde partout autour de toi et dis-moi quels sont les signes que tu vois.
Amirou Mangal promène son regard aux alentours et dit :
— Certes, je vois partout des indices de notre victoire. Je sens que Dieu est avec nous.
Les 81 commencent à discuter de la tactique à employer quand on annonce un envoyé de Diamogo Séri Diara. Amadou Hammadi donne l'ordre de l'introduire.
— De la part du plus grand des chefs de guerre, Diamogo Séri Diara, envoyé sans rival du roi invincible de Ségou, je viens, dit l'envoyé, dire à Amadou Hammadi Boubou, le marabout peul, de se rendre sans délai et sans palabre et d'envoyer en signe de soumission une quantité de lait suffisante pour nourrir l'armée de Ségou campée au bord de la mare de Pogôna. Dans le cas où Amadou Hammadi Boubou refuserait, Diamogo Séri Diara se verrait dans l'obligation de venir lui-même régler l'affaire. Et alors les vautours auraient certainement l'occasion de se repaître de chair peule.
Amadou, très maître de ses nerfs, répondit presqu'en riant :
— On peut s'emporter contre un messager, on n'a pas le droit de le maltraiter. Sois le bienvenu parmi nous, ô envoyé audacieux. Si tu désirais te restaurer, nous sommes disposés à te servir à manger et à boire.
L'envoyé de Diamogo Séri, qui croyait intimider Amadou par les louanges hyperboliques décernées au chef des armées fétichistes réunies, se refroidit immédiatement .
— Je remercie, dit-il, l'homme peul de son hospitalité, mais je lui conseille de se rendre, car Diamogo Séri Diara et ses alliés disposent de près de 200.000 hommes.
— Nous connaissons l'importance des contingents fétichistes, mais l'armée de Dieu est innombrable. Elle remplit les cieux et la terre. Retourne auprès de Diamogo Séri Diara et dis-lui de ma part ceci : « la coutume des gens de bien oblige le domicilié à offrir l'hospitalité au nouvel arrivant. A ce titre, je recevrai volontiers Diamogo Séri Diara et ses alliés, s'ils y tiennent. Quant à la soumission qu'il me demande, je suis déjà soumis à Dieu et ne peux plus me soumettre à quelqu'un d'autre. Que Diamogo Séri Diara ne se lie pas trop à ses forces matérielles. Guéladio, campé à Kouna, n'y tiendra pas longtemps. En cas d'action, Arɗo Amadou, qui patrouille dans la région de Ngomi, sera culbuté dans le Niger au premier choc. Quant à Faramoso, Moussa Koulibali et Diamogo Séri Diarra lui-même, je déclare : notre prise de contact ne dépendra que d'eux-mêmes. »
L'émissaire fut très étonné de tant d'assurance. Amadou Hammadi Boubou lui parut être le plus grand de tous les monarques soudanais, entouré par 81 chefs de guerre, dignes, disciplinés, graves et bien vêtus. L'envoyé demande la permission de se retirer et Amadou le fait accompagner jusqu'à la sortie du village.
Diamago Séri voyant revenir son messager lui demande :
— Alors, le Peul distingue-t-il le jour de la nuit ?
— Diara, dit l'émissaire, j'ai vu l'homme peul. Ce n'est pas un rien du tout. C'est un ennemi décidé qui sait où il va. Diara, le proverbe dit : « une grande affaire mal dirigée et une petite affaire dirigée par plusieurs sont également vouées à l'échec. Tous les partisans d'Amadou Hammadi sont groupés autour de lui à Noukouma et s'il est un chef obéi, il peut se vanter de l'être. »

Immédiatement après le départ de l'envoyé de Diamogo Séri, Amadou Hammadi convoque son comité de jurisconsulte et son conseil de guerre. Il expose aux deux commissions :
— J'ai à coeur de vous révéler que notre situation actuelle est juridiquement fausse. Nous ne pouvons attaquer les Bambara au titre de guerre sainte. La loi stipule en effet que des musulmans ne pourront valablement lever l'étendard de la guerre sainte sans que soient remplies les trois conditions préalables suivantes :

  1. Etre opprimés par les incroyants.
  2. Avoir à leur tète un Koréichite.
  3. Atteindre par le nombre au moins la moitié des incroyants.

