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Islam


Fernand Dumont
L'anti-Sultan ou Al-Hajj Omar Tal du Fouta,
combattant de la Foi (1794-1864)

Nouvelles Editions Africaines. Dakar-Abidjan. 1979. 247 pages


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La Querelle Juridique

3. Les arguties juridiques

L'émir Ahmadou Ahmadou, voyant le cheikh Omar surgir dans les marches de l'Etat du Macina, et craignant, dès lors, de voir porter atteinte à son hégémonie politique et économique (et parfois même religieuse) dans ces régions, devait naturellement chercher un motif lui permettant, bien que musulman, chef d'un Etat islamique, de barrer la route, et de rejeter hors de sa zone d'influence un chef musulman prestigieux, conduisant des troupes de « combattants pour la foi » , paré du titre de Khalife d'une nouvelle Voie qui amorçait alors une vigoureuse pénétration au Nord et au Sud.
Le cheikh Omar affirme que l'émir ne trouva qu'une seule parade, faute de pouvoir s'appuyer sur la Tradition du Prophète Muhammad : faire alliance avec les Etats païens limitrophes. Or les habitants de ces régions, animistes dans leur grande majorité, puisque seuls les chefs et les notables commençaient à se convertir, étaient considérés, par les musulmans, comme des impies, des ennemis d'Allah.
Dès lors, Al-hâjj Omar attaque :

« Les gens sensés savent bien, dit-il, que les alliés sont de trois sortes : l'allié, l'allié de l'allié, et l'ennemi de l'ennemi. De même, les ennemis sont de trois sortes : l'ennemi, l'allié de l'ennemi, et l'ennemi de l'allié. C'est ce qui entraîna Ahmadou b. Ahmadou à préparer des armées contre les musulmans, qui menaient le combat pour la foi contre les criminels ennemis d'Allah. Ses armées se mélangèrent donc avec les leurs ( … ) pour se protéger et pour se renforcer, en renforçant, du même coup, les polythéistes, ennemis d'Allah, et en affaiblissant les gens de l'Islam et la Parole divine : il n'y a pas d'autre divinité quAllah 1.
« Nous allons ( … ) montrer comment Ahmadou b. Ahmadou a rejeté totalement les liens de l'Islam, en citant les Paroles d'Allah, de Son Apôtre et celles des Successeurs … ».

Pour ce faire, Al-hâjj Omar va s'appuyer sur le Coran, la Tradition du Prophète, et le consensus des docteurs. Après quoi, il appliquera la théorie, ainsi dégagée, au cas précis de l'émir du Macina, et même au problème posé par la présence coloniale européenne en Afrique occidentale (d'après Muhammad Al-Hâfiz Al-Tidjânî, qui se réfère, dans ces deux derniers chapitres, aux communications ou à l'assentiment du vénérable Seydou Nourou Tall, petit-fils du khalife Al-hâjj Omar du Fouta, et directeur de conscience des tidjanites omariens de l'Afrique occidentale et d'ailleurs).
Al-hâjj Omar expose, en premier lieu, « ce qui a trait à l'obligation, [pour un musulman], d'être l'allié des musulmans » (…). « Sache que tout homme lié par la religion d'Allah, agissant conformément à la Tradition de Son Apôtre (P.S.), a l'obligation d'être l'allié des musulmans, de leur venir en aide et de les assister contre leurs ennemis polythéistes, d'après le livre, la Tradition et le Consensus … »

« En ce qui concerne le Livre, Allah (qu'Il soit exalté!) a dit : Allah est l'allié de ceux qui croient; Il les fait sortir des ténèbres vers la Lumière 2. Ceux [au contraire] qui sont infidèles ont pour patrons les Taghout 3 les faisant sortir de la Lumière vers les ténèbres » 4.

Al-hâjj Omar cite les commentateurs. « L'allié, c'est celui qui aide et qui vient porter assistance ». Citant le Sirâj al-munir, il fait allusion au verset coranique prescrivant aux croyants de tenir fermement « la corde » d'Allah :

« La corde d'Allah, c'est Sa religion, qui est celle de l'Islam. Ne vous séparez pas, c'est à dire : ne vous séparez pas après avoir embrassé l'Islam, par l'irruption d'oppositions entre vous, comme les « Gens de l'Ecriture » 5, ou comme vous étiez divisés à l'époque de l'obscurantisme 6, quand vous tourniez le dos et que les uns étaient les ennemis des autres et leurs adversaires ».

