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Henri Lhote.
L'extraordinaire aventure des Peuls

Présence Africaine : Revue culturelle du monde noir. Paris. Oct.-Nov. 1959. pp. 48-57


Peu de populations africaines ont fait verser autant d'encre que les Peuls pour la raison majeure qu'ils n'ont jamais été considérés comme des autochtones de l'Ouest africain, et qu'ils posent un problème ethnographique resté, jusqu'ici, non résolu, d'une façon satisfaisante. Les premiers voyageurs qui les virent furent frappés par leurs différences foncières avec les Noirs et ne voulurent pas les reconnaitre pour tels. Au XVIe. siècle, Léon l'Africain les comparait déjà aux Tziganes et cette comparaison physique n'était pas déplacée que cela. Hovelacque (1889) résumait alors la question en ces termes :

« Il ne faut pas oublier qu'au cur même du pays des nègres, occupant une grande partie de la région située entre le Tchad et l'Atlantique, a pénétré et s'est installé une race conquérante, de race rouge, les Peuls ou Pouls, originaires de l'Est et qui n'ont rien de commun avec les races au milieu desquelles ils se sont violemment établis. La population peule est incontestablement supérieure à celle des Noirs ; partout où elle a rencontré cette dernière, elle lui a fait subir son influence et, au point de vue ethnique, nombre de peuplades métisses se forment aujourd'hui grâce au mélange des deux races, la noire originaire et la rouge envahissante.»

Sans préjuger de la signification du mot « Est », d'où les Peuls seraient venus, cette opinion était générale pour tous les voyageurs qui ont eu l'occasion de les visiter.

Peut-on définir les caractères anthropologiques de cette population à l'origine énigmatique ? Pour reprendre une expression du Dr Pales, chef de la mission anthropologique en A.O.F. et sous-directeur du Musée de l''Homme à Paris, il n'y a pas un type peul, mais des types peuls. On le conçoit d'ailleurs très bien lorsqu'on considère l'écheveau entremêlé que forment aujourd'hui les différentes familles peules imbriquées dans les multiples populations noires avec lesquelles elles se sont souvent croisées.

De nos jours, peu de Peuls sont racialement purs, surtout dans les groupes en partie sédentaires et je pense que c'est chez les nomades absolus, désignés le plus généralement sous le nom de Bororo, que se trouvent les types les plus clairs et vraisemblablement les plus proches du type original. Malheureusement les Bororo n'ont jamais été étudiés anthropologiquement et c'est un hiatus à combler d'urgence, car les données connues, provenant essentiellement de Guinée ou du Fouta Djalon, ne peuvent être entièrement prises en considération pour établir la définition du type physique, étant donné le nombre considérable d'individus présentant des signes de croisement avec les races noires.

Par rapport aux Noirs, les Peuls se distinguent par :

Ce sont là les caractères les plus évidents à côté d'autres qu'un anthropologue ne manquerait pas de mettre en lumière. Dans la mesure où les individus ne sont pas trop métissés, ils apparaissent comme pouvant se situer entre les Noirs et les Blancs pour cette raison ; certains auteurs n'ont pas hésité à expliquer l'origine du type comme étant le produit d'un croisement, conception peut-être un peu simpliste.

C'est ainsi que le Dr Roubaud fait venir les Peuls d'un mélange de Berbères et de Noirs, thèse réfutée très justement par le Dr Lasnet qui n'admet pas qu'un tel métissage ait pu engendrer une population si nombreuse. Il a pu s'introduire du sang berbère chez les Peuls à une époque reculée, de même qu'il s'en introduit aujourd'hui dans les régions où les deux populations sont en contact, mais ce ne sont pas les Berbères qui sont à leur origine.