Les deux dernières conditions ne sont pas remplies. Notre situation par rapport à La Mekke ne nous permet pas de faire appel à un Koréichite. D'autre part, s'il nous fallait attendre que notre nombre atteigne la moitié de celui des fétichistes, nous attendrions peut-être toute notre vie. J'ai envoyé deux exprès, Bokari Hammadi 14 et Hammadi Diouldé, au grand cheik Ousmane dan Fodio, qui a levé l'étendard de la guerre sainte dans le Haoussa. Il ne l'a certainement pas fait sans s'être entouré des garanties nécessaires. Je lui ai demandé une consultation juridique. Il pourrait patronner notre action. Mes envoyés ne sont pas de retour et voici que l'ennemi est venu nous assiéger. Que faire ?
Le conseil de guerre, dont Ousmane dit Amirou Mangal est le chef, donne la parole aux jurisconsultes. Les marabouts se retirent un instant, délibèrent et reviennent. Ils donnent la parole au plus âgé et au plus instruit en droit musulman qui déclare :
— Attendre le retour de Bokari Hammadi et Hammadi Diouldé, envoyés à Wourna dans le Haoussa, c'est nous exposer à être pris par les fétichistes. Si, comme l'a dit Amadou Hammadi Boubou, nous ne pouvons valablement déclarer une guerre sainte, nous pouvons invoquer la légitime défense et nous serons conformes à la raison et à la loi.
Ainsi les Peuls venaient de décider la guerre.
Le lendemain matin, un cavalier vient de la part de Diamogo Séri prévenir les Peuls d'avoir à se tenir prêts. Il va attaquer et ne voudrait pas que l'on puisse dire que lui, noble envoyé du roi de Ségou, a pris Noukouma par surprise. C'était un vendredi. Après la grande prière, Amadou annonce que l'on sera demain aux prises avec l'ennemi. Il sort une flèche de son carquois et la bénit, puis demande :
— Qui voudra, au prix de sa vie, tirer demain cette flèche qui doit être la première décochée contre l'ennemi ?
Personne ne répond. Amadou réitère sa question une deuxième, puis une troisième fois. Alors Abdou Salam Traoré, un Mossi venu du Yatenga, sort des rangs et dit :
— Manier l'arc est affaire des gens de ma race. Je me charge de tirer cette flèche.
Puis se tournant vers la foule, il ajoute :
— Je vais donner ma vie à Dieu. Je vous demande de vous conduire demain en sorte que mon sacrifice ne soit pas vain et de témoigner au jour de la résurrection que j'ai marché bravement vers la mort pour plaire à Dieu et faire triompher sa cause.
Le lendemain samedi 13 djomada 1er 1233 (21 mars 1818), les 313 combattants désignés pour faire face aux armées de Diamogo Séri Diara, Moussa Koulibali et Faramosa, sortent en bon ordre. Un drapeau improvisé, fait d'un pagne blanc de bandes de coton, est confié à Bori Hamsala 15. Diamogo Séri, voyant venir les cavaliers peuls, ordonne de les arrêter par un feu de salve. Les fusiliers bambara pointent leurs armes. Une détonation retentit et ébranle l'atmosphère. Amadou Hammadi Boubou s'écrie :
— Les fétiches ont tremblé 16. Abdou Salam, cours vers l'ennemi et décoche-lui ta flèche.
