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Maasina


Amadou Hampaté Bâ & Jacques Daget
L'empire peul du Macina (1818-1853)

Paris. Les Nouvelles Editions Africaines.
Editions de l'Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales. 1975. 306 p.


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Chapitre III

Guéladio, rentré à Goundaka, réunit ses conseillers. Il les interroge sur l'attitude à prendre vis-à-vis de Cheikou Amadou dont la fortune grandissante menace la suprématie de tous ceux qui sont chefs et notamment des Arɓe. Ousmane HamboDédio, frère puîné de Guéladio, dit :
— Je n'ai jamais eu peur d'un guerrier et je suis tout disposé à mourir pour défendre mon frère et le renom de notre famille. Mais je conseille à mon frère de ne pas s'opposer au marabout. C'est un foudre de guerre que Dieu envoie dans ce pays. Il faut aller nous soumettre, non pas à lui, mais à Dieu, et déposer notre soumission entre ses mains. Ainsi nous éviterons la guerre et garderons notre commandement.
Tous les hommes sages du Kounari sont de l'avis d'Ousmane HamboDédio. Mais Guéladio, qui n'avait jamais eu d'autre maître que lui-même, ne pouvait se résoudre facilement à accepter la préséance d'un autre, surtout celle d'un simple « noircisseur de planchettes ». Durant trois mois, il résiste aux avis pressants des gens du Kounari. Enfin, devant l'attitude équivoque de ses cavaliers et de ses meilleurs amis, Guéladio dépêche discrètement un homme auprès du diawanDo Bouréma Khalilou 1 pour lui demander avis. Bouréma Khalilou conseille la soumission dans le plus bref délai possible. Guéladio se rend alors à Noukouma, se soumet et professe la foi musulmane.
Cheikou Amadou, selon son habitude, dit à Guéladio au cours d'une audience privée :
— Pour me prouver la sincérité de ta conversion, donne-moi un conseil. La guerre étant l'affaire des Arɓe plus que celle des marabouts, je voudrais que ton conseil soit d'ordre militaire.
Guéladio, répondit :
— Tu vas auparavant prier Allah de ne jamais m'abandonner à la merci d'un de mes ennemis.
Cheikou Amadou, ne saisissant pas l'astuce de cette demande 2 et sans aucune arrière-pensée, formule une prière dans le sens souhaité par Guéladio.
— Merci, lui dit ce dernier. Maintenant je vais, en toute tranquillité et de bon coeur, te donner quelques conseils :

  1. Tu transféreras ta capitale de Noukouma en un lieu hors de la zone d'inondation. Noukouma pourrait être facilement assiégé durant les hautes eaux.
    — Connaîtrais-tu un emplacement qui conviendrait à la fondation d'une grande ville qui serait la capitale de la Dina ?
    — Oui. Entre Sofara et Taykiri 3 s'étend une vaste plaine, environnée de collines, qui conviendrait parfaitement. La ville pourrait être fortifiée et les hauteurs qui l'entourent utilisées comme postes de guet.
  2. Il faut autant que possible construire en pisé et supprimer progressivement les paillottes. Quelques cavaliers décidés, armés de tisons ardents, peuvent ruiner un vaste territoire dont les cases sont faites de paille 4.
  3. Tu élèveras des juments afin d'assurer à peu de frais la remonte d'une puissante cavalerie.
  4. Tu encourageras l'agriculture en prenant la défense des travailleurs des champs. Cette politique assurera à ton état de bonnes récoltes et le prémunira contre le redoutable fléau qu'est la famine.
  5. Tu ne feras rien sans l'assentiment des notables de ton pays. En politique, mieux vaut suivre une fausse route les ayant avec toi que t'engager dans un bon chemin les ayant contre toi.
  6. Tu choisiras comme favori un captif qui mourra sans trahir et se fera tuer pour te sauver.
  7. Tu prendras un maabo 5 comme confident intime. Un maabo pur sang ne vend jamais un secret confié.
  8. Tu feras traiter tes affaires par un DiawanDo. Le DiawanDo gâche tout projet formé sans lui, mais il a honte de voir échouer un plan qu'il a dressé lui-même.
  9. Il faut aimer la fortune et ne pas la dissiper comme tu le fais.

Ce dernier conseil déplut à Cheikou Amadou.
— Pourquoi veux-tu que je thésaurise ? dit-il à Guéladio. Ne sais-tu pas que les biens de ce monde sont périssables et qu'inévitablement il faut, au seuil de la tombe, renoncer à toutes les richesses amassées durant la vie ?
— Je ne t'ai pas dit, reprit Guéladio, de rechercher la fortune pour toi-même. Mais tu veux fonder une Dina. Elle ne peut prospérer que si tu gagnes les hommes à ta cause et si tu les retiens près de toi.
— Certes oui, concéda Cheikou Amadou.
— Or, les hommes aiment l'argent, continua Guéladio. Même ceux qui ne l'adorent pas ne peuvent s'en passer. Il te faut donc amasser une fortune, non pas pour ton plaisir, mais pour attirer les hommes dont tu auras besoin. Tu as gagné des batailles, mais ta victoire ne sera définitive et ta domination affermie qu'autant que tu auras des biens à répandre autour de toi. Mon père HamboDédio avait coutume de dire : « donnez-moi de la fortune et je ferai de la terre ce que vous voulez qu'elle soit. S'il a réussi à épouser la fille de Da Monson, c'est que son or avait lesté les langues qui auraient pu dire non.
— Tu as raison, dit Cheikou Amadou. La Dina aura son trésor, mais moi, j'ai fait voeu de pauvreté.