La thèse sémitique, de Delafosse, qui en faisait des métis de juifs et de Noirs, est célèbre. Elle s'appuie sur plusieurs légendes peules qui les font venir d'Orient — Kenana (c'est-à-dire Chanaan) — et leur attribuent une mère juive. Delafosse a brodé là-dessus et, après les avoir identifiés avec les Juifs de Cyrénaïque et du Touat, les retrouve dans la région de Ghana, en imaginant, d'autre part, une migration secondaire à travers l'Aïr qui aurait suivi l'itinéraire de Cornelius Balbus. Son autorité a valu à cette théorie un certain retentissement, mais n'est plus sérieusement soutenue de nos jours et est simplement remisée dans les archives volumineuses de la « Poulologie ».

Parmi les hypothèses les plus fameuses, celle d'Eichthal vaut d'être citée, car cet auteur, après un examen serré du vocabulaire, concluait à un apparentement entre la langue peule et la langue malaise, en conséquence, que les Peuls devaient venir de l'archipel malais. Inutile d'insister sur le peu de valeur de telles données. D'autres auteurs les firent venir des Indes (théories qui avait suscité les recherches d'Eichthal), d'autres d'Arabie, sans compter les fantaisistes qui en firent un rameau humain apparenté aux Bretons, aux Basques, aux Annamites, etc. Faute de bases solides, la porte était ouverte à la libre imagination ou à des hypothèses bien fragiles, telles celles qui en firent les descendants des Hyksos ou des Garamantes.

Les Peuls eux-mêmes ont passablement contribué à brouiller les cartes, car ils s'attribuent communément des ancêtres arabes, qui, en arrivant au Soudan, auraient épousé des femmes du pays. La tendance à vouloir s'apparenter à la race « noble » des descendants du Prophète est générale chez les nouveaux convertis, qu'ils soient Noirs ou Blancs, de sorte qu'on ne peut sérieusement retenir cette origine.

L'avis des linguistes aurait pu être plus déterminant, mais là non plus, cri n'a pu se mettre d'accord, du fait que le poular serait une langue empruntée aux Sérères, c'est-à-dire à une langue noire. Toutefois son apparentement avec le bantou a été mis en lumière par le célèbre explorateur allemand Henri Barth, et cette théorie a été acceptée ultérieurement par d'autres autorités linguistiques. Mais la question se pose de savoir si leur langue a été empruntée aux Sérères ou si ce sont ces derniers qui auraient emprunté la leur aux Peuls. Ce problème n'est pas encore résolu et, d'autre part l'on peut trouver anormal qu'un groupement humain numériquement aussi important que celui des Peuls ait emprunté sa langue à un petit peuple de quelques dizaines de milliers d'individus. Si cette théorie était un jour mise en brèche, il n'y aurait pas lieu de s'en étonner outre mesure, car il est difficile de voir les motifs qui auraient entraîné cette substitution importante. L'apparentement Bantou-Massai prévaut largement aujourd'hui. Or cet apparentement du Poular et du Massaï n'est certainement pas fortuit, puisque l'anthropologue Verneau et avant lui Tautain qui avait tous deux étudié plusieurs crânes peuls n'avaient pas à hésiter à les rapprocher du type éthiopien.

Ce n'était d'ailleurs pas la première fois qu'une origine éthiopienne était attribuée aux Peuls, puisque Mollien, dès 1878, en faisait des Nubiens. Barth était du même avis et alla même jusqu'à avancer qu'ils avaient dû occuper toute l'Afrique septentrionale à une époque lointaine, antérieure à celle de l'installation des Berbères. C'était là une conception géniale et nous y reviendrons plus loin.

Avec des variantes, la théorie éthiopienne fut également émise. Par Crozals, Faidherbe, Muller, Schweinfurth ; quant à Haeckel, le fameux naturaliste, auteur de la théorie du classement des races humaines en se basant sur la nature des cheveux, tout en les apparentant aux Éthiopiens, en fait un groupe à part, avec les Barabra, celui des Nubiens, ce qui rejoignait l'idée de Mollien, mais en s'appuyant sur des bases plus scientifiques. Ce point de vue domine à l'heure actuelle et c'est celui que l'on trouve exposé le plus généralement dans les ouvrages classiques, où on les englobe dans, le groupe des Habites orientaux.

