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Gilbert P. Vieillard


Claude Malon

Historien, enseignant et chercheur, Le Havre

Gilbert Vieillard, administrateur et ethnologue en Afrique occidentale (1926-1939)

Cahiers de sociologie économique et culturelle, ethnopsychologie. 2000 (33): 107-131.
Université du Havre & Centre national du Livre. Institut havrais de sociologie économique.


Introduction

Gilbert Pierre Vieillard est né le 31 décembre 1899 au Havre. Ses parents résident au domaine de Beaurepaire, dans la commune de Criquetot l'Esneval. Cest là qu'il leur rendra visite à chaque retour d'Afrique. Adolescent, avec son ami Patrick O'Reilly 1, dont les souvenirs font imaginer Gilbert comme une sorte de Grand Meaulnes intellectuel, il fréquente l'Institution Saint-Joseph, au Havre. Le père avait été artiste peintre à Paris dans les années 1890. Après Montmartre, cet amateur de chasse et d'observation au gabion, est attiré par la Baie de Seine. Mais c'est la mère de Gilbert qui développe chez lui « des puissances de méditation ». Son imagination d'enfant est peuplée d'Indiens et de Touaregs.
Bachelier ès-lettres, Vieillard obtient un diplôme de l'École des langues orientales et s'intéresse très tôt aux dialectes soudanais : pular-fulfulde, haoussa, zerma. Il fait son service militaire d'avril 1918 à avril 1921 et participe aux campagnes contre l'Allemagne en Syrie. Il y obtient la croix de guerre. En 1919, le général Gouraud prend le commandement des forces du Levant où s'organise le mandat français en Syrie-Cilicie. Des forces nationalistes menacent la position française. Vieillard embarque pour Beyrouth avec les divisions légères réclamées par Gouraud, le 10 avril 1920. il est affecté à un régiment de tirailleurs algériens. S'ensuivent six mois de raids jusqu'à l'Euphrate. Il décrit pour sa mère avec un certain enthousiasme, il faut le dire, les razzias contre les villages syriens. Au siège d'Aïntab à l'automne 1920, les propos se font moins lyriques : « Je ne serais pas fâché de quitter cet absurde métier. » En février 1921 c'est la capitulation du Verdun turc. Revenu à Paris, Gilbert est reçu à l'École coloniale. Après une première année assez brillante, son indocilité et son goût de la fantaisie le poussent à la démission. Pourtant il continue à suivre les cours de Maurice Delafosse, mais aussi les enseignements moins académiques de travailleurs arabes dans les bistrots de Gennevilliers ou de la Villette. C'est pourquoi après quelques années « d'une existence chaotique », il embarque à Bordeaux, pour l'Affique.

Un administrateur colonial anticonformiste

Sa carrière africaine commence comme commis des services civils de l'AOF, il débarque à Dakar en mai 1926. Jusqu'à 1939, de multiples séjours lui permettront de parcourir l'AOF, de la côte Atlantique aux abords du Lac Tchad, comme l'indique la carte.

Gilbert Vieillard en Afrique de l'Ouest, de 1926 a 1936
Gilbert Vieillard en AOF, de 1926 à 1939

Le parcours africain

En juillet 1926, il est nommé à Ouagadougou. Ensuite, il est affecté à Say, au Niger, en 1928 : « Enfin, un vrai poste colonial ». Après un congé d'un an il revient au Niger, à Zinder. En 1931, il est commis principal. En décembre, il est à Tessaoua à 120 kilomètres à l'ouest de Zinder. En janvier 1933, le voici à Dosso, dans le pays Zerma. En septembre 1932, il avait demandé une nouvelle inscription à l'École coloniale; son séjour de dixhuit mois à Paris comme stagiaire à l'École coloniale lui permet d'approcher Delavignette, Labouret, Marcel Griaule. Il revient en Afrique avec le grade d'administrateur adjoint de troisième classe, à Dalaba, cercle de Mamou, en Guinée.

Un administrateur marginal ?

Les appréciations portées par certains de ses supérieurs sur le comportement du jeune administrateur sont pour le moins contrastées. Il semble provoquer tantôt l'adhésion, tantôt le rejet. Son supérieur à Ouagadougou trouve que sa situation n'est pas à la hauteur de ses capacités intellectuelles. Le gouverneur Brévié en 1929 le considère comme un « très bon fonctionnaire, aimant beaucoup les indigènes ». En revanche, l'administrateurcommandant de cercle, en 1935, estime que Gilbert Vieillard n'est « pas doué pour exercer le métier d'administrateur », lui reprochant de tout ignorer des choses administratives, mais surtout d'« aimer la vie indigène à un point qui le rend ridicule aux yeux mêmes de ses modèles qui l'ont surnommé Le Syrien 2. »

En 1935, Vieillard exerce en Guinée. Il est sensible aux inflexions de la politique indigène, « par exemple ne faire payer l'impôt qu'à 14 ans au lieu de 8 auparavant, ce sont de petites choses, mais cela soulagera pas mal de gens » (décembre 1936). Quitte à s'aliéner certains de ses supérieurs, ce qui fut le cas, il prend souvent le parti de ceux dont il parle la langue.

« J'ai des démêlés avec mes chefs à propos d'un salopard de contremaître qui martyrisait ses manœuvres. Mon don-quichottisme n'a pas plu. Mais je suis content de n'avoir pas capitulé. Je serai toujours un mauvais fonctionnaire » (Mamou 10 février 1936).