Allah est Lui-même l'allié des croyants : Il leur vient en aide. Les commentateurs ont dit que c'était la preuve, pour le croyant, de l'obligation d'être l'allié des autres croyants. Allah, en effet, a dit « Votre allié, c'est Allah, c'est Son Apôtre, ce sont ceux qui croient, ceux qui font la Prière, qui donnent l'aumône de purification, et se prosternent » 7 et : « Ceux qui prennent pour alliés Allah et son Apôtre et ceux qui croient, sont le parti d'Allah : ce sont les vainqueurs » 8. Il va de soi que la faculté d'accorder Son alliance appartient à Allah par principe, et à son Apôtre et aux croyants par conséquence. Ceux qui prennent pour alliés les croyants, alliés d'Allah, constituent ainsi avec eux le grand parti d'Allah, auquel Allah donne la victoire. Les autres sont rejetés dans le parti de Satan. Al-hâjj Omar ajoute :

« Dans le Lubâb al-tâ'wîl, après un certain nombre de propos relatifs au motif de la révélation de ce verset, on trouve : Il est dit que ce verset a une portée générale, s'appliquant à la totalité des croyants, parce que les croyants sont les alliés les uns des autres » ( … ) «
Allah (qu'Il soit exalté!) a dit :
Les Croyants et les Croyantes sont les alliés les uns des autres 9.
Il est dit dans le Sirâj al-munîr : les uns sont les alliés des autres en religion, par l'accord sur les propos, par l'aide et l'assistance. La Parole d'Allah (qu'Il soit exalté!) : Craignez Allah et soyez en paix entre vous, a été commentée de la façon suivante : maintenez l'état de paix en tout ce qui existe entre vous, par l'affection, et par le rejet de toute dispute, et obéissez à Allah et à Son Apôtre en tout ce qu'Il vous prescrit ou vous proscrit, si vous êtes de véritables croyants. La foi l'exige. Réfléchis à l'expression : si vous êtes des croyants —, il t'apparaîtra que c'est la condition de la perfection de la véritable foi. C'est, exactement, mettre la paix entre, et c'est une obligation absolue ».

Le raisonnement d'Al-hâjj Omar comporte une savante gradation, que l'on a voulu conserver, ici, au prix de quelques longueurs dans les citations : « Allah (qu'Il soit exalté!) a dit : Ne soyez pas en contestation, sans quoi vous mollirez et le vent favorable tournera 10.
— Les commentateurs ont dit : Il a interdit aux croyants de se disputer, et Il l'a fait sous forme de négation. C'est là l'obligation de la concorde et de l'alliance, car la dispute ne peut exister qu'entre ceux qui ont des opinions divergentes sur le principe ; or les croyants sont tous d'accord sur le principe, qui est l'Islam. Ainsi, il faut craindre pour ceux qui se disputent sur certaines conséquences du principe. La parole des musulmans est une, et celle des polythéistes est une. Il n'est pas possible d'imaginer une dispute, si ce n'est entre ceux qui ne sont pas d'accord sur le principe ».
Ainsi, Al-hâjj Omar prépare sa démonstration sur la nécessité du rejet de l'émir du Macina hors de la Communauté musulmane. L'ensemble du raisonnement est, à l'évidence, très traditionnel. Le syllogisme y règne d'un bout à l'autre. Et cette démonstration se poursuit, insensiblement d'abord :

« Allah (qu'Il soit exalté!) a dit : Les croyants sont seulement des frères 11. — Il est dit dans le Sirâj al-munir, à propos de ce verset :
Les croyants, c'est à dire tous les croyants, même si leurs origines et leurs pays sont éloignés, sont des frères, c'est-à-dire « en religion » , parce quils se rattachent à un seul principe, qui est la foi, —
et plus loin, d'après Abû 'Uthmân Al-Harîrî :
Certes la fraternité en religion est plus constante que la fraternité d'origine. Celle-ci est brisée par la diversité des religions, alors que la fraternité de religion n'est pas brisée par la diversité des origines » ( … ).
« Ce verset, parmi ceux qui l'ont précédé, est celui qui incite le plus fortement à l'accord [entre les croyants], et celui qui engage le plus à éviter la discorde ».

Al-hâjj Omar fait remarquer qu'Allah a répété Sa Parole « rétablissez entre eux la concorde » , c'est-à-dire la paix, par trois fois en un seul passage du Livre, à cause de Son aversion pour la discorde entre Ses sujets, pour lesquels Il a une très grande affection : par cela, Il a indiqué, très clairement, « l'obligation faite aux musulmans d'être des alliés les uns pour les autres ».
Le cheikh Omar va maintenant s'appuyer sur la Tradition du Prophète. Il lui suffit, dit-il, de citer les hadîth-s suivants :