Toutefois, si jusqu'à plus grande information on peut considérer les Peuls comme racialement apparentés aux Éthiopiens, il y a lieu de préciser que l'on connait anthropologiquement encore très mal et les uns et les autres, ce qui fait voir, une fois de plus, le travail considérable que l'anthropologie a encore à accomplir en Afrique avant que l'on puisse s'appuyer sur des données définitives. Nous nous contenterons donc pour le moment d'un nombre de mensuratiens comparées peu nombreuses et nous nous efforcerons de combler ce hiatus par d'autres éléments d'ordre archéologique et culturel.

Cette origine éthiopienne ou nubienne implique une migration extraordinaire, ni plus ni moins que la traversée totale de l'Afrique d'est en ouest, migration sur laquelle nous n'avions jusqu'à ce jour aucune donnée, ni archéologique ni historique, permettant d'en préciser les modalités. A l'heure actuelle les Peuls sont répartis entre le Fouta Djalon et le Ouadaï et c'est de l'ouest qu'ils ont atteint cette région, à une période toute récente, alors que la logique aurait voulu qu'elle fût sur le chemin des premières migrations venues de l'est. Or, toutes les traditions, et celles-ci sont souvent confirmées par l'histoire, font partir les Peuls du Fouta Djalon ou du Fouta Toro ; leur absence entre le Ouadaï et l'Éthiopie est un argument à retenir qui confirmerait qu'ils ne sont pas venus en droite ligne d'Éthiopie ; les traditions s'accordent, au contraire, à les faire arriver sur le Sénégal venant du nord, c'est-à-dire de la Mauritanie, voire du Sud-Marocain. Ce mystérieux passé des Peuls a engendré une littérature considérable qu'il y a lieu d'examiner rapidement.

Le Dr Lasnet les fait partir de la Haute-Égypte pour les faire aboutir dans le Sud-Marocain où ils auraient été connus des auteurs de l'Antiquité sous le nom de Leuco-Ethiopiens, c'est-à-dire d'Ethiopiens blancs. Peut-être les Peuls furent-ils les Leuco-Ethiopiens de Pline et de Ptolémée, du fait qu'il n'est pas impossible que certains de leurs éléments aient habité le Sahara aux environs des premiers siècles de l'ère chrétienne ; ils s'identifieraient alors aux Bafours, considérés comme les anciens habitants de la Mauritanie, que les Maures trouvèrent sur place lors de leurs migrations vers le sud. Cependant Barth préférait les identifier aux Pyri-Ethiopiens, ou Éthiopiens brûlés, à cause de leur peau foncée, appellation plus adéquate que celle que laisse supposer le terme de Leuco-Ethiopiens. Cette discussion risque de demeurer stérile, car nous ne saurons jamais la différence que faisaient les Anciens entre les termes de blanc et de brûlé en parlant des Éthiopiens qu'ils ont toujours opposés aux populations blanches ; que, d'autre part, nous ignorons si les Peuls, il y a deux mille ans, étaient aussi foncés qu'à l'heure actuelle, alors que tout laisse supposer que les métissages avec les populations noires ont été plus fréquents depuis qu'ils ont atteint le Sénégal.

André Arcin adopte un point de vue semblable, c'est-à-dire qu'il les fait venir de la lisière nord du Sahara jusque dans le Sud-Marocain ; pour lui, les Peuls seraient les Phout de la Bible, idée déjà avancée par Eichthal.

Tauxier, à qui l'on doit un gros ouvrage sur les Peuls, dans lequel il discute toutes les théories émises à leur sujet, préconise lui aussi la route sud-algérienne et accepte leur identité avec les Phout, ce qui les ferait émigrer de leur pays d'origine vers le VIe siècle avant l'ère chrétienne.

Béranger-Féraud, Verneau et d'autres indiquent, eux aussi, la route septentrionale comme étant celle de leurs migrations.