« N'allons pas croire qu' il ne travaillait pas », avertit Robert Delavignette, « Et il avait une méthode de travail. La voici : administrateur colonial et par là même chargé de tâches diverses et imprévues, il les faisait toutes servir à l'étude des Fulɓe sur le terrain 3. » Gilbert a surtout la conscience d'être un privilégié :

« Quand ce cauchemar de la disette serat-il fini? Je ne suis pas fier de manger à ma faim au milieu de tous ces ventres creux. » Apprenant que les récoltes ont été mauvaises en Normandie il écrit à son père en mai 1927 : “Je suis navré que vos récoltes soient abîmées, au moins ne mourrez-vous pas de faim. ( … ) Pensez aux multitudes hindoues, chinoises, nègres, qui meurent, — à la lettre —, en Europe, on ne fait que serrer la ceinture, et plus près de nous, dans l'espace, en Algérie”… »

Le travail d'administrateur est d'être « tour à tour magistrat, chef politique, bâtisseur de routes et de ponts, collecteur d'impôts, organisateur de cultures nouvelles et de marchés », et Vieillard transforme ses fonctions multiples en enquêtes permanentes… Dès 1926, il doit rendre la justice, sans illusion sur ses capacités :

« Tous les vendredis, tribunal. J'ai présidé l'audience hier, avec deux assesseurs indigènes, le cadi et un vieux notable. Dieu sait que j'ai été consciencieux : sans doute me suis-je trompé 4. »

Aux paperasses et aux additions, il préfère les conversations avec les griots inépuisables. Cela satisfait plus ou moins ses supérieurs, selon leur personnalité. En 1932, il avait été noté comme un très bon agent s'intéressant à l'étude des idiomes.

Pullo timmuɗo, le Pullo complet

Un élève de l'École William Ponty 5, Mamadou Bah, se souvient en 1943 de Gilbert Vieillard 6:

« Il a étudié d'abord le pular qu'on appelle aussi le pular commercial. C'est le pular vulgaire des grandes villes que les autres races peuvent apprendre difficilement. Pour comprendre l'histoire du Fuuta, il a appris le pular littéraire, employé presque uniquement par les grands marabouts. Il a parcouru presque toutes les régions du Fuuta, rendu visite aux marabouts les plus éminents. Il a traduit des vers peuls et des chefsd'œuvre de Tierno Samba Mombeya, de Tierno Aliyyu Ɓuuɓa Ndiyan etc. Il a commandé en Afrique du Nord, en Syrie, des livres pour distribuer aux centres religieux. Il s'est ensuite occupé du Pullo berger. Pour cela il a voyagé dans Télimélé, région la plus riche en élevage. Il a ramassé depuis la fourche qui sert à battre le lait caillé jusqu'aux différentes calebasses qui servent à traire la vache et à conserver le lait. Il a décrit les coutumes, les rites et les cérémonies qui caractérisent le Pullo berger. On l'appelle chez nous “Pullo timmudo”, c'està-dire le « Pullo complet, car il réunit en lui le Pullo populaire, le Pullo littéraire et le Pullo berger. Il est rare de voir un Pullo de ce genre. »

La critique de l'administration coloniale et la mission de 1936

Vieillard écrivait à son père, le 14 juillet 1927 au sujet de ses prédécesseurs au poste de Say.

« Le dossier du cercle, dit-il est peu édifiant: brutalités, malhonnêtetés. Je suis indigné devant tout le mal que font à ce pays les blancs, les uns par méchanceté, lui, le commandant, par sa bêtise, alors que le bien serait, semble-t-il, plus facile… depuis trente ans que nous sommes ici, nous n'avons rien fait de sérieux pour leur bien matériel et moral. »

Il confie à ses proches que les rôles de la capitation sont faux, et il affirme : « Ce qui domine, dans le personnel colonial, ce n'est pas la méchanceté, je le sais bien, c'est la lâcheté. » Ses rapports de 1936 lui valent d'être envoyé en mission avec le seul objectif d'enquêter auprès des indigènes dans le cercle de Labé, puis à Kindia. Dans les cercles de Mamou et de Kindia, frontaliers de la Sierra-Leone, les Fulɓe tentent de passer du bétail et se heurtent aux gardes-frontières. Les rapports du Gouverneur de Guinée, qui font état de ces mouvements d'exode, parlent de « pillards et contrebandiers » dont certains sont abattus 7. C'est là que fut envoyé Gilbert Vieillard pour enquêter en avril 1936. Malheureusement, ses rapports ont disparu du fonds Vieillard à l'IFAN 8, et cela ne permet pas de confirmer si ce fut bien là une source d'ennuis avec sa hiérarchie.

Quelques traits de ses enquêtes publiées par l'IFAN permettent cependant d'avoir un aperçu du regard porté par un métropolitain attentif à la condition humaine. La colonisation n'a pas aboli l'utilisation des captifs, ceux de « l'esclavage de case » qui demeurent un élément important des héritages. Bien loin de l'adoucir, le poids de l'impôt, les réquisitions de main d'œuvre et le recrutement militaire ont dégradé sa situation 9. Le régime colonial renforce la chefferie traditionnelle en éliminant les procédures de contrôle par les assemblées libres ou le poids des familles puissantes 10. La perception de l'impôt se fait plus autoritaire. Si bien que Gilbert doit constater que les contribuables en fuite, dans le contexte de la famine de 1936, alourdissent la tâche des présents, contraints de vendre leurs biens. « Quand il n'y avait rien, on mettait en gage les récoltes sur pied et les enfants 11. »