Parmi les conseils pratiques donnés par Guéladio, figurait le déplacement de la capitale de la Dina. Le lieu indiqué, dit Koyam, était situé en bordure de la zone d'inondation, à distance raisonnable du fleuve, la grande voie de pénétration et d'échange du Soudan reliant Tombouctou à Dienné, et au pied des escarpements rocheux du Kounari, qui constituent d'excellents retranchements naturels. Cheikou Amadou soumit le projet au grand conseil qui l'adopta. Des notables furent envoyés sur place pour examiner le terrain et arrêter le plan des constructions. L'emplacement dit Koyam et celui dit Perrel Tuppe 6, contigu au précédent, furent défrichés. Deux mille concessions furent accordées à des chefs de famille désirant s'installer dans la nouvelle ville, dont le centre avait été réservé pour la mosquée et la concession de Cheikou Amadou lui-même.
Alfa Souleymane, un marabout influent, vint trouver Cheikou Amadou et lui dit :
— Donne-moi un terrain près de la mosquée.
— Non, répondit Cheikou Amadou, tous les marabouts habiteront, autant que possible, loin de la mosquée. Un berger se tient toujours derrière son troupeau. Ainsi, en sortant de chez eux pour répondre à l'appel du muezzin, les marabouts appelleront eux-mêmes à la prière leurs brebis éparses dans la ville et les conduiront à la mosquée.
La distribution des terrains eut lieu un lundi, qui compte comme date de la fondation de la ville 7. Le même jour fut commencée la construction de la mosquée, à laquelle tous participèrent. Lorsqu'elle fut terminée, les marabouts s'y réunirent pour rendre grâce à Dieu et lui demander de rendre la ville prospère. Puis sur leur instance, Cheikou Amadou formula la prière de clôture : « O mon Dieu, dit-il en soulevant le pel'l'al de la Dina 8, nous avons fondé cette ville avec un bâton, symbole de la justice. Nous l'appellerons Hamdallay 9. Je te demande de la faire prospérer autant que la justice et la religion y seront honorées.
— Cheik, votre prière n'a pas été très généreuse, murmurèrent les marabouts. Vous auriez du demander à Dieu le pardon des offenses qui lui seraient faites dans la ville.
La construction de Hamdallay dura trois ans. Lorsqu'elle fut suffisamment avancée, le grand conseil envoya des lettres circulaires, sous la signature de Cheikou Amadou, enjoignant à tous les propriétaires de pirogues du Pondori, Diennéri, Mourari, etc., d'envoyer leurs embarcations pour le transfert des habitants du village de Noukouma et de leurs biens. Un exemplaire de ces lettres parvint à Tékétya et fut lu à la mosquée 10. Après en avoir examiné les termes, El Hadj Amadou déclara seulement :
— Que personne ne bouge. Cette circulaire manque de précision. Je vais demander des éclaircissements à qui de droit.
El Hadj Amadou était de ceux qui pouvaient discuter les ordres donnés par Cheikou Amadou ou son grand conseil. Il se rendit à Noukouma et se fit annoncer. Cheikou Amadou était précisément entouré de ses conseillers. Il se leva pour introduire le visiteur puis, ayant regagné sa place, il dit à El Hadj Amadou :
— Quelle est la raison qui nous vaut ton honorable visite ?
Sans répondre directement, l'interpellé salua les membres du conseil par la formule sacramentelle islamique : « Assalam aleykum » 11. Puis, contrairement à la coutume et s'adressant à Cheikou Amadou, il lança :
— Diara Dikko !
Cheikou Amadou remonta le bord de son turban 12 pour masquer son rire amusé.
— Et qu'est-ce qui me vaut ces noms que je n'ai ni adoptés ni reçus de mon père ? dit-il.
— Ta façon d'agir qui est celle d'un tyran. Ta lettre circulaire est digne d'un chef Diara ou Dikko qui donne des ordres sans tenir compte du droit des gens. Elle est en contradiction avec la loi de Dieu. En effet, elle ordonne à tout propriétaire de pirogue d'envoyer son embarcation de gré ou de force. Or le transfert de Noukouma à Koyam est une affaire qui ne te donne pas le droit de réquisition. Il faut aviser les intéressés que d'importants moyens de transport seront nécessaires et que tout propriétaire désireux de gagner de l'argent est prié d'envoyer sa pirogue à Noukouma. Chaque chef de famille possédant des biens paiera pour le transport des siens. Les familles besogneuses seront transférées aux frais de la Dina.
Cheikou Amadou dit aux doyens du conseil :
— Je vous demande d'envoyer un rectificatif à tous les villages pour dire que les propriétaires de pirogues ne sont pas réquisitionnés, mais libres de venir s'il leur plaît, et qu'ils seront payés pour le service rendu.
El Hadj Amadou, fort content d'avoir fait rapporter une décision qui constituait une entorse au droit, remercia Cheikou Amadou et s'en retourna à Tékétya.
Quelques notables, parmi ceux qui tenaient à ne pas supporter les frais de leur déménagement, vinrent trouver Cheikou Amadou et lui dirent :
— Il est indigne de toi de revenir sur un ordre donné.
— Le mensonge et l'injustice seuls doivent être indignes de vous et de moi, répondit Cheikou Amadou. Nous avions donné un ordre inique. Un homme de Dieu nous l'a fait sentir. Je ne vois pas d'autre attitude à prendre que d'appliquer strictement la loi.
Quand la construction de Hamdallay fut presque terminée, Cheikou Amadou décida de s'y rendre avec une suite nombreuse de marabouts et de notables, afin de bénir solennellement la ville. Il fit prévenir El Hadj Amadou de Tékétya qu'il passerait tel jour dans son village. El Hadj Amadou fit part de cette nouvelle aux habitants de Tékétya et leur dit :
— Selon les règles traditionnelles de l'hospitalité, nous devons à Cheikou Amadou et à sa suite un repas de bienvenue. Que chacun de nous fasse suivant ses moyens.
Au jour dit, Tékétya se mit à préparer de la nourriture. Cheikou Amadou, quittant Noukouma le matin de bonne heure, pouvait être à Tékétya pour le déjeuner. Il était midi passé et El Hadj Amadou n'avait pas vu les voyageurs. Il en fut inquiet, monta sur son cheval et prit la route de Noukouma pour voir ce qui avait pu retarder Cheikou Amadou. Or celui-ci était bien parti le matin même, mais arrivé à quelque distance de Tékétya, il avait donné ordre à sa suite de mettre pied à terre dans un bosquet et d'y attendre que le soleil eut baissé un peu à l'horizon. A un de ses compagnons qui ne voyait pas la nécessité de cette halte et qui demandait des explications, Cheikou Amadou avait dit :
— Nous attendrons que les gens de Tékétya aient fini de manger. Ainsi nous les dérangerons moins. Nous sommes trop nombreux pour nous imposer à déjeuner dans un si petit village. » Les cavaliers descendirent de leur monture et chacun trouva à s'abriter à l'ombre. Les chevaux restèrent sellés.
El Hadj Amadou, en passant, entendit des hennissements et des voix humaines. Il se dirigea vers le bosquet où il trouva Cheikou Amadou et sa suite.
— Cheikou Amadou ! éclata El Hadj, cette fois je te citerai devant la justice.
— Tu vas fort, et pour quelle raison ?
— Pourquoi n'es-tu pas venu jusqu'au village, après nous avoir fait prévenir de ton passage ?
— Nous sommes trop nombreux pour nous faire héberger par un village comme Tékétya. Notre arrivée vous aurait occasionné trop de frais. J'ai demandé à mes compagnons d'attendre ici que les habitants aient fini de manger pour que nous nous trouvions dans le cas de l'hôte qui arrive entre deux repas 13
— Fort bien, mais nous avons prévu votre déjeuner et tout est prêt. Nous avons consenti de bon gré les dépenses nécessaires et en vous arrêtant ici vous nous lésez doublement. D'une part nous allons perdre les grâces divines attachées à l'exercice de l'hospitalité ; d'autre part nous allons perdre la somme que nous avons déboursée pour vous préparer un repas que vous refusez de prendre et qui sera gâché. Cheikou Amadou, je te donne à choisir : intimer à ta suite l'ordre de se rendre à Tékétya et de consommer les aliments préparés à son intention afin que nous puissions prétendre à la récompense promise par Dieu pour l'exercice de l'hospitalité, ou t'engager à payer de tes deniers personnels le montant de nos débours. Si tu refuses, je te citerai devant la justice.
Cheikou Amadou dit à ses compagnons :
— El Hadj Amadou est le droit fait homme. Il rend un tel service à la justice que nous ne pourrons ni le remercier ni le récompenser comme il le mérite. Demandons à Dieu de s'en charger.
Puis il donna l'ordre de se remettre en selle. Tous se rendirent au village et firent honneur au repas préparé. El Hadj Amadou et quelques notables de Tékétya, se joignirent ensuite aux voyageurs et les accompagnèrent jusqu'à Hamdallay.
Après la bénédiction de la ville, Cheikou Amadou rentra à Noukouma dont le transfert définitif eut lieu aux hautes eaux de la même année.