Seul, Motel propose la limite sud du Sahara.

En somme, le Sahara lui-même est exclu et l'on comprend facilement pourquoi, puisque, considéré jusqu'alors comme un pays désertique et inhabitable, il n'aurait pas été raisonnable de le faire traverser par une population dont l'économie s'appuyait sur l'élevage, étant donnée qu'on s'accorde à attribuer aux Peuls l'introduction du zébu en Afrique occidentale.
Barth, parmi tous les auteurs, est le plus nuancé. Pour lui, les Peuls auraient été autrefois en contact avec les Bantous, ceci à une époque fort reculée qu'il situe vers 3000 ans avant l'ère chrétienne et auraient occupé, toute l'Afrique septentrionale entre l'Atlas et le Soudan, avant l'expansion des Berbères dans cette région.
A notre sens, c'était pour l'époque une conception de génie qui découlait de sa grande connaissance des populations de l'Afrique et de ce qu'il avait observé et appris dans sa double traversée du Sahara. En savant averti il avait saisi que le Sahara n'avait pas toujours été le désert inhabitable qu'on avait dit, et par ailleurs, les gravures rupestres de Tel Izahren et d'autres lieux qu'il avait vues et dont plusieurs représentaient des boeufs, lui faisaient entrevoir que des peuples pasteurs avaient dû y vivre autrefois.
Depuis Barth les recherches effectuées dans le désert n'ont fait que confirmer ses pronostics. Non seulement des outils préhistoriques ont été trouvés par milliers, mais c'est par milliers également qu'ont été trouvées des gravures et des peintures rupestres figurant des bovidés. Ces documents se répartissent sur toute la surface du Sahara — là où bien entendu des roches supports permettaient leur exécution, depuis le Haut-Nil jusqu'à l'Atlantique. Et ces faits nouveaux, non encore sérieusement considérés par ceux qui se sont occupés de l'histoire des Peuls 1, démontrent magistralement que le Sahara, à une époque donnée, a été totalement occupé, par des pasteurs possédant, non pas le zébu, mais le bœuf à longues cornes (Bos africanus) et le boeuf à cornes courtes et épaisses (Bos brachyceros).
Qui étaient les auteurs de ces gravures et de ces peintures pariétales, dont beaucoup sont de véritables œuvres d'art, d'où venaient-ils, et à quelle époque les ont-ils confectionnées? Autant de questions soumises à la sagacité des archéologues.
Les figurations humaines qui accompagnent les bovidés ne sont pas suffisamment homogènes pour définir à coup sûr un type humain et, à plus forte raison, une race. Mais, dans l'ensemble, elles présentent une allure générale qui est la sveltesse, la grâce et le parfait équilibre des corps et les traits eux-mêmes paraissent, de façon générale plus europoïdes que négroides ; dans bien des cas, le faciès éthiopien est même incontestable. Les coiffures, si typiques des différents groupement humains de l'Afrique actuelle, ne sont pas uniformes non plus, mais dans de nombreux cas, on retrouve les coiffures en cimier évoquant d'une manière surprenante celles des femmes peules, ainsi que des coiffures à cadenettes ou à chignon, semblables à celles que portent les femmes et les jeunes filles peules du Macina. Devant ces documents millénaires, cachés dans les abris sous roche du Hoggar et du Tassili, j'ai été frappé par la ressemblance et, sans hésitation, mon premier réflexe fut de dire : mais ce sont des Peuls. L'association avec des boeufs ne pouvait effectivement que renforcer l'impression et des scènes de danse au milieu des troupeaux évoquaient également la boolâtrie de nos pasteurs peuls soudanais. Tout cet étage de peinture associe l'homme aux bovidés et on y perçoit différents détails ethnographiques, tels que les vêtements de tissu — qui s'opposent ici aux vêtements de peau des chasseurs, lesquels devaient dominer à une époque antérieure — et la hutte hémisphérique. Là encore vêtements en tissu et hutte hémisphérique sont caractéristiques des Peuls, qui savent tisser, non seulement le coton, mais aussi la laine. Nous sommes encore mal fixés sur l'introduction du métier à tisser dans l'Ouest africain, mais on le considère d'origine asiatique (Chine) et il serait parvenu, soit à travers la vallée du Nil, soit, plus probablement, après avoir contourné l'Afrique par la côte méditerranéenne et atlantique (Montandon). Il ne serait donc pas impossible que les Peuls aient été les agents de sa transmission ; lorsqu'on sait la place qu'ils tiennent dans le tissage en A.O.F. — les meilleurs tisserands, en particulier ceux de Macina, sont des Peuls, — cette hypothèse prend un caractère de grande probabilité.