La méthode Vieillard ou l'immersion ethnologique

Comprendre les Africains de l'intérieur, tel semble avoir été le travail de Gilbert Vieillard. Expliquer et pas seulement décrire. Les Fulɓe ont opposé à l'expansion coloniale du XIXe siècle, dit-il, « la réaction du pâtre et du théologien devant des martiens, issus d'une autre planète 12. »

La rédaction des coutumiers

En 1933, à Dosso, il est chargé de la rédaction des coutumiers du Niger. Son devoir dÉtat « commence à coincider avec sa vocation personnelle ». La rédaction des coutumiers du cercle de Zinder l'avait focalisé sur les Haoussa 13. Comme rien n'indique chez lui la prétention d'évangéliser quiconque, il est probable que des assertions du type « le Haoussa, commerçant et voyageur, est pour l'Islam une proie facile » y sont davantage d'ordre sociologique que relevant d'un credo de l'homme blanc.

« Mon dada, c'est le pular-fulfulde, en quoi je baragouine un peu » (à sa mère).

Dans le Fuuta-Jalon, il est à nouveau chargé de rédiger les coutumes du pays. De grandes tournées dans la brousse lui font partager la vie des Fulɓe.

« Ce qui est nouveau pour moi, c'est toute une littérature écrite en caractères arabes adaptés au pular : inspirée de l'Islam, mais assez originale. Ces gens ont gardé l'esprit de la Bible et le sentiment de l'Éternel. C'est peut-être ce qui les perd » (à sa mère, Dalaba, 14 août 1935).

Il accumule de précieux manuscrits : rapports économiques, coutumiers, études sur l'évolution des Fulɓe. « J'ai vu des choses passionnantes pour moi, retrouvé de vrais Fulɓe fétichistes et trouvé des traces à peu près sûres d'un culte solaire — la trinité feu, soleil, vache, qu'on soupçonnait… » (20 juin 1937). Le coutumier “peul” fait la joie du Gouverneur général de l'AOF, De Coppet. Après un séjour à Fréjus, il revient au Soudan par Saint-Louis pour rencontrer le gouverneur Gaden, grand pularisant qui achevait alors un dictionnaire pular-fulfulde. En mars, il est dans le cercle de Mopti, puis de Niafounké, de Goudam, de Djénné. Il entreprend, durant neuf mois, l'étude approfondie des Fulɓe de la boucle du Niger.

« Pour la première fois je mène la vie peule sans être gêné par mon grade. Je commence à savoir manger proprement du bout des doigts. Encore quelques jours et je pourrai passer pour un vrai Maasinanke, surtout avec le crâne tondu, le collier de barbe et les pieds au henné » (à sa femme 6 mars 1938).

Anthropologie matérielle et culturelle et sources orales de l'histoire africaine

Voilà maintenant quelques décennies que l'historiographie a fait justice d'une conception qui voulait que les peuples africains n'aient pas d'Histoire. La reconnaissance des sources orales comme source noble n'a pas été le moindre des vecteurs de l'histoire africaine. Un administrateur ethnologue suffisamment attentif ne procédait pas autrement. « Tout ce qui est oral est, par lui, noté au vol 14. » Gilbert Vieillard, dans ses Notes sur l'exode Toucouleur, retrouve, grâce à des témoignages, des traces du fergo (nom toucouleur désignant à la fois l'émigration et l'hégire) qui conduisit Ahmadou, après les victoires d'Archinard, à fuir devant l'avance française, sur 2 000 kilomètres jusqu'à Sokkoto et à sa mort en pays Haoussa 15. Sans aucun angélisme sur cette « épopée admirable ou série de brigandage, comme on voudra », et très prudent sur les mauvais tours que peut jouer la mémoire aux témoins, il retrouve sur ce parcours des traces de la participation d'Ahmadou aux guerres locales des Fulɓe contre d'autres ethnies. On apprend qu'au terme de l'exode, quand Ahmadou meurt, son frère Basiru le remplace et se heurte alors aux troupes anglaises.

Vieillard recueille ainsi nombre de récits sur les almamys du Maasina, sur l'empire Toucouleur, Ahmadou, mais aussi son père El Hadj Omar. Certains de ces textes évoquent le regard des Africains sur les colonisateurs 16. Il rassemble des témoignages en pular-fulfulde écrits en arabe et traduits en français. Il parachevait sa connaissance de la langue pular par sa maîtrise de traducteur. Observer, mais aussi expliquer, c'est sans doute pourquoi on le considère aussi comme un ethnologue, Il parle en effet du contact colonial, du progrès des communications en Afrique, de la désagrégation de la famille globale qui tend à faire du couple la cellule sociale réelle. Vieillard ne se contente pas de décrire. Il enregistre les remarques des autochtones quant à l'effet de l'école sur le respect des anciens ou ailleurs les effets ravageurs de l'impôt personnel 17. Cet effort est d'autant plus remarquable qu'il se situe évidemment dans un contexte idéologique où la représentation la plus répandue du nègre en métropole n'est pas celle d'un individu vivant dans des sociétés aux règles complexes, mais celle du grand enfant, de la civilisation primitive, de l'indigène qui ne travaille « que pour satisfaire ses besoins », critique fréquente chez les marchands métropolitains, et dans un contexte épistémologique où la sociologie n'a pas encore vraiment émergé de l'exotisme scientifique 18.