La mosquée de Hamdallay avait été construite sous la direction de maçons venus de Dienné. Elle ne comportait ni minaret, ni ornement architectural d'aucune sorte. Les murs, hauts de sept coudées, étaient faits de briques crues, non moulées. Des piliers de bois fourchus soutenaient l'argamasse ; ils prenaient moins de place et gênaient moins la vue que ne l'auraient fait des piliers de maçonnerie. On comptait douze rangées de piliers, orientées nord-sud et limitant treize travées transversales. Au fond de l'édifice, à l'est, se trouvait le mihrab, et à côté une chaire surélevée de trois degrés. Latéralement s'étendaient en outre des travées longitudinales : deux au nord et deux au sud. Les premières étaient réservées aux lecteurs du Coran et aux copistes qui reproduisaient des ouvrages rares, les secondes aux tailleurs qui confectionnaient les linceuls 14. L'ensemble couvert était précédé, côté ouest, par une cour, à peu près aussi vaste, aux angles de laquelle étaient placées des poteries et de l'eau pour les ablutions rituelles.
La concession de Cheikou Amadou, de forme à peu près rectangulaire, était limitée par un petit mur d'enceinte et l'intérieur était divisé en plusieurs parties. Au centre s'élevait le logement personnel de Cheikou Amadou, ou il fut enterré ainsi que son fils Amadou et Alfa Nouhoun Tayrou. Les trois tombeaux sont toujours entretenus et visités par de nombreux pèlerins. Derrière se trouvait le grenier où étaient serrés les livres et un peu plus loin la « salle aux sept portes », ainsi nommée parce qu'elle avait trois ouvertures au nord, trois au sud et une à l'ouest. C'est dans cette salle que se tenait le grand conseil. Wèlorè, la fidèle servante de Cheikou Amadou, fut enterrée non loin de là, vers le sud, et l'emplacement de sa tombe est encore visible de nos jours. La partie nord de la concession était occupée par le logement d'Amadou et la partie sud par celui d'Allay. Ainsi Cheikou Amadou se trouvait entouré par ses deux fils. Le tombeau d'Allay, près du mur d'enceinte méridional, est toujours entretenu et visité par les pèlerins. Enfin, toute la partie ouest de la concession était réservée aux logements des étrangers de passage, aux orphelins, aux vieillards, à toutes les personnes sans ressources qui étaient logées et nourries aux frais de la Dina.
La ville elle-même, divisée en dix-huit quartiers, était entourée d'un mur d'enceinte, percé de quatre portes appelées :