Quant à la hutte hémisphérique, on sait qu'elle appartient à ce que les ethnologues appellent la civilisation hamitique des pasteurs, représentés dans l'Ouest africain par les Peuls.
Il y a lieu d'insister sur la nature des bovidés figurés dans les rupestres ; ce ne sont pas des zébus, mais des boeufs sans bosse, les mêmes espèces que l'on voit représentées sur les monuments égyptiens. Or, si le Bos brachyceros est ordinairement considéré par certains zootechniciens comme étant d'origine asiatique — encore que d'autres l'assimilent au Bos ibericus connu à l'état sauvage en Afrique du Nord —, le Bos africanus, ainsi que l'indique son nom, est incontestablement africain. Il existait en Egypte à l'état domestique, à une époque très reculée et l'on suppose qu'il fut domestiqué sur le Haut-Nil, région plus propice à l'existence de cette espèce que les bords du Nil. Bos africanus et Bos brachyceros n'existent plus, bien entendu, au Sahara, mais on les retrouve en Afrique occidentale, précisément entre les mains des bergers peuls, parfois à l'état pur, le plus souvent croisés avec le zébu originaire d'Asie qui lui n'a pas été introduit au Sahara dans les temps antiques où il n'est jamais représenté et est parvenu dans l'Ouest africain par l'est en cheminant à travers la steppe à graminées. Les grandes cornes en lyre, si typiques des figures, des gravures et des peintures rupestres, se retrouvent en particulier dans les troupeaux peuls Bororo des colonie françaises du Niger et du Tchad.
L'âge des rupestres a naturellement suscité des discussions et le seul fait positif à retenir, c'est qu'en plusieurs cas des outils néolithiques ont été trouvés en relation avec des stations. L'arc — arme des Peuls pasteurs —, lui aussi considéré comme un élément de la civilisation hamitique, est figuré dans les rupestres de l'étage des pasteurs à bovidés. Son aire de répartition avec celui de nombreuses pointes de flèche en silex qui ont été retrouvées jusqu'alors au Sahara; leur répartition est très suggestive, puisqu'elle englobe toutes les régions sahariennes, sans empiéter sur le Tell algérien et sans dépasser pratiquement,au Sud, le parallèle de Gao. Ces données permettent de conclure que les pasteurs sahariens vivaient à l'époque néolithique, celle-ci étant considérée ici en fonction de l'Egypte ainsi que d'une persistance plus tardive de l'emploi de la pierre au Sahara que dans les autres régions. Si, par ailleurs, on tient compte des données égyptiennes — prépharaoniques — de la domestication, de même que des rapports de style des gravures et des peintures avec ceux de l'art égyptien prédynastique et dynastique, on est amené à conclure que les migrations les plus anciennes doivent remonter à 4000 ou 4500 ans avant Jésus-Christ. La route qu'elles ont suivie est marquée par les grandes zones à rupestres, telles que le Tibesti septentrional, le Tassili oriental, le Hoggar.
Les deux premiers massifs ont dû être atteint par l'est, car c'est sur leurs parties orientales que les ceuvres sont les plus nombreuses, voire concentrées. Le Hoggar n'apparaît, en la circonstance, qu'une annexe artistique du Tassili, mais il a joué ultérieurement un rôle très important, car c'est en partant de ce pays que les pasteurs ont plus tard gagné l'Adrar des Iforas et vrai semblablement l'Ouest africain. Il en est de même du djebel Ouénat en Libye, dont on connait la richesse en peintures, qui apparaissent comme la résultante d'une migration secondaire venue du Tibesti. Quant au massff de l'Aïr, aujourd'hui très propice à l'élevage, il a été à peine effleuré vers le nord et ce détail est à retenir, car, si l'on tient compte de la répartition des documents au Tibesti et dans l'Ennedi, on peut en conclure, contrairement à ce que la géographie physique actuelle pourrait suggérer, que les pasteurs n'ont pas suivi la zone méridionale du Sahara à caractère steppique.