Abdou Salam s'approche à bonne portée et lance la flèche avec la force voulue. Mais au lieu d'atteindre le but visé, elle dévie et va frapper le tambour de guerre. Au même instant, un coup parti des rangs bambara frappe Abdou Salam, qui tombe à la renverse en criant : « Lâ ilâha illa Allah... 17 » et expire aussitôt.
Les fantassins de Noukouma, qui attendaient face à l'ennemi, se précipitent et la mêlée devient générale. Malgré l'action engagée, le corps d'Abdou Salam est relevé et quelques hommes se chargent de l'inhumer au milieu du sifflement des balles et des vociférations des combattants. Ce geste impressionna beaucoup les Bambara. Les 40 cavaliers, ayant repéré le campement de Diamogo Sêri, foncent dessus pour l'enlever. Ce que voyant, Diamogo Séri ordonne au plus vite de déplacer son camp. Les soldats bambara croient que l'ordre de repli est donné et commencent à décrocher, poursuivis la lance dans les reins par les Peuls. L'unité bambara dite Banankoro bolo, commandée par le fameux Gonblé, avait soutenu le choc des Peuls malgré des pertes sévères 18. Gonblé, furieux de voir les Bambara battre en retraite sur ce qu'il pensait être un ordre de Fatoma, crut à une trahison. Il descend de son cheval, armé d'une chaîne de fer hérissée de pointes, et fait face aux Peuls en proférant à leur adresse ces paroles de mépris :
— Ohé, singes rouges 19, il ne sera pas dit à la cour du « Maître des eaux » que ma longue queue de « Cynocéphale roux» a balayé la poussière derrière moi pour effacer des traces de fuyard. Les troupes qui m'abandonnent iront porter la nouvelle de ma mort et non celle de ma fuite. Depuis quand des singes rouges se mesurent-elles à des cynocéphales ?
Ivre de rage et aveuglé par la honte d'une défaite, Gonblé se jette contre les lances peules. Au moment où il lève la main pour frapper le premier adversaire à sa portée, un bantuure 20 adroitement lancé par un inconnu lui pénètre dans la poitrine et lui perfore le poumon gauche. Gonblé tombe à la renverse en jurant :
— Monè kasa ! 21
Il meurt sans connaître l'issue du combat.
Diamogo Séri, voyant ses troupes lâcher pied et refluer en désordre, comprend un peu tard qu'en donnant l'ordre de déplacer son camp il a commis une manoeuvre maladroite qui lui coûtera la bataille de Noukouma et même la guerre contre Amadou Hammadi Boubou. Les Bambara, contournant la mare de Pogôna, fuient jusqu'à Yêri où Diamogo Séri réussit à regrouper ses soldats et à reconstituer ses forces. Mais au lieu de marcher sur Noukouma qu'il pouvait prendre facilement, il emploie toute son armée à édifier des retranchements. Les Peuls avaient
rompu le combat dès qu'ils avaient eu la certitude que l'avantage de la journée leur resterait acquis.
La nouvelle de l'échec de Diamogo Séri découragea les troupes peules d'Arɗo Amadou et de Guéladio qui comptaient sur les Bambara pour combattre leurs frères de race. Arɗo Amadou retraverse le Niger et rentre dans le Macina ; Guéladio décampe de Kouna et regagne Goundaka. Quant à Faramoso, il abandonne ses alliés et se réfugie dans le Saro. La situation ne pouvait être plus favorable à Amadou Hammadi Boubou. Tous ceux qui avaient eu peur de se joindre à lui, rallient alors ses rangs. C'est ainsi que parmi bien d'autres, on nota l'arrivée de :