Non loin de cette dernière se dressait le tamarinier au pied duquel se faisaient les exécutions capitales. A l'intérieur de la ville, on notait une prison appelée ged'd'irDe, un tribunal et un emplacement pour l'exécution des sentences, coups et amputations. On appliquait, en effet la loi du talion et toutes les peines corporelles prévues par la loi musulmane. Toutefois, la femme étant très respectée dans la coutume peule 16, une femme libre ne recevait jamais de coups : ceux-ci étaient appliqués sur le toit de sa case ou sur un objet lui appartenant et la touchant de près. Ce simulacre public était aussi humiliant pour la coupable que si le châtiment lui avait été, administré réellement.
Le ravitaillement de la ville était assuré par un marché central et dix-huit marchés secondaires, un par quartier. A chacun était affecté un surveillant qui était avant tout un contrôleur des mesures. Les vendeurs se groupaient suivant la nature de leurs marchandises. La plus importante était le sel, puis venait l'or que l'on conservait dans des tuyaux de plume ou des chaumes de mil taillées à la longueur d'un doigt. Aucun aliment cuit n'était proposé aux acheteurs, sauf le matin des Yoni et des sinassar 17.
Les concessions particulières devaient être entourées d'un kakka 18 de tiges de mil ou d'un mur assez haut pour que les passants ne puissent voir l'intérieur. Presque toutes les concessions étaient pourvues d'un puits. Ceux de Bouréma Khalilou et de Gouro Malado étaient réputés donner la meilleure eau. Durant l'hivernage les habitants pouvaient aller puiser en bordure de la plaine inondée. On comptait dans Hamdallay plus de 600 écoles coraniques, sous la haute direction d'Alfa Nouhoun Tayrou. Toutes étaient à la charge de la Dina et les maîtres rétribués sur les fonds publics. Nul ne pouvait ouvrir une école sans avoir été reconnu apte à l'enseignement et avoir reçu l'autorisation d'Alfa Nouhoun Tayrou. Les sciences dites principales comprenaient

Les sciences dites auxiliaires n'étaient enseignées que dans un petit nombre d'écoles ; c'étaient

Allay Takandé était reconnu comme le coraniste le plus éminent. L'enseignement des filles était assuré par des femmes. Cheikou Amadou lui-même, dans son école particulière, donnait des leçons sur le Coran le matin et sur la vie de Mohammed l'après-midi.
La police de la ville était assurée par sept marabouts relevant directement du grand conseil :

Les délits étaient dénoncés à l'un des sept. Une heure après la prière de icha 19, les personnes rencontrées en ville devaient décliner leur identité ; si elles étaient mariées, elles passaient devant le tribunal pour justifier leur sortie. Il était interdit aux cavaliers de regarder par-dessus les palissades et les murs de clôture ce qui se passait à l'intérieur des cours. Nul ne devait rentrer dans une concession sans avoir prononcé la formule : « As salam aleykum » et avoir reçu la réponse : « Wa aleykum salam. Bismillah ». Passer outre était considéré comme violation de domicile et puni comme tel ; le propriétaire était même autorisé à crever séance tenante l'oeil de l'intrus. Aucun chef de famille, revenant de voyage, ne pouvait rentrer chez lui après la prière de Maghreb sans avoir prévenu sa famille à l'avance. La femme noble pouvait déposer plainte contre son mari pour retour inopiné, supposant un manque de confiance injurieux. Il était expressément recommandé aux hommes mariés de diviser le temps de leur journée en quatre : la matinée de la prière du fadjr au déjeuner, soit jusqu'à 10-11 heures, devait être consacrée par eux à Dieu et aux exercices prescrits par la religion ; jusqu'à la prière de zohr ils devaient rester auprès de leurs épouses et ne pas sortir ; l'après-midi de la prière de zohr au dîner était réservé à la famille ; enfin la soirée après le dîner et jusqu'à la prière de icha était libre. Les enfants non circoncis étaient autorisés à sortir le soir après le dîner et jusqu'à la prière de icha, pour s'ébattre sur les places publiques, lutter ou danser. En dehors des fêtes musulmanes, aucune réjouissance publique n'était tolérée et les griots ne pouvaient chanter les buruudyi 20 qu'au départ pour la guerre afin de soutenir le courage des futurs combattants.
L'hygiène et la propreté faisaient l'objet d'une réglementation précise. Il était absolument interdit d'uriner dans les rues ou d'y laisser couler le sang d'une bête égorgée. Chaque chef de famille était responsable de la netteté de sa concession et des alentours, ce qui faisait dire que Hamdallay était aussi propre au dedans qu'au dehors. Les chiens n'étaient pas tolérés dans la ville ; les chiens de berger devaient rester près des troupeaux, les chiens de garde dans les concessions. Tout récipient léché par un chien devait être lavé sept fois. Sur le marché, les vendeuses de lait devaient tenir leur marchandise couverte et avoir près d'elles un récipient plein d'eau afin de laver la calebasse leur servant à mesurer le lait, lequel ne devait en aucun cas être souillé parle contact des mouches. Il était interdit de vendre la viande d'un animal malade ou celle dont la couleur avait déjà changé. Pour éviter les souillures au contact du sol, les vêtements ne devaient pas descendre au-dessous de la cheville ; ils ne devaient pas non plus dépasser l'extrémité du majeur de la main. Les surveillants étaient autorisés à couper sur place les vêtements non conformes aux dimensions prescrites. Il était interdit de maltraiter un cheval on un âne, sinon l'animal était saisi, vendu d'office et son prix versé au propriétaire. Les animaux de boucherie devaient être tués par des égorgeurs qui se tenaient dans des abattoirs publics et opéraient selon les rites prescrits.
La garde de Hamdallay était assurée par les troupes d'Alfa Samba Fouta, fortes de 10.000 « chevaux », et dont une partie seulement se trouvait en permanence dans la ville, les autres étant stationnées aux environs. Quelques détachements en armes patrouillaient chaque jour pour garantir la sécurité du pays.

Cheikou Amadou avait le teint bronzé, le front haut, le nez droit. Sa taille dépassait la moyenne. Il portait les cheveux non rasés à la manière de Mohammed 21. Son oeil était vif, son regard perçant. Il marchait en s'appuyant sur un bambou long de trois coudées et une main. Assis, Il aimait se balancer tantôt de droite à gauche et tantôt d'avant en arrière. Il s'habillait très simplement. Son vêtement se composait d'un assemblage de sept bandes de coton. Il enserrait sa tête dans un turban long de sept fois sa propre coudée. Il portait des dyaBte, sortes de semelles de peau tannée que des lanières retiennent aux pieds. Il disait sa prière un chapelet fait de grains de tannè 22. Il passait la plus grande partie de la nuit en oraisons et en méditations. Ne dormant pas tout son saoul, somnolait souvent au cours de la journée.
Ses paroles étaient mesurées, précises et toujours appuyées par des citations du Coran ou des Hadiths. Il savait mettre ses interlocuteurs en confiance et à l'aise. Son inspiration était de beaucoup supérieure à ses connaissances acquises par l'étude. Naturellement calme, il discutait sans passion et n'engageait un débat que s'il était sûr d'avoir raison et en mesure de prouver ce qu'il avançait. On cite de lui sept qualités qui lui ont valu le titre du « plus sage » de son temps :