A L'Institut Français d'Afrique Noire, rencontres et recherches

En novembre 1938, il est affecté à l'IFAN, et plus précisément aux archives de la colonie. Désormais, écrit Patrick O'Reilly, chaque courrier emportera en France un couplet à la gloire de « Frère Théodore ».

A l'IFAN, avec Théodore Monod

Théodore Monod, bien sûr, directeur de l'IFAN :

« Un homme très remarquable et d'une vie spirituelle intense; — évangélique, quelque peu manichéen — ce naturaliste saharien m'a emballé et ma vie en a été un peu changée. » « Monod me montre une amitié bourrue et délicate… C'est la première fois que je rencontre un homme qui approche du saint, en tout cas de l'homme de bien. Munis d'une vieille auto, nous herborisons et pêchons des bestioles autour de Dakar… Monod, je n'ose plus t'en parler, je le vénère… Il me rend capable de tout, de travailler le 14 juillet et de compter sous un verre grossissant les 290 anneaux ventraux d'un petit serpent » (Dakar 14 août 1939).

Gilbert l'Africain a trouvé sa voie. Personne désormais ne conteste ses talents. Le gouverneur général, dans une note d'octobre 1938, parle d'un « véritable génie en matière de travaux ethnographiques ». Théodore Monod souligne dans ses appréciations « ses dons de psychologue et d'enquêteur en matière de mentalité indigène, le goût du détail précis permettant de rendre dans le domaine de la recherche ethnologique des services éminents 19. » Un an plus tard le patron de l'IFAN estimera que Gilbert a été “un collaborateur précieux” 20.

Le Fonds Gilbert Vieillard à l'IFAN de Dakar

Le fonds Vieillard est le plus riche de tous les fonds de manuscrits de l'Institut Français d'Afrique Noire. Il rassemble tous les travaux et documents accumulés par l'ethnographe de 1927 à 1939 21. Quatre domaines constituent le fonds :

Relevé thématique sommaire des documents Gilbert Vieillard
  Histoire Littérature Ethnologie Religion Sciences
Fuuta-Dyalon • origine des Fulɓe
• El Hadj Omar
• Almamy Ibrahima
•sur Dieu
• les Tidjani
•les Français
• propriété
• parenté
• élevage
• Coran
• magie
• poèmes
• temps
• agriculture
• psychologie
Maasina • origine des Fulɓe
• Ahmadou
• fables
•transhumance
• coutumes bergers et pêcheurs    
Niger • origine des Fulɓe
• pays Jerma
• Blancs Say
• lexique pular
• historiettes
• mythologie
• élevage
• coutumier hausa
• animisme
• Islam
• temps
• zoologie
• flore
Mauritanie • Shaykh Mâ al Aynin
• Emîr Muhammad
• grammaire arabe
• poèmes arabes
  • talismans  

Pour chaque domaine, on trouve cinq parties : historique, ethnosociologique, religieuse et magique, littéraire, scientifique. Ce qui en fait l'unité, c'est le peuple Pullo 23.

De sa bibliographie, ce sont les Notes et coutumes des Peuls au FoutaDjallon qui ont été le plus utilisées. Son ouvrage traite des structures de la parenté (famille, mariage, filiation, tutelle), de la propriété (biens et successions) et des contrats et obligations (modalités très élaborées de l'échange des marchandises et des services). Gilbert Vieillard ne fut bien sûr ni le premier, ni le dernier à s'intéresser aux Fulɓe 24. Mais c'est à un intellectuel Pullo qu'il transmit son héritage en 1939.

La rencontre de Gilbert Vieillard et d'Amadou Hampâté Bà

Le livre de Patrick O'Reilly ne mentionne pas la rencontre de Gilbert Vieillard avec Amadou Hampâté Bâ. C'est pourtant l'un des épisodes les plus significatifs de la vie de l'administrateur havrais, malgré sa brièveté. Grâce à Madame Hélène Heckmann, légataire littéraire d'Amadou Hampâté Bâ, qui a bien voulu communiquer les récits de cette rencontre avant même leur publication, elle peut être évoquée ici 25.

Le Colonel Figaret, en Afrique depuis 1903, épris de langue et de culture fulɓe, prit sa retraite à Ségou. Il s'échinait durant plusieurs années à la constitution d'un alphabet pular-fulfulde. En 1935, Figaret rencontre Hampâté Bâ, secrétaire de la Mairie de Bamako.

« Le colonel prit l'habitude de venir souvent chez moi — dit Amadou Hampâté Bâ — c'est avec lui que je commençais à travailler sérieusement l'écriture du pular. Et c'est à lui que je dois d'avoir rencontré Gilbert Vieillard, lequel devait également me conforter dans mes recherches linguistiques 26. »

En 1939 Figaret est en relation avec Vieillard, l'occasion pour les deux hommes d'échanger leurs conceptions de la transcription du pular 27 et des informations sur la faune et la flore pour servir aux travaux de PIFAN. Vieillard lui écrit.

« Ne sommes-nous pas quelque peu confrères-ès-vaches peules et ès-amour de la nature 28 ? »

Le Colonel Figaret 29 parla d'Amadou Hampâté Bâ à Vieillard.

C'est en recherchant la signification métaphorique d'un poème pular qu'il avait recueilli, que Gilbert Vieillard fut mis en contact avec Amadou par un cousin de ce dernier qui vivait à Bandiagara, Moby Bodiel. Le Français rendit visite au Pullo, un soir du mois de ramadan 1939. Celui-ci dit avoir été désorienté par la manière dont son visiteur s'était présenté.