Les qualités des oeuvres du Tibesti, du Tassili et du Hoggar se valent et il n'est pas possible de déceler le moindre décalage chronologique, ce qui implique une certaine unité culturelle à une époque donnée de la vie du Sahara ; mais à l'Ouest, elles décroissent nettement, non seulement en qualité, mais aussi en quantité. A quoi cette dégénérescence artistique est-elle due?
Rëpetons que les oeuvres pariétales n'ont pu être confectionnées que là où l'existence des roches supports le permettant.
Le Tassili et le Tibesti gréseux, avec leurs nombreux abris sous roche étaient, évidemment, des lieux d'élection pour les artistes. Le Hoggar granitique présentait déjà moins de possibilités pour les peintres et c'est pourquoi les gravures l'emportent en nombre. Si la migration s'est faite d'est en ouest, comme tout porte à l'admettre aujourd'hui, il est certain que les peintres, à partir du Tassili, ont trouvé de moins en moins de matériaux appropriés au fur et à mesure qu'ils avançaient vers l'ouest là où dominent les ergs et les regs. Ce phénomène aurait donc entraîné, par manque de pratique imposée par la nature du terrain, une dégénérescence progressive de l'art.
On petit supposer que les migrations initiales eurent pour cause un développement considérable de l'élevage, vraisemblablement à l'aurore de la domestication et la recherche de pâturages nouveaux ; le pullulement des bêtes — et peut-être des gens — incite à pousser de plus en plus vers l'ouest mais la poussée dut devenir plus générale lorsque les pâturages commencèrent à s'appauvrir sous l'effet d'une désertisation naissante, à laquelle les troupeaux n'étaient peut-être pas entièrement étrangers.
Au début de l'ère chrétienne, le naturaliste Pline décrit encore de nombreux troupeaux de bovidés chez les Garamantes du Fezzan, mais ces derniers, qui formaient surtout une population cavalière, n'avaient vraisemblablement rien de commun avec les pasteurs à bovidés qu'ils repoussèrent sûrement grâce à la supériorité militaire que leur conférait le cheval, récemment introduit au Sahara par leurs soins. Que devinrent les populations bovidiennes ? Elles durent se maintenir encore longtemps dans les zones où elles n'étaient pas menacées par les populations cavalières et là où la végétation était suffisante. L'ouest saharien, légèrement plus privilégié à ce point de vue, grâce aux influences océaniques, dut nourrir des boeufs plus tardivement que les autres régions, jusqu'au jour où l'exode vers la zone soudanaise devint une nécessité.
C'est vers le VIIIe siècle, date généralement admise, que les Peuls seraient arrivés sur le Sénégal, auraient gagné le Fouta Toro et le Macina d'où ils partirent ultérieurement en une nouvelle migration qui, cette fois, eut lieu d'ouest en est pour aboutir là où nous les trouvons aujourd'hui, encore que leur marche vers l'est ne soit pas terminée, puisque l'on peut suivre sous nos yeux des familles de Bororo, installées il y a peu de temps encore à l'ouest du méridien du Tchad (N'Guigmi), qui se trouvent actuellement à l'est et gagnent le Bahr-el-Ghazal.
Mais avant d'atteindre le Sénégal, où se trouvaient-ils ?
Nous avons vu les avis des différents auteurs dont beaucoup les situent dans le Sud marocain. Etaient-ils vraiment les Bafours des traditions de l'Ouest saharien, comme on l'a prétendu ? Ce n'est pas impossible. Mais il apparaît aujourd'hui, à la lumière des peintures et des gravures rupestres, que la voie de migration fut incontestablement le Sahara. Les auteurs de ces œuvres d'art furent-ils les ancêtres des Peuls? Il y a une somme de faits si concordants que le contraire serait bien extraordinaire :