Cheikou Amadou s'était affranchi de l'habitude qui consiste à manger trois fois par jour à heures fixes. Pour prendre quelque nourriture, il attendait d'en éprouver le besoin pressant. Il se rassasiait alors avec le premier aliment qui lui tombait sous la main. Ses préférences allaient cependant au tatiiri maasina 23. Il conseillait parfois de ne manger que des mets succulents, mais si on lui demandait quelle était la meilleure manière de les accommoder, il répondait:
— C'est la faim qui est le meilleur assaisonnement. Manger par habitude rend fade n'importe quel aliment et ne procure aucun avantage au corps.
Un jour, Cheikou Amadou eut faim longtemps après le déjeuner. Il demanda quelque chose à manger à son épouse Adya ; celle-ci leva les bras au ciel, disant qu'elle n'avait rien de prêt à lui offrir à pareille heure de la journée.
— Qu'à cela ne tienne, répondit Cheikou Amadou.
Il s'approcha des servantes qui pilaient le mil pour le dîner, prit du son qu'elles mettaient de côté pour le menu bétail, s'en rassasia et but à long trait du kambulam 24. Les servantes, scandalisées, rapportèrent le fait à leur maîtresse Adya. Celle-ci vint trouver son mari et lui dit :
— Père d'Amadou 25, tu m'étonnes.
— En quoi ? répliqua Cheikou Amadou.
— Au lieu de me laisser te préparer une collation, tu as préféré te restaurer avec du son et te désaltérer avec du kambulam comme un mouton de case. Il y a ici du riz, du beurre pour le cuire, et...
Cheikou Amadou ne la laissa pas achever et lui dit :
— Sache, Adya, que celui qui attend d'avoir bien faim pour manger trouve au son de mil la même saveur qu'au riz au poisson. Je me suis restauré, c'était l'essentiel. Retourne en paix à tes occupations et ne te tourmente pas pour si peu.
Adya soupira d'un ton maussade :
— Commander de Dienné à Tombouctou, avoir tout à sa disposition et manger du son ! Je ne trouve pas cela bien. La saveur du son ne peut être celle du riz, quelle que soit la faim qui vous creuse le ventre.
A cette réflexion, Cheikou Amadou sourit et dit à sa femme :
— Rappelle-toi que j'ai mangé du son et bu du kambulam sans y être obligé. Si un jour tu es réduite à en faire autant par nécessité, fais-le de bon coeur.
On raconte qu'après la défaite d'Amadou, petit-fils de Cheikou Amadou, la vieille Adya fut capturée et recluse à Hamdallay en compagnie d'autres captives, sans aucun égard ni pour son rang, ni pour son grand âge. Les prisonniers manquaient de nourriture. Après un jeûne forcé de plusieurs jours, on servit à la vieille Adya du son cuit à la vapeur. Dans l'esprit des geôliers, c'était une façon d'humilier celle qui avait été épouse, mère et grand-mère des trois chefs ayant régné sur le Macina. Adya mangea le son avec plaisir.
« Louange à Dieu qui m'a fait connaître avant ce jour que vivre de son ne ternit pas une réputation », dit-elle de manière à être entendue par ses geôliers toucouleurs. Elle ajouta combien le « père d'Amadou » avait raison quant à la saveur de ce mets.
Cheikou Amadou n'eut pas beaucoup de femmes ni de concubines. Il avait épousé en premières noces sa cousine Adya, fille d'Alfa Gouro Modi de Toummoura, qui lui donna trois garçons : Amadou Cheikou, Abdoullay Cheikou et Hamidou Cheikou. Après la mort de son frère Bokari Hammadi, il épousa la veuve de celui-ci comme le veut la coutume peule. Il eut de cette seconde femme Abdou Salam Cheikou. La tradition n'a conservé que le nom de Wèlorè comme servante et femme de confiance de Cheikou Amadou. On suppose que ce fut sa seule concubine. Cette femme pouvait réciter le Coran par coeur et avait étudié le droit musulman. Ces qualités lui avaient valu de devenir la confidente de Cheikou Amadou. Elle était chargée de la garde de ses livres personnels et de la préparation de sa nourriture.
Cheikou Amadou n'avait pas à proprement parler de captifs à lui, ou du moins il en eut très peu. Ceux qui lui revenaient comme butin étaient libérés peu de temps après et souvent nommés à des postes qui les liaient à la Dina et en faisaient des auxiliaires sûrs. Parmi les affranchis de Cheikou Amadou, on cite Beydari Koba qui fut nommé, aux côtés d'Amirou Mangal, chef général de tous les rimayBe et captifs affranchis pour faits de guerre ou autres, et habitant le Diennéri, le Dérari et le Mourari. Beydari Koba résidait à Soumbala entre Dyimotogo et Wéyérêka 26. Cheikou Amadou n'avait pas de secrétaire privé. Il correspondait rarement pour affaires personnelles. Ses intérêts se confondaient presque toujours avec ceux de la Dina. Les secrétaires du grand conseil étaient donc les siens. Cheikou Amadou n'avait acquis personnellement aucune propriété foncière, sinon le lieu dit toggerè kuyennè 27. L'emplacement de Hamdallay lui appartenait également, c'était un don que Guéladio lui avait fait au moment de sa conversion.
Cheikou Amadou était ravitaillé en céréales par son cousin Hambarké Samatata, qui était un grand agriculteur. Il faisait semer du « da » 28 sur son terrain de toggerè kuyennè. Cette plantation était entretenue par les élèves coraniques à qui il donnait des leçons. Il tordait lui-même les fibres et fabriquait des cordes qu'il faisait vendre discrètement. Il recopiait également le Coran et le monnayait 29. Il tirait de ces deux modestes industries l'argent nécessaire pour nourrir et vêtir lui et sa famille 30 ; il avait interdit à Wèlorè d'utiliser quoi que ce fut qui ne venait pas de lui.
Une jument constituait la seule monture de Cheikou Amadou. Il élevait quelques moutons de case et des poulets. On le vit un jour rabouter la patte d'un de ses poulets que sa jument avait cassée. Il possédait les armes courantes de son temps, mais ne les portait qu'en cas de besoin.
De nombreuses anecdotes ont été conservées par la tradition, relatives au caractère de Cheikou Amadou et aux qualités qu'il désirait le plus voir honorées par son entourage. En voici quelques-unes :