« Je n'avais jamais rencontré d'Européen qui parvînt à parler pular sans aucune déformation… Gilbert s'assit avec nous sur la natte et me dit : Amkoullel, je viens de la part de Mody Bodiel de Bandiagara. J'étais allé le trouver pour lui soumettre un vers pular qui appartient au “Chant des bovins” et que je ne parviens pas à comprendre. »

Le repas partagé fut l'occasion d'un premier échange linguistique, à propos du saame composé de viande, beurre et riz appelé « nyaareeri », mot fabriqué par Amkoullel dont Gilbert réussit à retrouver l'étymologie. Amadou Hampâté Bâ expliqua ensuite la signification des deux vers qui avaient motivé la visite de Vieillard et dont la traduction littérale était

« Naseaux humides, cornes dures, femelles, qui nourrissent de vains espoirs d'autres femelles ».

Du décodage savant d'Amadou, on ne retiendra ici que l'explication finale :

« Le premier terme : rewɓe (femelles) désigne les vaches du troupeau. Le deuxième terme : rewɓe (femelles), désigne les femmes fulɓe. Le poème signifie que tant qu'il y a des vaches dans le troupeau de l'homme Pullo, même si elles ne lui sont que confiées, la femme peule supportera tout. Elle ne quittera pas son domicile. Ainsi, la vache sert à l'homme Pullo à tromper les espérances de la femme ou à « nourrir les femmes peules de vaines espérances ». Mais malheur à l'homme qui ne dispose d'aucune vache ! »

Vieillard aborda ensuite un motif plus profond de sa visite :

« Il me dit, poursuit Hampâté Bâ, que l'Allemagne avait déclaré la guerre à la France, que la mobilisation générale venait d'être décrétée et qu'il devait partir. »
« Pourtant, continua-t-il, je pourrais me faire exempter, ou encore demander que l'on m'affectât à un poste spécial ; j'ai suffisamment de raisons pour que ma demande soit acceptée : je suis administrateur des colonies et père de trois enfants 30. Mais j'ai trop la mentalité pullo pour agir ainsi. Je ne veux pas qu'un jour mes amis me demandent comment la guerre s'est déroulée comment mon pays s'est comportéface à l'ennemi et qu'alorsje ne puisse que répondre : « On m'a dit que… » Je veux pouvoir dire que les Français se sont battus de telle ou telle manière, je veux qu'on sache que j'y étais. Pour toutes ces raisons, je dois partir. Ainsi, je raconterai ce que j'ai vu de mes propres yeux… »
« Je reconnus là, dit Amadou, la conception même de l'honneur pullo. Vieillard continua, m'expliquant que, grâce à M. Théodore Monod, qui l'avait tiré des griffes de l'administration coloniale, il était parvenu à créer une section Fulɓe à l'IFAN. Or, dit-il, étant obligé de partir, je ne suis plus guère qu'un cadavre en sursis. Et si j'étais tué aufront, cette œuvre que j'ai commencée pourrait être perdue. C'est là mon seul regret. En raison de ce que tu sais, en raison de l'initiation que tu as reçue, j'aimerais que tu me remplaces à l'IFAN. Il ajouta qu'il n'était pas sûr d'obtenir ma nomination, car il lui semblait difficile qu'un Africain succédât à un administrateur européen : “Et c'est ce qui me révolte, poursuivit-il ! Il s'agit tout de même de vos affaires et non des nôtres.” En tout cas il m'assura que si j'acceptais, il se rendrait auprès de M. Monod, qui, il en était convaincu, appuierait sa demande. »

Vieillard plaidait auprès du sage malien ainsi pour « le sauvetage du patrimoine culturel fulɓe » mais aussi pour celui de tous les Africains, Bambara, Wolof, Sérère, Manding et Haoussa. Amadou Hampâté Bâ fut donc affecté à l'IFAN en 1942 31, y demeura jusqu'en 1958 pour effectuer des enquêtes ethnologiques historiques et religieuses à travers l'AOF. Avec les indépendances, il devint ambassadeur, ministre, membre du Conseil exécutif de l'Unesco de 1962 à 1970 32.

Un Français emblème des Fulɓe : l'Amicale Gilbert Vieillard

Si l'héritage le plus important de l'administrateur-ethnologue est sans aucun doute le fonds d'archives rassemblé à Dakar après sa mort, il est un héritage « malgré lui » dont on ne saurait dire s'il l'aurait reconnu mais dont la signification n'est pas négligeable. Il s'agit de l'Amicale Gilbert Vieillard, née le 7 décembre 1944 quatre ans après la mort de l'administrateur. Elle avait pour but de « maintenir et renforcer les rapports de solidarité entre les intellectuels peuls et de contribuer à la promotion culturelle du Fuuta-Jalon 33. » Hostile aux chefs coutumiers, elle sera combattue par l'Union Franco-africaine, c'est-àdire le parti des chefs et notables conservateurs du Fuuta. Parmi ses principaux animateurs, Yacine Diallo, député de la Guinée à l'Assemblée nationale de 1945 à sa mort en 1954 qui participa aussi à la Démocratie socialiste de Guinée. A l'origine, le Parti démocratique de Guinée était la section guinéenne du Rassemblement Démocratique Africain 34 et regroupait certaines associations « ethniques », dont l'Amicale Gilbert Vieillard. Ibrahima Sory Diallo, de l'Amicale Vieillard, fut l'un des premiers secrétaires du Parti Démocratique de Guinée. Ces associations se retirèrent bientôt du PDG 35, et aux élections de 1957, le régionalisme fulɓ était minoritaire dans sa propre région. Qu'un parti pullo ait choisi d'emprunter son nom à l'ancien administrateur havrais, c'est le signe de son prestige dans cette population.