« Le musulman est le frère du musulman » —, qui fut rapporté par AbMad, Abû Dawûd et Al-Hâkim, d'après 'Uqba b.'Amr — ; et :
« Le musulman est le frère du musulman, il ne lui fait pas de tort ni ne le trahit » , qui a été rapporté par les deux cheikhs, par AbMad et par Al-Nisâ'î, d'après Ibn 'Amrû —, et :
« Le musulman est le frère du musulman, l'eau et les arbres sont pour eux deux, ils s'entr'aident contre les fauteurs de troubles » —, rapporté par Abû Dawûd, d'après Safiya et :
« Le musulman est le frère du musulman, il ne lui fait pas d'affront, ne le laisse pas à l'abandon, ne lui ment pas; pour tout musulman, la richesse, les biens et le sang d'un autre musulman sont sacrés. Là est la piété (et le [Prophète] indiqua son coeur). Il suffit, pour un homme, de mépriser son frère musulman, pour qu'il soit dans le mal » , rapporté par Al-Tirmidhî, d'après Abû Hurayra — ; et :
« Les musulmans sont égaux par le sang ; ils s'appliquent à protéger ceux qui sont plus bibles qu eux et à repousser ceux qui sont plus forts ; ils sont une seule main contre tout autre qu'eux » —, rapporté par Abû Dawûd et Ibn Mâja, d'après 'Abd-Allah b. 'Amrû b. Al-'As, Al-Nisâ'î et Al-Hâkim, d'après 'Alî — ; et :
« Le croyant est le frère du croyant » —, rapporté par Muslim, d'après 'Uqba b. 'Amir — ; et :
« l'un de vous n'est pas croyant tant qu'il n'aime pas pour son frère croyant ce qu'il aime pour lui » —, rapporté par les deux cheikhs, d'après Ibn Mâlik — ; et :
« Tu vois que les croyants, dans leur échange mutuel de compassion, dans leur affection et dans leur bienveillance réciproques, ressemblent à un corps qui ressentirait tout entier la maladie d'un seul de ses membres » —, rapporté par Al-Bakhârî, d'après Al-Nu'mân b. Bashîr ». 12