Alkaydi Sanfo de Dienné, homme d'une grande piété, avait coutume de sortir avant l'aube pour se rendre à un bosquet situé à l'est de la ville. Il y priait jusqu'au lever du soleil et y cueillait également des fruits sauvages, base de sa nourriture. Cet homme était très pauvre, mais il ne mendiait [son pain] sa nourriture à personne.
Comme de coutume, Alkaydi Sanfo quitta son domicile bien avant l'aube. En traversant la ville, son pied heurta un corps dur et pesant qui faillit le blesser. Il ramassa machinalement l'objet et le jeta dans le sac de peau de boue qu'il prenait toujours avec lui pour aller en brousse. Après ses dévotions, il cueillit des fruits sauvages qu'il mit également dans son outre.
Alkaydi Sanfo, de retour à la maison, vida son sac. L'objet qu'il avait heurté du pied et auquel il ne pensait plus, tomba et rendit un son mat. C'était un sachet plein et soigneusement fermé. « Voilà donc ce qui a failli me rompre les orteils cette nuit, s'écria-t-il. Quelque mauvais plaisant aurait-il semé cela sur le chemin pour jouer un tour aux passants ? » Il ouvrit le sachet pour en examiner le contenu. Il ne put en croire ses yeux, le sachet était rempli de boucles d'or.
Alkaydi Sanfo n'hésita pas sur le parti à prendre. Il fallait que cet or fut rendu à son propriétaire. Alkaydi Sanfo se rendit à la mosquée. Après la prière de l'après-midi, il se tint à la porte et cria : « J'ai trouvé un objet de grande valeur. Je le tiens à la disposition de celui qui m'en fera une description exacte et, au besoin, relatera les circonstances dans lesquelles il a été perdu. » Personne ne vint réclamer le sachet d'or. Chaque jour Alkaydi Sanfo répétait son annonce à la porte de la mosquée. Au bout d'une année il sollicita une audience du chef de Dienné et voulut lui remettre son trésor. Le chef jugea la somme trop importante pour la prendre ; il conseilla à Alkaydi Sanfo d'aller lui-même à Hamdallay et de remettre l'or à Cheikou Amadou en personne. Il écrivit une lettre et donna une escorte à Alkaydi Sanfo car tout le monde était maintenant au courant de la fortune qu'il détenait.
A Hamdallay, Alkaydi Sanfo exposa les faits à Cheikou Amadou, devant le grand conseil. Tous furent émerveillés de la probité de cet homme qui, de notoriété publique, manquait des choses les plus nécessaires à la vie. Cheikou Amadou lui dit :
— Mon ami, ce que tu as fait est très bien. Sache que les objets trouvés et non réclamés sont acquis à l'Etat au bout d'un an. L'Etat te félicite de l'avoir enrichi de plusieurs gros d'or. Tu peux disposer.
Alkaydi Sanfo salua et sortit de la salle sans que rien n'eût trahi ses sentiments. Alors Cheikou Amadou demanda à ses conseillers :
— Que faut-il faire de cet or ? Comment récompenser la probité de cet homme qui, tout misérable qu'il soit, a ramassé une fortune considérable, l'a gardée un an sans être tenté d'y toucher, la donne à l'Etat sans y être obligé, et repart sans récompense comme si c'était là la chose la plus naturelle qui soit ?
Personne ne souffla mot car Cheikou Amadou voulait seulement éprouver les sentiments de ses conseillers.
Bouréma Khalilou rompit le silence embarrassé de ses collègues.
— Je ne sais pas, dit-il, comment Cheikou Amadou compte récompenser Alkaydi Sanfo, mais certes Dieu le recevra au nombre des grands « élus », de ceux qui auront vaincu les tentations les plus insidieuses de Satan, les attraits de la richesse. Que les marabouts ferment « la bouche de leurs livres » pour laisser le coeur de Cheikou Amadou agir au mieux de l'édification générale.
Tous les conseillers furent d'accord et donnèrent carte blanche à Cheikou Amadou pour récompenser Alkaydi Sanfo. Celui-ci avait repris la route de Dienné — on le fit rappeler alors qu'il avait déjà atteint Koummaga 31.
Cheikou Amadou profita de la grande prière du vendredi. Il fit venir Alkaydi Sanfo et le présenta à la foule en ces termes :
— Fidèles, voici un homme que tous, petits et grands, nous devons imiter. En lui se trouvent réunies trois qualités fondamentales : la probité, l'humilité et la sobriété. Il a ramassé une fortune et l'a rendue intacte. On ne lui en a manifesté aucune reconnaissance et son amour-propre n'en a pas souffert. Malgré sa pauvreté connue de tous, il n'a demandé aucune récompense.
Puis se tournant vers Alkaydi Sanfo, il ajouta :
— La fortune que tu as trouvée doit être divisée en cinq parts. Le cinquième constitue la part des pauvres. Tu es pauvre, le grand conseil me permet de te la donner. Les quatre-cinquièmes qui restent sont acquis de droit par celui qui trouve un objet non réclamé dans les délais. Ils te reviennent donc.
Ainsi Alkaydi Sanfo devint riche, car Dieu récompense ceux qui marchent dans la voie droite.