Epilogue: Mourir en Lorraine

Le Professeur Théodore Monod a bien voulu nous indiquer qu'il avait rendu hommage à Gilbert Vieillard, sous le nom de « Frère G. », dans L'Émeraude des Garamantes 36. Son beau texte dispense de toute interprétation hasardeuse du geste de l'administrateur partant pour la guerre 37 :

« Un boutiquier stupéfait, en tous les cas, fut celui qui vit frère G., tout mobilisé qu'il fût, quitter les rangs d'une colonne en route pour le port pour lui régler une dernière facture.
Mais c'était frère G. partant pour la guerre, d'où il ne reviendra pas. Tu avais voulu quitter l'Afrique avec le premier détachement de renfort, faveur obtenue non sans peine. Et, bien sûr, ils n'ont rien compris, applaudissant ta fièvre patriotique et le réserviste de 2e classe brûlant d'aller en découdre… Pouvaient-ils seulement deviner, ô frère G., ton cœur douloureux et la quête de l'évasion que tu poursuivais à travers cette nouvelle aventure ? Et ta blessure secrète, la nuit descendue sur ton âme, la faim qui tourmentait ton cœur, ta soif d'une eau vive “jaillissant jusque dans la vie éternelle” ? Comment eussent-ils pu savoir que notre baiser d'adieu, dans la cour bruyante d'une quelconque caserne, s'était voilé de larmes ? L'ai-je seulement assez regardé, alors, ce visage aimé qui va s'effacer pour toujours ? Car on me le tuera, c'est certain. »

« J'ai fait le geste un peu ridicule de rester soldat au lieu d'aller recruter des nègres, comme mon sort m'y désignait, écrivait Vieillard au Père O'Reilly 38. Je ne sais pas trop quelle explication est la meilleure. Je crois que la psychose de guerre, dans laquelle nous avons grandi, dure encore pour moi. Je ne veux pas être autre chose que combattant, quand ma nation est en guerre. Oui, quand un pays est en guerre, les hommes doivent y être, qu'ils soient pacifiques ou non, et y faire leur métier de soldat. Cela n'empêche pas de haïr la guerre. »

La drôle de guerre se déroule dans les cantonnements ardennais. L'Africain est caporal d'un groupe marocain. Le 11 novembre, il écrit :

« Nous devions faire des fouilles, en novembre, avec Théodore Monod, afin de retrouver les vestiges des civilisations nègres disparues. Ici, nous retrouvons les vestiges d'une “civilisation” plus récente, celle de 14-18, c'est-à-dire des fusées et des éclats d'obus rouillés, lamentables ferrailles. »

En février le sergent Vieillard est aux avant-postes, en avant de la Ligne Maginot. Le 1er avril 1940, il écrit à Patrick O'Reilly :

« Avant-hier, à la même heure, j'étais dans le fond d'une rivière, repêchant un blessé râlant, qui pesait lourd et vomissait dans mes bras son déjeuner et sa cervelle. J'ai eu ma peau de mouton et ma veste coupées par un éclat à la hauteur des reins. Blessé aux fesses, quelle honte c'eût été !

En mai, en permission, il apprend l'invasion de la Hollande. Revenu au front, les combats le mènent de la frontière sarroise dans le département de la Meuse. Sur une colline qui domine Chalaines il est atteint par une rafale au visage. Il meurt au même instant que huit de ses frères marocains. »

A l'IFAN on rend hommage à Vieillard, ce « Blanc d'un modèle aussi inaccoutumé » 39. Du Fuuta Jalon, le jeune Bah Mamadou écrit :

« Il a longtemps commandé la subdivision de Dalaba. C'étaient la tranquillité, la paix, l'estime, la confiance. Quand il a été affecté à Mamou, on entendait bien des gens pleurer. Tous les mendiants qui venaient chez lui les vendredis sont venus lui dire au revoir. Le jour même de son départ, on a improvisé ce chant :

Baba aduna yahi
Awa ɓuttu lanni
Ko nyawi fow yo sellu
Ko mawni fow yo wakkilo
Ɓuttu lanni!

Le père du monde est parti
Finie la visite du bon conseiller
Donc la paix est terminée
Désormais : que tous les malades se guérissent eux-mêmes
Et que tous les vieux fassent bien attention
car elle est finie la visite du bon conseiller

Le jour que Tierno Mamadou Diolaké a appris sa mort à Mamou, il a invité toute sa famille à pleurer le “Saint-Homme” et comme il est de coutume chez nous d'immoler un animal quand on perd un parent, l'imam a sacrifié un mouton. »

« Pour moi, l'Afrique est un stimulant extraordinaire d'entrée dans l'imaginaire », écrivait le cinéaste Jean Rouch en 1993, sous le titre: « Comment devenait-on africaniste ? Un coup de foudre 40 ! » C'est dire que l'exotisme n'est pas seulement trompe-l'œil. Gilbert Vieillard a plongé dans le rêve. Mais non celui d'une nature exotique, comme y invitaient de nombreux textes de propagande qui oubliaient l'Autre. Il entre dans le rêve des hommes. Il appartient à une lignée d'africanistes qui, depuis Maurice Delafosse, se comportent comme des médiateurs entre civilisations, des coopérants au sens le plus noble. Son regard sur l'Afrique n'est pas en harmonie parfaite avec les discours en vogue au moment de l'exposition de Vincennes 41. Il atteste de l'émergence d'un humanisme colonial.