Al-hâjj Omar cite quelques commentaires d'Ibn Abû-Jumra sur ces hadîth-s. L'échange mutuel de compassion entre musulmans « signifie que la miséricorde qui a été mise dans [leur coeur] les uns envers les autres est dûe à la fraternité dans la foi, et non à un sentiment de passion, de charité, ou de quelque chose qui serait contraire à la foi » … Quant à leur affection réciproque, elle signifie : « le fait d'être unis entre eux et de s'entr'aider : ses causes et ses origines sont également la foi ». Enfin, leur bienveillance réciproque est « le fait de se réconforter les uns les autres » …
Le cheikh Omar invoque, pour finir, le Consensus des docteurs de la foi, des ouléma-s. Ce faisant, il vise, avec encore plus de précision, l'émir du Macina. Les allusions sont plus nettes : « En ce qui concerne le Consensus, « les gens de la Tradition » 13 se sont mis d'accord sur l'obligation de l'alliance réciproque entre les croyants. Ibn Abû-Zayd a écrit dans son Epître: le croyant doit respecter ses père et mère croyants, il doit être l'allié des croyants et leur donner de bons conseils — ; et le commentateur Al-Nafrâwî a écrit dans Al fawâkih al-dawânî 14 : ce que l'on entend par « leur alliance réciproque » , c'est qu'ils s'entendent et témoignent de l'affection entre eux, et qu'ils évitent les causes de dispute, de haine, de rancune et de jalousie entre eux —, et encore : les croyants comprennent donc que « l'alliance réciproque » n'est pas permise avec les païens, selon la définition précitée ; bien plus, les païens doivent être considérés comme mauvais 15, et doivent être combattus s'ils sont agressifs; mais s'ils font partie des « gens protégés » 16, on ne doit pas s'en prendre à eux, excepté dans le cas où cela est nécessaire pour empêcher qu'il soit porté atteinte à un protégé ».
Cependant, commente Al-hâjj Omar, Ahmadou b. Ahmadou a fait fi de l'obligation de l'alliance réciproque, c'est à dire du soutien mutuel, entre musulmans, face au Paganisme. Au contraire, il a même consacré le maintien de coutumes et d'usages prohibés par l'Islam. C'est là un acte évident de paganisme caractérisé. Il a, surtout, lié partie avec les païens par une alliance réciproque de soutien, et cela contre des musulmans, ce qui équivaut à renforcer le Paganisme et à affaiblir l'Islam.
Cette alliance de l'émir avec les païens est une chose évidente, reprend le cheikh. Le seul rejet de l'alliance réciproque avec les musulmans est déjà, en soi, « un péché grave et un manquement à la Loi. Plût à Allah que cet Ahmadou b. Ahmadou se fût limité à ce péché, et qu'il n'eût pas ajouté à ce malheur, et se fût préservé de l'alliance avec les païens, laquelle annihile toute action et déracine l'Islam. Mais cela ne lui a pas suffi ( … ) au point qu'il s'est détourné du Chemin [d'Allah] pour protéger les polythéistes, les défendre contre les croyants, puis les amalgamer à sa propre armée ( … ), trompant ainsi ses partisans et les entraînant hors de leur religion par sa turpitude et sa duplicité ». Al-hâjj Omar rentre maintenant dans les détails : « En ce qui concerne ce qu'il en est de l'alliance avec les païens, en fait d'interdiction, et en fait de délit de paganisme pour celui qui commet cette chose, parmi les entêtés ou les transgresseurs [de la Loi], il y a une différence évidente. Sache, en effet, qu'Allah (qu'Il soit glorifié!) nous a interdit, en premier lieu, à nous, Communauté de Muhammad (P.S.), le paganisme et l'alliance avec les différentes catégories de gens qui font partie du paganisme, sans aucune exception d'individu ni de catégorie. Il nous a informés que celui qui prend pour allié un païen, est un païen lui-même, et que celui qui nie le paganisme de quiconque a fait alliance avec les païens, est un païen lui aussi, parce qu'il contrevient au texte du Coran ».
Al-hâjj Omar utilise encore le syllogisme : quiconque pense ou dit que 'Alî b. Manzu, chef du Ségou, et ses partisans, sont des musulmans, est un menteur, parce que cela revient à faire passer le Polythéisme pour de l'Islam, et à faire des polythéistes des musulmans, ce qui est interdit : c'est donc aussi un polythéiste.
« Allah (qu'Il est puissant et grand!) a dit : Que les Croyants ne prennent point les païens comme alliés, à l'exclusion [d'autres] Croyants ! Quiconque fera cela ne participera d'Allah en rien » 17. Al-hâjj Omar cite le commentateur Al-Baydâwî, dans Asrâr al-tanzil 18 : « il leur a été interdit (aux croyants) de s'allier avec eux (les païens), que ce soit par le sang ou par l'amitié, ou de quelque autre manière, au point qu'il n'y ait envers eux ni affection ni haine, si ce n'est en Allah. La Parole d'Allah : à l'exclusion [d'autres] Croyants, indique bien que ceux-ci sont seuls dignes de l'alliance réciproque, et qu'il y a dans celle-ci une incompatibilité d'alliance avec les païens. La Parole divine : ne participera d'Allah en rien, signifie : de son alliance avec Lui pour quelque chose » …
Il est évident, ajoute Al-hâjj Omar, que « l'alliance réciproque de ceux qui sont les ennemis les uns des autres ne se peut pas, car ceux-là ne peuvent s'unir à cause de l'opposition qui les dresse les uns contre les autres ».
Ici se place, dans l'ouvrage en arabe de Muhammad Al-Hâfiz, un curieux passage concernant la « restriction mentale » , telle qu'elle est exposée par Al-hâjj Omar. On ne croit pas devoir le délaisser, puisque aussi bien l'émir Ahmadou du Macina aurait pu, comme ses aieuls, en exciper pour justifier ses attitudes exigeantes ou conciliantes à l'égard des Bambara, suivant que ceux-ci étaient faibles ou puissants, qu'il avait besoin d'eux ou non, au gré des circonstances.
Voici l'essentiel de ce passage qui ouvre, à ce qu'il semble, d'assez inquiétantes perspectives, dans la mesure où il peut expliquer certains comportements, déconcertants pour ceux qui n'ont jamais pratiqué le genre de raisonnement qui va suivre, et qui est peut être à l'origine d'une partie de la mésestime tenace dans laquelle beaucoup d'occidentaux tiennent l'Islam, ou tout au moins les musulmans, en ne considérant qu'un aspect des choses. On notera aussi, dès maintenant, qu'un apôtre de la non-violence, un homme de prière, comme le fut le cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du Mouridisme sénégalais (1853-1927) acceptait et encourageait la pratique de la « restriction mentale » 19.
Le Coran, la Sunna, le Consensus ont proscrit l'alliance avec les païens, comme on vient de le voir. Al-hâj Omar poursuit : « Puis Allah (qu'Il est puissant et grand !) a dit : sauf à vous prémunir contre eux —, et [le commentateur Al-Nafrâwî] ajoute : si vous éprouvez une très grande peur d'eux, alors vous pouvez vous allier avec eux par la parole, à l'exclusion du cœur 20, — et il dit encore : cela, avant que la puissance de l'Islam ne soit établie dans une région ou l'Islam n'est pas encore puissant ( … ). Dans le Lubâb al-tâ'wîl, au sujet de la signification du verset : Que les Croyants ne prennent pas les païens comme alliés —, il est expliqué : en qualité d'auxiliaires et d'aides, à l'exclusion des croyants, c'est à dire hormis les croyants —, et le sens est : le croyant n'accordera pas son alliance à un non-croyant, et quiconque aura fait cela, c'est à dire faire alliance avec les païens en leur apportant des informations, en montrant du mépris pour les musulmans ou de l'affection pour les païens, ne participera d'Allah en rien, c'est à dire qu'il ne participera en rien à la religion d'Allah. C'est là une chose raisonnée, en fait de réglementation de l'alliance réciproque, celle-ci excluant les ennemis d'Allah : l'alliance avec Allah et l'alliance avec les païens sont antinomiques et ne peuvent se rencontrer [en un même individu] —. Puis il est encore expliqué: la crainte mentionnée n'existe qu'avec la peur d'être tué. Allah (qu'Il soit exalté !) a dit : excepté celui qui a été contraint, et dont le cœur était paisible dans la foi ( … ). On dit : la peur est permise pour conserver sa vie contre la douleur, parce que repousser celle-ci loin de soi est permis autant qu'on le peut.
« Al-Baydawî a dit : Allah a interdit de prendre les païens pour alliés, explicitement et implicitement, à tous les instants, excepté à l'instant de la peur: certes, à cet instant-là, faire alliance [avec les païens] est licite.
« Il est dit dans le Lubâb : à condition de ne pas permettre que soit versé le sang musulman, ou que soit montré du mépris pour les musulmans, ou autres choses prohibées. Enfin, Allah (qu'Il est puissant et grand !) a dit : Allah luimême vous met en garde —, avec le sens de: Allah vous fait craindre qu'Il se mette en colère contre vous, si vous prenez les païens pour alliés. Il y a, en cela, un avertissement que le châtiment de quiconque aura pris un païen comme allié ne viendra que d'Allah (qu'Il soit exalté !) … »
Une autre forme de l'alliance est condamnée : « Allah (qu'Il soit exalté !) a dit : Ô vous qui croyez !, ne prenez pas de confidents en dehors de vous ! ils ne vous épargneront nulle déconvenue… ". Et Al-Baydawî a expliqué: des confidents, c'est à dire des familiers, ce sont ceux qui connaissent les secrets d'un homme par l'effet de sa confiance [en eux]. La parole divine : qui ne soient des vôtres —, signifie : qui ne soient musulmans. Et la Parole divine : Nous avons rendu clairs pour vous les versets —, signifie : ces versets qui montrent la nécessité d'avoir des sentiments purs, de prendre comme alliés les croyants, et d'avoir pour ennemis les païens. « On trouve de même, dans le Sirâj al-munîr et dans le Lubâb de Khâzin 22, ce qui suit : On dit que ceux qui sont visés ici sont les païens de toutes les sortes, et le sens du verset l'indique, car Allah a dit « Ne prenez pas de confidents en dehors de vous — : Il interdit ainsi aux croyants de prendre d'autres confidents que les croyants, et cela exclut tous les païens ».
Le passage précité vise l'émir Ahmadou, qui, par son entente, puis son alliance, avec le chef du Ségou, 'Alî b. Manzu, avait nécessairement noué des relations étroites avec les notables animistes devenus ses feudataires.
Al-hâjj Omar, continuant à couper l'herbe sous les pieds de l'émir, réfute l'un des arguments les moins contestables de ce dernier : à savoir qu'il avait lutté, lui aussi, et avant même le Mujâhid, contre les « hypocrites ». Al-hâjj Omar cite le Coran :