Peut-on dire que ces convergences sont fortuites ? Je ne le crois pas et suis, au contraire, persuadé que l'archéologie saharienne vient de nous donner la clé du problème peul resté, insoluble jusqu'ici en fournissant pour la première fois des faits positifs, alors que les hypothèses émises antérieurement étaient entièrement spéculatives. Et je rappelle ici l'intuition géniale de Barth qui avait pressenti cette migration saharienne, laquelle se trouve ainsi confirmée.
Cependant je dois spécifier que tous nos peintres sahariens de l'étage des bovidés ne sont pas à prendre en bloc comme les ancêtres des Peuls ni que tous sont arrivés en fin de course de leur migration sur le Sénégal. Si j'ai relevé un grand nombre de figurations humaines dont l'accoutrement ou les détails de coiffure évoquaient singulièrement ceux des Peuls, il est d'autres types humains qui présentent des différences sensibles. On peut les interprêter comme étant des autochtones que les pasteurs trouvèrent sur place ou bien ce qui est encore possible, comme étant des pasteurs du groupe hamitique de tribus différentes. Le vêtement, les coiffures ne sont pas uniformes chez les Peuls non plus, et on a pu, au contraire, en admirer la grande variété; pourtant, ils semblent tous posséder un caractère commun, le souci d'une esthétique supérieure. C'est la raison pour laquelle il est difficile de trancher la question dans un sens définitif, de même qu'il serait absurde de nier qu'il s'agissait des ancêtres des Peuls parce que toutes les figurations bovidiennes ne sont pas typiquement peules. Dans un mouvement de migration d'une telle ampleur, tel que celui que nous révèlent les rochers sahariens, il est certain que des populations différentes ont dû se trouver entraînées; si elles sont toutes venues du Haut-Nil, elles devaient être assez proches les unes des autres, tout en présentant des variétés assez sensibles dans le vêtement, ainsi qu'on peut le constater de nos jours chez les Nouba, les Bedja, les Galla, les Danakil. Par ailleurs, il est à supposer que les anciens pasteurs sahariens de civilisation hamitique avaient participé également à la formation des Tebous qui, eux aussi, ne sont ni des Noirs ni des Berbères et qui pratiquèrent l'élevage du Bos africanus jusqu'à une époque tardive, ce que nous révèlent, non pas les peintures, mais les gravures du Tibesti. Il y eut ultérieurement chez les Tebous une intrusion de sang noir assez marquée, probablement kanouri ; il y a d'ailleurs un apparentement entre leur langue actuelle et celle des Kaneuri, ce qui a contribué à enchevêtrer le problème somatique, mais beaucoup d'individus présentent encore le type éthiopien.