En quelques jours le nombre des combattants de Noukouma passe de 1.000 à plus de 40.000. Amadou a maintenant sous ses ordres les populations du Diennéri, du Sébéra, du Mourari, du Dérari, du Fakala, du Pendori, du Sogonnari, du Fémay 24. Tandis que les troupes bambara et bobo, démoralisées par l'inaction, commencent à se débander et que Diamogo Séri Diara continue à fortifier ses positions de Yéri, l'enthousiasme grandit à Noukouma.
Trois chefs de guerre de l'armée bambara trahissent Diamogo Séri et viennent se soumettre à Amadou. Pour éprouver leur sincérité il leur est demandé de se convertir à l'islamisme et de livrer un secret militaire.
Les trois déserteurs donnent aux Peuls 300 chevaux qu'ils avaient amenés avec eux et fournissent des renseignements précis sur un dépôt considérable de munitions et de provisions caché par l'armée de Ségou dans la région de Dotala. Les Bambara convertis sont dirigés sur Toumadiomon 25, dans le Fakala, en attendant d'avoir la certitude de leur fidélité. Amadou Hammadi, qui avait bloqué Yéri, fait annoncer à Diamogo Séri que trois grands chefs bambara ont embrassé l'islamisme, qu'ils apprennent actuellement à prier Dieu à Toumadiomon, et que lui-même ne doit pas compter sur le dépôt de vivres et de munitions qu'il avait caché dans le Fémay.
Ayant appris que Diamogo Séri était à Yéri, des Peuls décidèrent de ramener leurs troupeaux pour les mettre sous la protection d'Amadou, certains qu'ils étaient de trouver de l'eau à Pogôna. Les bœufs de Hammadi Ali Sangaré de Ngoumoy arrivèrent les premiers en vue de Yéri.
Diamogo Séri, voyant s'approcher un nuage de poussière, crut que c'était une armée qui venait l'attaquer, il sortit avec ses troupes et ayant constaté sa méprise, voulut profiter de l'occasion pour se ravitailler en viande fraîche. Il donne l'ordre de tuer quelques têtes de bétail. Les bambara, ignorant que les bœufs chargent en entendant crier, tirent quelques coups de fusil et se mettent à vociférer. Les boeufs chargent et, pour se défendre, les Bambara épuisent leurs munitions. Les Peuls qui avaient suivi la scène de loin et excité leurs bêtes, voyant l'ennemi sorti de ses retranchements, bousculé et à court de munitions, en profitent pour l'attaquer à l'arme blanche. Diamogo Séri se défend vaillamment mais succombe les armes à la main, et son armée se débande. Cette seconde victoire peule eut lieu le lundi 6 djomada 2e 1233 (13 avril 1818).
Amadou Hammadi pouvait alors se retourner contre les restes de l'année bambara et bobo toujours dans le Fémay. Fort des renseignements fournis par les trois déserteurs, le 22 djomada 2e 1233 (28 avril 1818), il attaque Dotala et remporte une victoire facile. Enfin, une colonne envoyée à la poursuite de Faramoso dans le Saro eut un engagement heureux le 6 redjeb 1233 (12 mai 1818). Ainsi en moins de deux mois (21 mars-12 mai 1818) Amadou Hammadi avait vaincu complètement la coalition montée contre lui et qui semblait devoir l'écraser facilement à Noukouma.