« Allah (qu'Il soit exalté !) a dit: A l'égard des hypocrites, pourquoi deux partis 23 ? QuAllah les renverse au prix de ce qu'ils se sont acquis ! —, et : Ne prenez pas parmi eux d'alliés avant qu'ils émigrent dans le Chemin d'Allah ! S'ils tournent le dos, prenez-les et tuez-les où que vous les trouviez ! ne prenez, parmi eux, ni allié ni auxiliaire ! — 24 Allah a dit encore : (Les hypocrites) aimeraient que vous soyez impies comme ils l'ont été 25 —, pour informer qu'ils ne cherchent qu'à faire devenir païens comme eux-mêmes ceux qui les prennent pour alliés, ainsi qu'Allah (qu'Il est puissant et grand !) l'a expliqué par Sa parole : Ils ont voulu t'induire en erreur, et ils sont tombés dans l'erreur 26 — et par celle-ci : Ceux qui sont impies ne cesseront pas de vous combattre jusqu'à ce qu'ils vous aient fait abjurer votre religion, s'ils le peuvent 27. Dans le Sirâj al-munîr on trouve, à propos de ce verset : qu'avez-vous donc à être devenus, à propos des hypocrites c'est-à-dire à propos de leur situation, deux partis, c'est-à-dire deux factions, et à ne plus vous trouver d'accord sur leur caractère d'impiété ? — et, plus loin : ne prenez pas parmi eux un allié, pour vous assister, ni un auxiliaire pour vous aider contre votre ennemi ; au contraire, évitez-les absolument. « Allah (qu'Il soit exalté!) a dit : Fais gracieuse annonce aux hypocrites qu'ils auront un tourment cruel ! — Ceux qui prennent les païens pour alliés, en dehors des Croyants, recherchent-ils la puissance auprès de [ces païens] ? [Ils se leurrent]. La puissance, en totalité, appartient à Allah 28. — Dans ce verset, il y a l'annonce que celui qui aura fait alliance avec les païens, en dehors des croyants, n'obtiendra pas ce qu'il désirait, parce qu'il n'aura conclu cette alliance que pour rechercher la puissance, et rien d'autre. Il aura été déçu, pour avoir demandé la puissance à qui ne le détenait pas, en raison de son caractère méprisable : comment, en effet, [ce païen méprisable] donnerait-il de la puissance à un autre, alors qu'Allah (qu'Il est puissant et grand!) a décrété que la puissance irait à Ses alliés, et non à Ses ennemis … Allah a dit : La puissance appartient à Allah, ainsi qu'à Son Apôtre, et aux Croyants. — Allah a dit encore : Allah réunira les Hypocrites et les Infidèles dans la Géhenne, en totalité 29 — [Ces hypocrites sont ceux] qui sont dans l'expectative, à votre égard. Quand vous échoit un succès [venu] d'Allah, ils disent : N'étions-nous pas avec vous ? [Mais] si une part [de succès] échoit aux Infidèles, ils (leur) disent : N'avions nous pas main sur vous. » 30