Notes
1. Dès 1942, le Révérend Père Patrick O'Reilly faisait paraître, hors commerce « pour lui garder un caractère intime », un livre intitulé Mon ami Gilbert l'Africain, imprimé à Dijon, 167 p. Ce récit contient de nombreux passages de lettres de Vieillard à l'auteur et surtout à ses parents. Les citations non référencées qui suivront en sont extraites.
2. Centre des Archives d'Outre-Mer, Aix-en-Provence, EM3704, dossier de l'administrateur Gilbert Vieillard.
3. Robert Delavignette, préface à Mon ami Gilbert l'Africain, op. cit., p. 12.
4. Lettre à sa mère, de Say, 4 décembre 1926, O'Reilly p. 77.
5. École Normale de Dakar qui a formé de très nombreux cadres de l'AOF et des futurs États indépendants.
6. “Notre ami Vieillard”, Notes Africaines, bulletin d'information et de correspondance de l'IFAN, juillet 1943, n° 19, pp. 1-2.
7. Archives de Dakar, 2G-36. CARAN, 200 mi 1777, rapport du Gouverneur général de l'AOF, incidents de février 1936.
8. Le cahier n° 96 « Sur les émigrés en Sierra Léone » contenait 6 documents, dont un « Rapport de G. Vieillard au commandant du cercle de Mamu » le 5 juillet 1936, 40 p., et un rapport de tournée faite du 24 au 28 avril 1936 sur l'affaire de Niomolo entre garde frontières et Fulɓe émigrants, 20 avril 1936.
9. “Notes sur les Peuls du Fuuta Jalon”, Bulletin de l'FAN, n° 1, 1940.
10. Idem, op. cit. p. 133.
11. Ibid. p. 171. Jean Suret-Canale s'appuie sur plusieurs citations de Gilbert Vieillard dans le chapitre consacré à “La Guinée sous le système colonial” de son ouvrage La République de Guinée, Éditions sociales, 1970, 432 p.
12. Vieillard, cité par Delavignette, O'Reilly, p. 11.
13. “Coutumier du Cercle de Zinder” par Gilbert Vieillard, dans Coutumiers juridiques de l'AOF, Tome III, Mauritanie, Niger, Côte d'Ivoire, Dahomey, Guinée, Paris, Larose, 1939.
14. Henri Gaden, Préface aux Coutumes des Peuls du Fuuta-Jalon.
15. Gilbert Vieillard, “Notes sur l'exode Toucouleur”, 1934, publié dans Cahiers d'Études Africaines, mai 1960, pp. 193-197.
16. On trouve par exemple un poème de 46 vers intitulé Sur notre triste époque : contre la dominationfrançaise dans le cahier 65 du Fonds Vieillard à Dakar. Dans le cahier 66, un poème intitulé “Louange à la domination française” de 115 vers n'est pas dénué d'une certaine ambiguïté. Il est reproduit en annexe. C'est un témoignage intéressant de la perception du rapport colonial par les Africains.
17. “Notes sur les Peuls du Fuuta Jalon”, Bulletin de l'IFAN, n° 1, 1940, p. 171. On pense ici à Michel Leiris : « Nous qui faisons métier de comprendre les sociétés colonisées auxquelles nous nous sommes attachés… il nous revient d'être comme leurs avocats naturels vis-à-vis de la nation colonisatrice à laquelle nous appartenons… » — exposé de 1950 (« L'ethnographe devant le colonialisme », Cinq études d'ethnologie, Denoël 1969, p. 89).
18. Cf. la périodisation des études africaines proposée par Jean Copans, Critiques et politiques de l'anthropologie, Maspéro, 1974, p. 90. Une étude du contenu de l'œuvre de Vieillard par un spécialiste de l'anthropologie culturelle permettrait peut-être de dire si l'administrateur est resté, comme d'autres, au simple stade de l'analyse fonctionnaliste débouchant sur de simples améliorations au niveau administratif (ce qui était sans doute l'objectif des coutumiers), si elle rejoint le camp de ceux qui pensaient qu'il n'y a pas de bonne colonisation sans ethnologie bien faite, ou si les éléments d'analyse du rapport colonial sont suffisants pour parler de caractère novateur.
19. CAOM, EE II/3704, 27-09-1938, dossier Gilbert Vieillard, sur dérogation.
20. CAOM, EE 11/3704, 29-081939.
21. Ce fonds est entré à l'IFAN à la suite d'échanges de lettres entre Théodore Monod et Madame Vieillard entre 1942 et 1947. Son contenu a été publié dans Catalogue des manuscrits de l'IFAN, par Thierno Diallo, Mame Bara M'Backé, Mirjana Trifkovie, Boubacar Barry (Fonds Vieillard, Gaden, Brévié Figaret), Université de Dakar, IFAN, catalogues et documents n° XX, 1966, 160 p.
22. Orthographe du Fonds Vieillard.
23. Thierno Diallo signale, parmi les spécialistes qui se sont intéressés au Fonds Vieillard: Amadou Hampâté Bâ, Lavergne de Tressan, HFC Smith, Alfâ Ibrâhîm Sow.
24. Par exemple en 1937 Louis Tauxier, ancien administrateur des colonies, Mœurs et Histoire des Peuls, Payot, 420 p., et plus récemment, Marguerite Dupire, Organisation sociale des Peuls, Plon, 1970, 416 p., dont la bibliographie recense environ quatre-vingts auteurs différents. On peut citer également un article de Jean Gallais dans la Revue de Psychologie des Peuples, n° 3, 1969, Le Havre, pp. 231-251 intitulé “Les Peuls en question”.