Après la défaite des Bambara, Amadou partagea le butin entre tous les combattants et conformément aux règles établies par la Charia 26. En outre, il déclara libre tout dimaaDo qui avait pris part à l'attaque du samedi 13 djornada 1er. Il racheta lui-même ceux que leurs maîtres refusaient de libérer. Sous le nom de « samedi initial » Amadou comprit la semaine du 13 au 20 djomada 1er et il accorda à tous ceux qui avaient rallié sa cause durant cette période les mêmes droits qu'à ceux ayant participé à l'engagement de Noukouma. Pour les marabouts, ces droits consistaient principalement à faire partie du grand conseil. Tous les postes de commandement ou honorifiques furent par la suite attribués de préférence à des hommes qui se trouvaient aux côtés d'Amadou lors du « samedi initial ». L'an 1 de la Dina est également compté à partir du 13 djomada 1er, considéré comme jour de la prise du pouvoir par Amadou.

Cependant, les deux émissaires envoyés dans le Haoussa, après des difficultés qui se devinent, avaient réussi à toucher le cheik Ousmane Dan Fodio, quelques jours avant l'affaire de Noukouma. Le samedi où Amadou Hammadi Boubou et Diamogo Séri furent aux prises, Ousmane Dan Fodio aurait dit :
— Aujourd'hui même, Amadou Hammadi Boubou a été obligé d'allumer le feu et de faire parler la poudre. Il croit avoir fait une guerre de légitime défense, faute de savoir s'il était en droit de lever l'étendard de la guerre sainte. Or, il est parfaitement en règle. La guerre qu'il vient de déclarer est sainte. Je vais lui donner une fetwa et des étendards que je bénirai à raison d'un par pays à soumettre 27.
Le cheik invita alors les deux envoyés à lui citer tous les pays fétichistes à conquérir. Bokari Hammadi, en tant que chef de la mission prit la parole. Il cita tous les pays fétichistes environnant le Macina en omettant, car telle était la volonté divine, le Mossi et le Saro. Ousmane Dan Fodio bénit autant de drapeaux que de pays cités, plus un grand pour la capitale. Au moment de la remise des étendards, Bokari Hammadi s'aperçut de son oubli et s'écria :
— Cheik, j'ai omis de citer le Mossi et le Saro.
Le saint homme répliqua :
— Ces pays ne seront pas soumis au Macina. A partir de ce jour, ajouta-t-il, Amadou Hammadi Boubou est cheik. Il portera le titre religieux de Cheikou Amadou.

Bokari Hammadi et Hammadi Diouldé, chargés de nombreux étendards et porteurs de la bonne nouvelle, partirent pour le Macina en doublant les étapes.

La victoire d'Amadou Hammadi Boubou avait été si brillante et si rapide que l'imagination populaire, toujours avide de merveilleux, devait l'attribuer à une intervention directe de Dieu. De là l'origine de certaines légendes concernant divers épisodes de la lutte contre les Bambara.

Les partisans d'Amadou lui auraient demandé :
— Quels vont être les faits surnaturels qui nous assureront que Dieu est avec nous et qu'Il nous assistera dans le combat ?
— Dieu, qu'Il soit glorifié comme Il le mérite, aurait répondu Amadou, donne aux hommes qu'il choisit pour réaliser ses desseins, un secret merveilleux. Ce secret, émanant du « grand nom divin caché » permet à l'élu d'opérer des miracles. C'est grâce à un tel secret que Salomon, fils de David, asservit les « Diws », lesquels avaient sur son ordre coupé un morceau d'une colline et en avaient fait une marmite gigantesque pour y faire cuire les repas de son armée ; que Moïse fendit la Mer Rouge en deux pour laisser passer les Hébreux ; que Jonas survécut dans les entrailles ténébreuses de la baleine ; que chacun de nos vingt-cinq principaux prophètes put opérer des miracles en vue de convaincre son peuple. Souvenez-vous que notre Prophète Mohammed, dont je suis l'héritier spirituel, en entrant à La Mekke à la tète de son armée triomphante, était précédé d'un drapeau sur lequel était figuré un lion. Une brise soulevée par les vertus cachées du « grand nom » déployait le drapeau et le lien s'animait en prenant des proportions gigantesques au point de mettre l'ennemi en fuite. Quant à nous, nous verrons au cours du combat un ouragan se lever avec la permission d'Allah. Une trombe déplacera une muraille de poussière entre ciel et terre. Une tornade sèche fera pleuvoir sur nos ennemis des armes inconnues jusqu'à présent dans nos contrées. »

Alfa Samba de Ténenkou a laissé une tradition affirmant que, au moment où les Peuls et les Bambara furent aux prises, Dieu fit tomber du ciel des têtes de bœufs. Elles venaient se ficher par les cornes dans le dos des ennemis. Ceux qui étaient touchés par ces merveilleux projectiles se trouvaient projetés au loin et disparaissaient ans vie dans les entrailles de la terre 28.
Le génie chef de guerre, affecté à Amadou Hammadi Boubou, est nommé Suturaare ou Ali Soutoura 29. Il avait par avance mobilisé une armée invisible et lui avait fait prendre position à Noukouma. Un artisan d'Amadou, s'étant écarté de ses compagnons après la prière du
vendredi veille de l'attaque voulut couper avec sa faucille une touffe de vétiver. L'herbe lui dit :
Respecte-moi, je suis un allié, mobilisé pour combattre dans les rangs d'Amadou Hammadi Boubou.

