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Kaidara
Récit Initiatique Peul
Rapporté par Amadou Hampâté Bâ
Edité par Lilyan Kesteloot & Alfâ Ibrâhîm Sow

Classiques Africains. Paris. Julliard. 1969. 181 p.


       Table des matieres      

Kaydara — Strophes 695-710

Ndaa wonkiili ana ngondoy e torra.
Nunɗube ittoyan faa laaɓa janngal. 695
Haalnam iwdi maa ee ɓinnga Aada!
e hoto hen paatu-ɗaa ee taani Haawa!
Daabaa koyɗe ɗiɗi haalnara ko ngon-ɗaa. »
Taton ɓee fuu yo Hammadi samti waawde
juheede so yuɓɓa tawa fay milloyaali 700
nii mo jaaboya mo wii :
— « Nguurndam e maayde waɗaama nder meeɗen hoɗii.
Anniima ganndeb e gannde annii cippira.
Ndiyam ɗam e ndaa maa leydi anɗon duura tan.
Kala poolgu heɓoyaa nyaamo 705
nano mum daccitoo.
Tino fuu danyaa funnaange
gorgal murso woni.
Ndaa njolbu anndal koo
yo metengal kuɓɓungal. 710
Yoo henndu anndal maaɗa

Notes
a. Forme orale pour jaaboyii.
b. Désigne le torse, la poitrine et ne doit pas être confondu avec le dérivé ganndal (pl. gannde) du radical verbal annd- exprimant l'idée de savoir, de connaissance ; on le trouvera d'ailleurs dans le vers 711 sous la forme anndal (pl. gannde ou annde selon les dialectes).

Voici les âmes, elles prient.
Les justes paient la dîme comme il faut.
Dis-moi d'où tu viens, ô toi le fils d'Adam !
et où vas-tu toi-même, ô petit-fils d'Ève !
Et toi l'animal bipède, dis-moi qui tu es ».
Hammadi, le plus capable des trois
— et jamais en peine d'improviser 1 des vers —
répondit en ces termes et dit :
« La vie et la mort mises en nous demeurent.
Torse contre torse, elles s'y trouvent, elles y luttent.
Comme l'eau contre la terre, elles y luttent sans répit.
Chaque victoire gagnée sur la droite
sur la gauche est défaite.
Tout gain acquis à l'Est,
à l'Ouest devient perte.
Notre faim de connaître
est un feu toujours ardent.
Le vent de ton savoir

Notes
1. La notion d'improvisation égare celui qui n'est pas à même de comprendre car Hammadi n'improvise pas du tout; il répond consciencieusement à la chanson-piège; il répond à chaque question, complète chaque phrase inachevée avec une aisance et une précision qui prouvent non ses capacités littéraires, mais son avance dans l'initiation.
Analysons ces questions et réponses ainsi que leur signification : la mort tue les êtres, le temps avale la mort; c'est un rébus que Hammadi explique en indiquant sa connaissance du dualisme fondamental; il y a dans l'homme la mort et la vie, le bien et le mal, comme le bien et le mal viennent du même Geno. De même, toute chose a son aspect positif (diurne) et son aspect négatif (nocturne); la rivalité de la gauche et de la droite, des points cardinaux opposés, est du même ordre, ainsi que celle des sexes, du jour et de la nuit etc… Hammadi ne détaille pas ici tous les dualismes existants; il se contente de montrer qu'il connaît cette loi cosmique.
Le vent qui souffle attise le feu, l'avive; ici, c'est une métaphore que Hammadi explicite votre science avive notre désir de savoir; voici les âmes, elles prient ; Hammadi répond nous-mêmes que voici avons déjà prié ; à l'heure de la prière, nous l'avons accomplie. Les justes paient la dîme comme il faut ; Hammadi répond : nous avons payé la dîme du beurre, nous l'avons acquittée; autrement dit, sur le plan des rites, nous sommes en règle.
D'où venez-vous ? Hammadi répond : de la goutte de sperme tombée au creux du sexe féminin (creux fertile, voilé et caché). Où allez-vous ? Hammadi répond : vers la disjonction, la putréfaction, le retour à la source, c'est-à-dire le processus de désintégration du corps après la mort et le retour à la terre-mère d'où l'homme est venu.
Qui êtes-vous ? Hammadi répond: des créatures créées; et des créés créateurs. En effet, si le bipède humain est créé par Geno, il reste le seul à pouvoir créer à son tour à cause de son intelligence ; il peut inventer des choses qui n'existaient pas, il peut créer ces choses.
Hammadi conclut : nous n'avons pas faibli sur la route, ce qui signifie que nous avons supporté toutes les épreuves et nous tenons à continuer l'initiation de Kaydara.