Marguerite Dupire, dans son imposant ouvrage, emprunte souvent à Vieillard à propos du mariage (la dot, les arrangements à propos des enfants d'épouses divorcées, l'existence de concubines serves), des groupes domestiques (l'habitat du cultivateur—pasteur sédentaire — le wuro : l'endroit où l'on vit), les modes de succession (l'influence de la tradition patriarcale sur les successions, les infanticides envers l'enfant illégitime), la région politique (l'absence de droit foncier des chefs politiques et religieux), les échanges chez les Foula de Guinée (un ingénieux système de comptage en unité appelée waalaare servant à l'échange des animaux, tissus et objets). Jean Gallais évoque, de Vieillard, l'analyse serrée du maillage social et politique au Fuuta-Jalon.
25. Amadou Hampâté Bâ est né vers 1900 à Bandiagara et mort le 15 mai 1991 à Abidjan. Cf. Amkoullel, l'Enfant Peul, Mémoires 1, Actes Sud 1991, 412 p. et Oui mon Commandant!, Mémoires 2, Actes Sud, 1994, 397 p.
26. Extrait d'un livre-questionnaire non publié, réalisé par un vieil ami d'Hampâté Bâ. Communiqué par Mme Hélène Heckmann.
27. « Je rêve d'un alphabet qui pourrait se passer de lettres pointées et qui serait tapable avec les lettres de n'importe quelle machine française : personnellement j'abandonne la graphie Gaden pour cette raison… Les linguistes me honniront ! Mais vive la simplicité… » (Gilbert Vieillard à Figaret, 19 août 1939, Fonds Figaret, IFAN, Dakar, annexe au cahier n° 10).
28. Lettre du 6 juillet 1939, idem. Dans le post-scriptum : « Ne mettez pas d'h à peul, c'est un mot wolof, sans aucune espèce d'h. »
29. Le colonel Figaret est décédé en été 1943, Il s'apprêtait à mettre au net le fonds Vieillard. Il avait écrit à Théodore Monod, en février : « La documentation est écrasante et du plus grand intérêt. Malheureusement il n'y a pour ainsi dire pas de traduction. Il sera extrêmement pénible d'en extraire une publication digne de la mémoire de notre héroïque ami. J'espère seulement si je recouvre la santé y arriver, grâce à la collaboration et au dévouement de M. Amadou Hampâté Bâ. » Notes africaines, IFAN, n° 19, juillet 1943, p. 3.
30. Gilbert Vieillard avait trois filles : Mariam, Claude et Renée.
31. Extrait d'une Note orale dictée par Amadou Hampâté Bâ, communiquée par Mme Hélène Heckmann : « … Monod m'a écrit — dit Hampâté Bâ — en me demandant si j'avais déjà fait un travail quelconque sur l'ethnologie ou d'autres domaines… je lui ai envoyé mon travail historique sur l'ordre de la Tijjaniya. Monod a envoyé ce travail à Louis Massignon… ainsi qu'à René Guénon (…) C'est fort de tout cela que Monod est allé voir le gouverneur… »
32. Cf. Hélène Heckmann, dans Mémoires II d'Amadou Hampâté Bâ, Oui mon Commandant !, annexe p. 396.
33. Aly Gilbert Iffono, Lexique historique de la Guinée-Konakry, L'Harmattan 1992, 235 p.
34. Le Rassemblement Démocratique Africain est né en septembre 1946 [à Bamako] comme expression conjuguée du sentiment national et d'une volonté d'unité interafricaine. Il réclamait, dans le cadre de l'Union Française, l'égalité des droits politiques et sociaux, les libertés individuelles et culturelles et des assemblées locales démocratiques. Cf. Hélène d'Almeida-Topor, L'Afrique au XXe siècle, A. Colin 1993, p. 188. Parmi les sept députés signataires de l'appel originel, Lamine Guèye, Félix Houphouët-Boigny et Yacine Diallo, le Guinéen de l'Amicale Vieillard.
35. Selon J. Suret-Canale, sous la pression du ministère de la France d'Outre-mer, La République de Guinée, Éditions sociales, 1970, pp. 144-164.
36. Lettre à l'auteur, Paris, le 23 juillet 1996.
37. Théodore Monod, L'Émeraude des Garamantes, Souvenirs d'un Saharien, L'Harmattan 1984, p. 32.
38. 19 octobre 1939. Gilbert L'Africain, p. 118.
39. Notes africaines, Bulletin de l'IFAN, n° 19, juillet 1943. En annexe, la première page des souvenirs de Mamadou Bah.
40. L'Afrique d'une société savante, textes réunis par Marie-Paule Ferry, Société des Africanistes, Musée de l'Homme 1993, p. 29.
41. Le maître d'œuvre en fut le Maréchal Lyautey. Cette mise en images didactique et exotique de l'idée coloniale proposée aux millions de visiteurs, de mai à octobre 1931, était destinée à rendre les Français plus coloniaux. Cf. Charles-Robert Ageron, « L'exposition coloniale de 1931 », in Pierre Nora, Les lieux de mémoire, La République, Gallimard, Paris, 1984, et Catherine Hodeir et Michel Pierre, L'Exposition coloniale, Ed Complexe, 1991, 160 p.