L'histoire des Peuls est donc une extraordinaire aventure à laquelle se trouve liée celle du boeuf, qu'ils firent connaître aux populations noires de l'Afrique de l'Ouest. En se mélangeant à celles-ci ils ont constitué des races nouvelles qu'on s'accorde à considérer comme étant supérieures aux autochtones. Partout où ils se sont introduits, soit pacifiquement, soit par la force, ils ont dominé. En se faisant les vecteurs de l'Islam, ils ont transformé complètement les populations de l'A.O.F. en leur apportant une religion plus évoluée, en provoquant la formation d'empires puissants et bien organisés et en apportant un ferment culturel dont ont bénéficié toutes les populations en contact avec eux; ajoutons à ceci l'introduction du boeuf dont les conséquences économiques ont été considérables.
De leur périple saharien, il ne reste rien dans leur souvenir ni même dans leurs traditions ; s'ils admettent qu'ils sont venus de l'Est, il est certain que les diverses origines qu'ils se prêtent ne sont que les reflets des contacts qu'ils ont pu avoir ultérieurement avec les populations sahariennes, lors des derniers siècles avant leur arrivée sur le Sénégal.
On peut s'étonner qu'une population qui a été en possession d'un art aussi élevé que celui de ses ancêtres sahariens n'en ait pas conservé la tradition et, en particulier, qu'il n'y ait plus de peintres chez eux, ainsi qu'il y en avait, il n'y a pas longtemps encore, chez les Bushmen du Kalahiri. On peut en avancer quelques raisons. Tout d'abord, on se rappellera que l'art rupestre des pasteurs était en pleine décadence lorsqu'il atteignit l'Ouest saharien, vraisemblablement par manque de roches-supports dans cette région. Les gravures bovidiennes sont peu nombreuses et tardives et les peintures sont limitées à quelques stations. En quelques siècles les techniques ont dû se perdre et devaient être oubliées lorsqu'ils arrivèrent sur le Sénégal. Ensuite, le Soudan lui-même n'était guère favorable à la résurrection d'un art pariétal avec ses plaines et et ses roches latéritiques ; seuls quelques abris de la région de Bimako et des falaises de Bandiagara offraient des surfaces propres à la gravure et à la peinture et ont d'ailleurs été utilisés par les autochtones.
Si le mobilier des Peuls était important, peut-être aurait-il révélé les anciennes aptitudes artistiques de la race, mais il est réduit à sa plus simple expression ; les vrais Peuls nomades, les Bororo, ne possèdent rien en dehors de quelques vases à traire et de quelques calebasses qu'ils ne se soucient même pas de décorer 2.
Par contre, peu de populations de l'Ouest africain ont un sens aussi poussé de l'esthétique, sens qui se traduit par des coiffures féminines d'un raffinement étonnant, par un goût très recherché pour les parures d'ambre et de cuivre — coiffure et collier), ainsi que les boucles d'oreilles — jusqu'à six ou sept passées dans le bord du pavillon — et les anneaux de bras et de chevilles. Ces goûts se retrouvent d'ailleurs chez de nombreux peuples de l'Est africain, ce qui est un point de concordance supplémentaire qui confirmerait leur origine nubo-éthiopienne. Ces coiffures et ces parures font des Peules les plus jolies femmes de l'Afrique de l'Ouest et toutes les populations féminines avec lesquelles elles sont en contact se sont efforcées de les imiter plus on moins heureusement. C'est la seule indication 3 des qualités artistiques que l'on peut déceler de nos jours chez les Peuls. Ce dernier point sera peut-être jugé peu probant pour attester leur parenté avec les anciens pasteurs du Sahara et ce serait avec raison s'il n'y avait que cela à mettre en évidence ; mais les données somatiques, archéologiques, ethnographiques que nous venons d'exposer constituent un ensemble suffisant pour avancer que les Peuls sont bien des Hamites de la civilisation du boeuf et que c'est le Sahara qu'ils passèrent avant d'aboutir dans la steppe soudanaise.

Notes
1. Seul jusqu'ici Chasseloup-Laubat, l'un des découvreurs des peintures de la célèbre station de Mertoutek, y a fait allusion; mais il fait des Peuls une population hoggarienne qui serait à l'origine des Égyptiens, des Touareg, etc...
2. Affirmation contredite par cette image. Lire également C.O. Adepegba, Decorative arts of the Fulani nomads.
3. Cette conclusion de l'auteur est à nuancer par la prise en considération, par exemple, de la tradition pyrographique, de l'art musical, etc., des Peuls nomades. (Tierno S. Bah — webPulaaku)