Un autre se rendit au bord de l'eau, il y vit un gros poisson qui en poursuivait un plus petit. Il entendit ce dernier dire à son poursuivant :
— Laisse-moi, je suis un combattant d'Amadou Hammadi Boubou.
Ainsi sont délaissées les traditions véridiques au profit de récits accrédités par des informateurs de bonne foi.

Notes
1. Le Dérari est la région située au sud du Niger et au nord de Dienné. Simay (Soumou de la carte) est un gros village sur le marigot qui va de Kounkourou à Dienné. Le marché se tenait en bordure du marigot entre les quartiers bozo et bambara. On voit encore le Diospyros sous lequel Arɗo Giɗaɗo venait s'asseoir avec ses courtisans.
2. En réalité, le chef du Macina était Arɗo Ngourori, qui portait le titre de 'arɗo mawDo et était à l'époque vassal du roi de Ségou, Da. Mais un devin ayant prédit que la dynastie des Arɓe du Macina s'éteindrait le jour où homme nommé Ngourori exercerait le pouvoir, Arɗo Ngourori avait été écarté et c'est son cousin Amadou, Arɗo du Mourari, qui exerçait une sorte de régence. Il se faisait souvent remplacer par son fils, le jeune et turbulent Arɗo Giɗaɗo. C'est ce dernier qui allait à Simay percevoir les droits de marché dus à son père. Arɗo Amadou résidait habituellement à Samay, lieu situé entre l'actuel Wouro Modi et le fleuve.
3. Les Peuls combattaient toujours à cheval et la cavalerie peule était redoutable dans les combats. En termes militaires, puCCu (plur. puCCi), cheval, désigne à la fois la monture et le cavalier.
4. nyal'l'al , sorte de lance dont le fer porte des barbelures.
5. Arɗo Giɗaɗo était un Pereedyo (voir note suivante). Les deux principaux villages habités par sa famille était Tagu, 3 kilomètres sud-ouest de Soy, et Saare Guida, 14 kilomètres sud de Mopti. Après son avènement Cheikou Amadou lui donne des terres et des points d'eau en plus de ceux que sa famille possédait déjà.
6. Arɗo est le titre qui s'applique à un guerrier originaire du clan Diallo, Pereedyo à est le titre équivalant s'appliquant à un guerrier du élan Sidibé. Gueladio est souvent, mais à tort, appelé Arɗo du Kounari.
7. Le Sébera est la région comprise entre le Niger et le Bani. Noukouma se trouvait au sud-est de Soy, et à proximité immédiate de ce village, à 30 kilomètres sud-sud-ouest de Mopti.
8. Le Fakala est la région située sur la rive droite du Bani et qui touche au pays bobo. Le Fémay est situé sur la rive gauche, entre le Pondori à l'ouest, et le Sébéra à l'est.
9. Fa toma signifie en bambara : homonyme de père ; c'est un terme de respect. En réalité, Da envoyait son armée faire une expédition dans le Farimaké et avait chargé son général Diamogo Séri de régler en passant l'affaire d'Amadou Hammadi Boubou.
10. Pogôna, nom de la grande mare à l'est de Say et Noukouma.
11. Jungo (pl. juuDe), groupe de cavaliers ou de fantassins, en nombre indéterminé et à la tête desquels se trouve un chef de guerre.
12. L'utilité de ce groupe, dont il n'est plus question par la suite, n'apparaît pas clairement étant donné que le Fakala se trouve à l'arrière de la zone des opérations. Peut-être était-il destiné à rallier et soutenir les partisans des frères Ba et à protéger les animaux qui à cette époque de l'année (mois de mars) devaient pâturer dans le Fakala.
13. Amiiru, chef et ma'ngal, grand.