Il apparaît que l'émir du Macina est entièrement concerné par ces citations. Il est accusé, par Al-hâjj Omar, d'avoir recherché finalement l'alliance des païens pour s'opposer à l'action des combattants de la foi. Or, en recherchant ainsi un surplus de puissance auprès de ceux qui ne peuvent pas la détenir (Allah ne le permettant pas), l'émir Ahmadou s'est non seulement leurré, mais encore dévoyé, car « Allah réunira les Hypocrites et les Infidèles dans la Géhenne, en totalité ». Les hypocrites, ce sont ceux qui sont dans l'expectative à l'égard d'Al-hâjj Omar : au premier rang, l'émir du Macina, qui tantôt a volé au secours des païens, lorsque Al-hâjj Omar paraissait en position incertaine, et tantôt s'est abstenu d'intervenir ouvertement, lorsque les troupes du Mujâhid étaient apparemment les plus fortes. L'émir est donc devenu un « hypocrite » , et, par son alliance avec les païens, il est également devenu un païen. Il a ainsi fourni « une probation évidente » contre lui. Il a, en effet, donné la preuve qu'il était hypocrite en religion, et païen par son action, ce qui équivaut à la trahison de l'Islam. C'est pourquoi, conclut Al-hâjj Omar, « il n'y a plus, dès lors, entre lui et tout musulman, que ce qui existe entre les alliés et les ennemis d'Allah » : c'est-à-dire la guerre. Il ajoute : « Allah (qu'Il soit exalté !) a dit : Allah ne conduit pas les peuples injustes » 31 — c'est à dire « ceux qui se sont fait du tort en s'alliant avec les païens, ou les croyants qui ont pris pour alliés leurs [propres] ennemis ». Et encore : « Allah (qu'Il soit exalté !) a dit : « Tu vois beaucoup d'entre eux prendre pour alliés ceux qui sont infidèles. Ce qu'ils accomplissent est si détestable qu'Allah se courrouce contre eux. Dans le Tourment ils resteront éternellement » 32. Les commentateurs ont ajouté : Le pronom « eux » se rapporte (ici) aux détenteurs de l'Ecriture, et le verset signifie que ceux qui ont pris pour alliés les païens ont accompli un acte inutile et sont des impies, parce que l'éternité n'existe, en Enfer, que pour les païens. C'est ce qu'il appert de la Parole divine : ( … ) « même s'ils croient en Allâh … » etc…, car cet acte implique la négation de la foi à laquelle ils convient les autres. En effet, la qualité de croyant exclut l'alliance avec les païens, la foi et le paganisme étant deux contraires inconciliables ». C'est pourquoi, écrit Al-hâjj Omar, Allah a prescrit aux musulmans de s'unir entre eux et de rompre avec les païens, sous peine d'être coupables de rebellion sur Terre (à cause du renforcement des païens) et de turpitude (à cause de l'affaiblissement de l'Islam qui en résulte). Ces commandements d'Allah, ces conseils du Prophète, ces indications des docteurs, doivent être considérés comme impératifs, dit Al-hâjj Omar, et pour le prouver il cite les versets suivants : « Allah (qu'Il soit exalté!) a dit : Ô vous qui croyez !, ne prenez pas vos ascendants males et vos frères comme alliés, s'ils aiment mieux le paganisme que la foi ! Ceux qui, parmi vous, les prennent pour alliés, ceux-là sont les injustes » 33. Le Mujâhid commente :

« Vois comment Allah a interdit de faire alliance avec les plus proches parents, les frères et les pères, quand ceux-ci sont des païens ! ( … ) et si cela se peut à propos de la plus proche parenté, que t'en semble à propos des plus éloignés des étrangers ? Allah (qu'Il soit exalté !) a dit (encore) : N'accordez pas votre confiance à ceux qui sont injustes 34, le feu de l'Enfer vous saisirait, et n'ayez pas d'autres alliés qu'Allah, vous ne seriez pas secourus 35 —. Al-Qastallânî a dit : Celui qui sollicite l'aide d'un injuste 36 [agit] comme s'il était satisfait de ce que celui-ci a fait » ( … ) …
« Allah (qu'Il soit exalté !) a dit : Tu ne trouveras nul peuple croyant en Allah et au Dernier Jour porter affection à ceux qui dirigent des pointes contre Allah et Son Apôtre, fussent-ils leurs pères ou leurs fils ou leurs frères ou leur clan 37. — Dans le Lubâb al-tâ'wîl on trouve, à propos de ce verset :
Allah (qu'Il soit exalté !) a fait savoir que la foi des croyants est souillée par l'alliance avec les païens, et que ceux qui sont croyants ne doivent pas prendre pour alliés ceux qui sont impies, parce que quiconque aime une personne ne peut pas aimer l'ennemi de cette personne ( … ) ; et l'on trouve la même chose dans Al-Baydâwî. Il est dit également dans les Jawâhir : ce verset nie que l'on puisse trouver quelqu'un, croyant sincèrement en Allah et se chargeant d'amener son peuple à la perfection, qui aime les païens » …
« Allah (qu'Il soit exalté !) a dit : Allah vous interdit seulement de prendre pour alliés ceux qui, en religion, vous ont combattus (…) ceux qui les prendront pour alliés, ceux-là seront les injustes » 38.