Un percepteur de Wouroubé, chargé de percevoir les taxes au marché de Konza 32, se permit d'accorder une remise de vingt cauris à un marchand originaire de Hamdallay. Ce dernier, de retour à Hamdallay, raconta le fait sans arrière-pensée. Cheikou Amadou l'apprît. Il demanda l'envoi d'un cavalier à Konza pour convoquer immédiatement le percepteur à Hamdallay et il fait ce dernier en demeure soit de payer les vingt cauris de sa poche, soit de faire payer le marchand. Un membre du conseil se permit de dire :
— Cheikou Amadou gaspille les deniers publics. Le déplacement d'un cavalier, l'aller et le retour du percepteur, représentent une dépense bien supérieure à vingt cauris.
Cheikou Amadou répondit :
— Ce n'est pas pour la somme détournée, mais pour le principe que j'ai agi ainsi. Cette fois-ci il ne s'agissait que de vingt cauri 33, mais si nous n'avions rien dit, le percepteur aurait été tenté à la prochaine occasion de dilapider des sommes beaucoup plus importantes.
Lorsque Guéladio se fut enfui, son maabo crut bien faire en ne le suivant pas. Il se réfugia à Hamdallay dans les cuuDi wundun-baare où il se faisait appeler maabel Séku 34. Il séjourna ainsi un an à Hamdallay sans que Cheikou Amadou fit attention à lui. Ce peu d'égard attrista le maabo au point qu'il ne cessait de dire :
— Je ne sais plus de qui je suis le maabel. Ce bas-monde est devenu sans attrait pour moi et l'au-delà ne m'est pas assuré.
Quand Cheikou Amadou entendit ces plaintes naïves, il le fit venir et lui fit don de la zekkat du village de Bambara Mawnde
Ce cadeau parut excessif au maabel qui s'écria :
— La vie ici-bas m'est désormais assurée et il y a des chances pour qu'il en soit de même dans l'autre monde.

Les membres du grand conseil se plaignirent à Cheikou Amadou de ce que les santaaji 35 pénétraient dans les domiciles particuliers sous prétexte de demander l'aumône.
— Que proposez-vous contre eux ? demanda Cheikou Amadou.
— Nous avons décidé, répondirent les conseillers, et sous réserve de votre approbation, d'expulser les santaaji de la ville pour violations de domiciles. Ils ne cherchent pas à s'instruire et ne font que courir les rues.
Cheikou Amadou fit convoquer à la grande mosquée tous les santaaji de Hamdallay. Il leur dit :
— Les notables et les hommes mariés de Hamdallay sont excédés de votre mauvaise conduite. La ville leur appartient et ils décident de vous en expulser. Je ne puis que m'associer à eux. Après la prière de zohr, vous viendrez ici avec tous vos objets personnels.
Puis se tournant vers les notables qui assistaient à la scène.
— Etes-vous satisfaits ?
— Nous le sommes.
— Eh bien, ce soir vous serez débarrassés de ces importuns.
Après la prière de zohr, tous les santaaji se présentèrent à la mosquée, chacun avec sa planchette et son paquet. Une foule de curieux les accompagnait. Alors on vit Cheikou Amadou sortir de chez lui avec sa planchette en bandoulière et son paquet sur la tête. Les notables intrigués lui demandèrent ce que cela signifiait.
— Tout simplement, répondit-il, qu'entre deux maux je choisis le moindre. Je ne peux vous obliger à supporter la violation de vos domiciles par les santaaji. Mais comme je suis le doyen de ces indésirables, je ne peux les abandonner dans un moment aussi critique. Je vais donc m'en aller avec eux à l'aventure. Nous irons nous installer chez des hommes plus patients que vous et vers lesquels Dieu guidera sûrement nos pas. « Quittons Hamdallay, mes frères », dit-il en s'adressant aux santaaji
.
Ceux-ci, en poussant des exclamations joyeuses, se pressèrent derrière Cheikou Amadou, qui se préparait à partir.
Les notables furent obligés de courir se jeter au devant de Cheikou Amadou, le prier de rester avec les santaaji et de leur pardonner leur maladresse. Cheikou Amadou accepta à condition que les habitants de Hamdallay se montrent désormais plus patients. Le même jour, après la prière de asr, il convoqua tous les notables et leur dit :
— Puisque vous ne voulez pas que vos domiciles soient violés par les santaaji, il faut que chaque chef de famille prévoit un plat pour eux à chacun des trois repas quotidiens. Ces plats seront groupés à proximité de la mosquée, en un lieu où les santaaji se réuniront pour manger.
Il fit d'autre part prévenir les jeunes gens des écoles coraniques que, dorénavant, tout santaaru 36 pris à l'intérieur d'une concession, sans avoir obtenu du propriétaire l'autorisation de rentrer, serait passible de coups de corde. C'est à cette occasion que de grands hangars furent édifiés derrière la concession de Cheikou Amadou, non loin de la mosquée, pour servir de réfectoire aux santaaji.

Pour terminer, nous citerons une strophe, extraite d'un chant en l'honneur d'El Hadj Oumar composé par un Toucouleur nommé Mabal, et qui rend hommage à Cheikou Amadou en le mettant au premier rang des cheiks qui illustrèrent l'Islam au Soudan.

HeDii dewDo sunna nulaaDo Amadu Maasina
Alfa Umaru Al hajji cheyku ko sellina
Usmana Fodiya, Bello, haqan ko 'ardina
Ghawsun ghiyaasun cheyku Bakkay ko 'an'dina
Ley sirru Allah, Be fu Be yilliBe Amada.

Amadou du Macina a été l'exemple de celui qui a suivi la Sounna de l'Envoyé,
C'est le cheik El Hadj Alfa Oumarou qui est rendu incontestable,
C'est Ousmane Fodia, Bello, en vérité qui ont été les premiers,
C'est le cheik Bakkay ghawsun ghiyaasun 37 qui a été instruit
Dans le secret de Dieu, tous ont été des chercheurs d'Ahmed.