14. Bokari ou Aboubakar Hammadi, frère d'Amadou et père de Ba Lobbo.
15. Bori Hamsala deviendra plus tard Amirou dit Macina.
16. On a vu plus haut comment Amadou avait béni la première flèche à tirer. De la part des fétichistes, la première charge était toujours l'objet de pratiques magiques et son effet pouvait être interprété par les initiés. Ici, l'ébranlement consécutif à la première décharge est interprété par Amadou comme le tremblement des fétiches de Ségou, présage de leur perte.
17. « Il n'y a de Dieu qu'Allah... » , début de la chahâda ou formule de foi.
18. L'armée bambara était composée d'unités dites bolo. Celles portant le nom de Banãkoro bolo était commandée parGõ Ble, Cynocéphale roux. Elle aurait perdu à Noukouma 851 hommes. Ce chiffre paraît excessif.
19. Les Peuls sent toujours qualifiés de « rouges ». Ici, Gonblé compare ses adversaires à des singes rouges (Cercopithecus patas) beaucoup plus petits et moins agressifs que les Cynocéphales. Dyi tigi, maître des eaux était un des titres de Da, roi de Ségou.
20. Bãtuure, sorte de lance dont le fer est muni de barbelures, les unes dirigées vers l'avant, les autres vers l'arrière.
21. Monè, affront déshonneur, kasa, mauvaise odeur.
22. Wouro ardo Toggé, région sur le Diaki au nord du Tyoubbi (voir chap. 1, note 2, p. 21). Penkenna (Pikana de la carte) est un village sur le Diaka, à 18 kilomètres nord-est de Ténenkou.
23. Dalla est la région de Douentza. L'armée de Babel Kassoum, composée de 231 fantassins et 9 cavaliers, semait la terreur dans les falaises de la région de Hombori, Douentza et Bandiagara. Elle était réputée pour n'avoir jamais reculé au cours d'un combat, d'où le nom qui lui était donné nãna : avance, nanga : prends.
24. La position du Pondori, du Dérari, du Sébéri, du Fakala et du Fémay a déjà été indiquée (voir chap. 1. note 1 p. 25 et chap. II. notes 1 p. 29. 2 p. 31 et 1 p. 32). Le Mourari et le Sogonnari se trouvent sur la rive gauche du Niger, au nord du Dérari, le Mourari à l'est, le Sogonnari à l'ouest.
25. Toumadiomon (Toumadiama de la carte) village à 25 kilomètres sud-est de Dienné.
26. Charia, droit canonique,
27. Ainsi d'après la tradition du Macina, le sultan de Sokoto, Ousmane Dan Fodio, était vivant le 21 man 1818. Son successeur Bello n'avait pas le droit de fetwa ou décision Juridique, ni celui de bénir des étendards. Or l'année 1817 est celle donnée par les auteurs pour la mort d'Ousmane Dan Fodio. Il y a à un point de chronologie difficile à résoudre.
28. Cette légende rappelle vaguement le miracle des oiseaux « Ababil ». Allah, dit le Coran, (CV) anéantit l'expédition qui menaçait la Kaaba grâce à une troupe d'oiseaux armés de pierres chauffées dans l'enfer.
29. Suturaare vient du verbe suutude ou suftude qui signifie sortir de, élever haut, protéger. Suturaare signifie : qui tire d'une position difficile, qui élève en dignité et qui protège. Ali est le prénom du valeureux gendre de Mohammed, l'un des braves parmi les guerriers musulmans au point d'avoir été appelé « lion de Dieu » et « sabre de Dieu ». Ali est ici votif, on souhaiterait que Suturaare soit aussi intrépide qu'Ali. Ali Suturaare est souvent contracté en Ali Sutura (voir chap. 1, note p. 19).

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