Tous ces versets, termine Al-hâjj Omar, concourent à montrer que ceux qui ont pris comme alliés les polythéistes et les ont protégés, assistés et secourus contre les musulmans, « sont des impies au même titre qu'eux ».
Après cette démonstration, qui repose sur le Coran et l'exégèse coranique, Al-hâjj Omar s'appuie sur la Sunna et l'exégèse de celle-ci.
Il en vient à expliquer :

« Cette action de faire alliance avec quelqu'un comprend [diverses] catégories, qui sont toutes impératives pour le croyant envers son frère [en religion]. Parmi ces catégories, il y a celle [qui consiste] à prendre pour alliés les païens. Cette action de faire alliance comporte une gradation : pout les musulmans, elle est soit interdite, soit permise, soit tolérée. Cette gradation a été mentionnée par le cheikh 'Uthmân b. Fodiyo, dans son livre Najmat al-îkhwân 39, au septième chapitre, à propos de l'explication de la cause ayant entraîné le combat qui survint entre ses partisans et les rois des Haousa. Il y dit : Parmi les traits de paganisme que nous leur reprochions, il y avait leur alliance avec les païens à l'exclusion des croyants » …

Ce passage est à souligner. Il montre que le jihâd peul du début du XIXe siècle, en Nigéria, a servi de modèle à Al-hâjj Omar, en théorie comme en pratique. Comme Al-hâjj Omar en fera l'expérience un demi-siècle plus tard, 'Uthmân b. Fodiyo s'était heurté à des chefs locaux musulmans qui faisaient alliance avec les païens, non pour s'opposer à l'Islam, mais pour préserver leur indépendance en tant que responsables de nations. 'Uthmân b. Fodiyo ne s'était pas préoccupé de cet aspect de la question : pour lui, seules comptaient la préservation de l'Islam et sa propagation, afin d'assurer une islamisation totale et de substituer, aux sentiments de clan quasi-nationaux, un seul sentiment d'appartenance à une communauté unique, la Umma musulmane. 'Uthmân b. Fodiyo fut, ainsi, le premier antisultan de l'Afrique occidentale, le précurseur et le modèle d'Al-hâjj Omar, lequel dépassera son modèle.
Al-hâjj Omar poursuit son commentaire, en exposant que :

« l'action de prendre les païens comme alliés peut revêtir trois formes » :

Curieusement, ici, Al-hâjj Omar enchaîne :

« A cette forme d'alliance se rapporte [aussi] le sens de la parole d'Al-Maghîlî : parmi les indices du défaut d'adhésion au texte du Coran, il y a le fait de faire alliance avec les païens, en raison de la Parole d'Allah (qu'Il soit exalté !) : Tu vois beaucoup d'entre eux prendre pour alliés ceux qui sont infidèles » 44 … etc …

Machinalement, sans doute, Al-hâjj Omar cite Al-Maghîlî, non pas comme un simple commentateur, mais comme une autorité très supérieure. On constate ici à quel point ce cheikh d'Afrique du Nord faisait autorité en Afrique subsaharienne, qu'il a marquée d'une certaine intransigeance, pouvant aller jusqu'à l'étroitesse de jugement, et même au fanatisme.
Al-hâjj Omar précise, ensuite, que cette forme d'alliance — la troisième — ne pourra pas avoir pour excuse l'intérêt : un musulman qui serait tenté d'agir ainsi devra être « ramené vers Allah par la force » , faute de quoi il mourrait comme un impie, car il serait du nombre des Hypocrites, et Allah a dit :

« Annonce aux Hypocrites qu'ils auront un tourment cruel » 45 — Et plus loin : « Quiconque a mélangé l'Islam et le Paganisme, est un païen ».

A partir de là, Al-hâjj Omar s'engage dans une longue digression juridique sur l'interprétation à donner à certaines paroles d'Al-Maghîlî et de quelques autres docteurs ou commentateurs. Il s'agit de déterminer dans quels cas il est toléré de venir en aide à des « hypocrites » (en particulier, ici, quand ils combattent contre des païens, ou contre d'autres hypocrites oppresseurs, par exemple), et de venir en aide à des musulmans contre d'autres musulmans. Il ne s'agit, en somme, que d'établir la démarcation entre le péché grave (excusable), et l'acte de paganisme. Cette longue dissertation n'est pas hors de propos. Elle a pour objet de charger l'émir du Macina de quelques opprobres supplémentaires, tout en servant d'alibi au cheikh Omar, qui s'est trouvé, parfois, dans la nécessité de lancer des musulmans hypocrites (ralliés à sa cause) contre d'autres musulmans, hypocrites ou non. Mais on n'en dira rien de plus, car cette digression n'entre pas vraiment dans le cadre de ce chapitre, hormis sa conclusion, qui est toujours: on devient païen en aidant des païens contre des musulmans. Ce passage est suivi d'un autre, rappelant que le seul fait de porter assistance à des païens équivaut au renforcement du Paganisme et à l'affaiblissement de l'Islam, ce qui constitue la « grave turpitude » et la « rébellion sur Terre ». On en revient alors aux démonstrations antérieures, déjà très abondamment développées. Cela conduit le cheikh Omar à rappeler les différentes sortes d'alliance, car il est évident que les excuses ne manquaient pas, du côté de son adversaire.
Le cheikh distingue cinq modalités différentes d'alliance, pour un musulman :