Notes
1. DiawanDo (pl. DiawamBe) membre d'un groupe foulaphone, réputé pour son intelligence. Moins nobles que les Peuls, les DiawamBe jouent auprès de ces derniers le rôle d'intendants et de conseillers. Bouréma Khalilou était un DiawanDo du Sébéra.
2. Guéladio, qui avait l'intention de se rebeller contre Cheikou Amadou à la première occasion, voulait que le marabout lui-même l'assurât du succès de sa trahison. La prière fut exaucée puisque Guéladio devait finalement échapper à Cheikou Amadou (voir chap. VI).
3. C'est l'emplacement de Hamdallay, à 21 kilomètres sud-sud-est de Mopti.
4. La victoire des Toucouleurs sur le Macina a donné raison à Guéladio. Quelques coups de fusil leur suffisaient pour allumer l'incendie dans les villages peul, et vaincre la population.
5. Maabo, tisserand de caste.
6. Perrel, haute brousse, tuppe, sorte d'herbe épineuse (syn. DuBBe).
7. Le Prophète étant né un lundi, ce jour est considéré comme bénéfique. Hamdallay aurait été fondé en l'an 2 de la Dina, donc probablement en fin 1819, juste après l'hivernage.
8. Pellal, bâton sur lequel s'appuie l'imam pour prononcer le prône et présider les cérémonies.
9. Hamdallay, contraction de Al hamdu lil'Aahi, louange à Dieu.
10. Tékétya, village à 25 kilomètres sud de Mopti, entre Soy et Hamdallay. Les lettres d'intérêtgénéral étaient toujours lues publiquement à la mosquée.
11. As-salam aleykum, la paix soit sur vous.
12. Conformément à la tradition du Prophète, le turban doit passer sous le menton, de façon à pouvoir être ramené sur la bouche.
13. Un hôte qui arrive après le déjeuner ne s'attend à être invité qu'au dîner. Cheikou Amadou désireux d'arriver le soir même à Hamdallay, ne comptait rester que très peu de temps à Tékétya. Ainsi, lui et sa suite, n'auraient eu aucun repas à prendre.
14. Les linceuls étaient faits de 7 bandes de coton cousues ensemble. L'une des extrémités formait une sorte de capuchon dans lequel on engageait la tête du cadavre ; l'autre extrémité était rabattue sur les pieds ; les deux bandes latérales étaient cousues seulement sur la moitié de leur longeur et les bouts libres ceinturaient le cadavre.
15. Damal signifie porte ; trois des portes tirent leur nom de la région vers laquelle elles s'ouvrent, la quatrième damal BaaBen, tire son nom du clan Ba.
16. On raconte qu'un Arɗo se trouva un jour en présence d'une femme peule à laquelle on s'apprêtait à administrer quelques coups de corde. Il demanda qui avait décider de maltraiter ainsi une femme noble. On lui répondit que c'était la loi coranique. L'Arɗo braqua sa lance vers le bourreau et lui dit : « Si tu lèves la main sur cette femme, je t'envoie coucher au « village des petites terrasses » (cimetière). Puis il donna ordre à ses serviteurs de délivrer la condamnées et il déclara aux marabouts qui assistaient à la scène : « Evitez désormais de vous trouver sur mon chemin et dites à votre Coran que je ne lui obéirai pas tant qu'il n'aura pas pour les femmes nobles les égards qui leur sont dûs. »
17. Yoni, galettes de mil : sinassar, galette de riz
18. Kakka, claie semait de clôture.
19. Les musulmans sont tenus à faire cinq prières par jour, celle de fadjr à l'aurore, celle de zohr au début de l'après-midi, celle de asr vers la fin de l'après-midi, celle de maghreb juste après le coucher du soleil et celle de icha avant de se coucher.
20. Buruudyi, louanges chantées par les griots.
21. Cette mode est encore suivie en honneur de Mohammed par les Maures de Mauritanie et beaucoup d'étudiants musulmans, plus particulièrement au Macina où l'on se réclame de l'obédience de Cheikou Amadou.
22. Tanne, Balanites aegyptiaca.
23. Tatiiri maasina, mets préparé avec le meilleur riz du Macina, le meilleur poisson et du beurre frais.
24. Kambulam, eau qui a servi à laver le mil dont on a retiré le son ; elle sert ordinairement de boisson aux chevaux et autres animaux domestiques.
25. La coutume soudanaise interdit généralement à une femme mariée d'appeler son mari par son prénom. Elle emploie alors l'expression « père de X... » en utilisant le prénom de son fils aîné.
26. Dyimotogo et Weyèreka (Viéra Ka de la carte), à 10-12 kilomètres nord-ouest de Dienné
27. Toggerè signifie bosquet et kuyennè soyons dans l'enthousiasme ; ce lieu est devenu par la suite le cimetière de Soy dans le Sébéra
28. Ilibiscus cannabinus.
29. On ne dit pas vendre le Coran, mais monnayer le Coran.
30. Il faut entendre ici famille dans le sens coranique, c'est-à-dire les femmes, enfants mineurs et serviteurs.
31. Koummaga village du Fémay à 18 kilomètres nord-est de Dienné
32. WuuruBe, village à 43 kilomètres est-nord-est de Niafounké, entre le Bara Issa et l'Issa Ber. Konza, village à 30 kilomètres sud du lac de Korienzé.
33. Vingt cauris représentaient une somme dérisoire.
34. CuuDi , plur. de suudu, maisons, logements, wundun-mbaare : celui qui ne peut pas se nourrir.
Il s'agit des logements réservés dans la concession de Cheikou Amadou à tous ceux qui étaient à la charge de la Dina.
35. Maabel, diminutif de maabo ; maabo est le nom donné aux tisserands et aux chanteurs. Ici le diminutif a un sens familier, maabel Séku signifiant le petit chanteur ou le chanteur familier de Cheikou.
36. Bambara Mawnde, village situe près de Ngourna sur le lac Aougoungou. La zekkat est l'aumône légale due par tous les musulmans.
37 Les élèves de l'école coranique de 7 à 10 ans sont dit, biibinnadyi, de 11 à 15 ans fusunnaadyi et de 16 à 21 ans santaaji ; tous vivent de la charité publique et vont de porte en porte mendier leur nourriture.
38. santaaru, sing. de santaaji.
39. ghawsun ghiyaasun, termes arabes indiquant la sainteté.

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