Ici se place une nouvelle digression d'Al-hâjj Omar sur les traits ou les actes flagrants de paganisme qualifié, et les simples « indices » de paganisme chez un homme. La conclusion, tirée en particulier d'Al-Maghîlî, est qu'un indice est suffisant quand il s'agit d'un acte individuel ou d'une prise de position collective, mais que la question ne peut être tranchée que par Allah quand il s'agit de pénétrer dans l'intime de l'individu. Néanmoins, dès lors qu'il y a lutte ouverte entre musulmans et païens, l'indice est toujours suffisant, que ce soit en acte, en parole, ou en simple présomption.

« Si tu as compris cela, conclut Al-hâjj Omar, il te sera apparu que cet Ahmadou b. Ahmadou a ôté de son cou le collier de l'Islam et a grimpé au sommet du Paganisme, avec tout ce que nous avons rapporté. Il t'apparaîtra tel qu'il est, et (tu verras) qu'il n'y a pas un seul aspect de l'erreur, ni un seul cas d'égarement, où il ne soit tombé ! ».

Le cheikh Omar expose alors, pour les musulmans, « les différents aspects » de l'erreur et de l'égarement de l'émir du Macina. Le cheikh reproche ainsi à l'émir sa duplicité à l'égard des musulmans, auxquels il a voulu faire croire que, les polythéistes s'étant repentis et convertis, il fallait « renoncer à les exterminer, en vertu du hadîth :

« J'ai reçu l'ordre de combattre les gens jusqu'à ce qu'ils attestent qu'il n'y a pas d'autre divinité qu'Allah et que 52 je suis l'Apôtre d'Allah , car s'ils disent cela, ils préservent leur vie à mes yeux, ainsi que leurs biens et leurs richesses, dans la limite de leurs droits et du Jugement d'Allah ».

En effet, commente le cheikh, « comment appliquer ce hadîth à des polythéistes qui adorent des idoles à l'exclusion d'Allah, alors que le Paganisme n'a pas respecté les biens d'un seul d'entre [les musulmans], ni son sang, ni ses richesses, et que lui-même 53 fait le contraire de cela aux croyants musulmans, au point de permettre qu'on répande leur sang et qu'on pille leurs biens et leurs richesses, bien qu'il s'agisse de croyants musulmans combattant pour la foi contre les ennemis d'Allah ? » …
Tout est là : la thèse du cheikh Omar est que les habitants du Ségou n'ont pas amorcé leur conversion à l'Islam, hormis quelques hypocrites parmi leurs chefs. D'autre part, il a affirmé que ce sont les païens qui ont attaqué les premiers, bientôt suivis et aidés par les Maciniens.
Le raisonnement et les arguments du cheikh Omar ne tiennent que si l'on admet les deux assertions ci-dessus … hormis le fait d'évidence que l'émir du Macina a bien fait alliance avec les païens, pour les raisons que l'on a essayé d'avancer précédemment.
En second lieu, le cheikh Omar reproche à l'émir sa duplicité à l'égard des musulmans, « quand il a accepté d'écouter avec bienveillance les païens, et agréé leur repentir sans le vérifier, au point de nous informer qu'ils s'étaient [effectivement] repentis, ( … ) alors que c'était une fausse nouvelle qui l'a précipité dans un abîme dont il ne peut plus sortir » 54.
En troisième lieu, le cheikh reproche à l'émir « le fait que, par ses agissements et par son immixion dans cette affaire 55, il a attiré l'attention sur lui, en préférant l'épanouissement du Paganisme à celui de l'Islam, et en choisissant d'aider les païens contre les musulmans, en raison de ce qu'il obtenait des mains des premiers, en fait de vanités de ce monde précaire et périssable, en s'abaissant devant eux et en s'humiliant. Il a ainsi vendu sa religion et sa vie d'ici-bas aux païens, et cela ne lui a servi en rien ». Ici, le grief est plus précis. Al-hâjj Omar ne pardonne pas à l'émir l'hégémonie que ce dernier avait perpétuée, après ses aïeuls, sur Tombouctou et sur le Ségou et même sur une partie du Karta. Que l'émir ait agi, en l'occurrence, en chef d'Etat avisé et qu'il ait tenté de concilier sa solidarité ethnique avec les impératifs de l'islamisation, surtout devant les réticences et les menaces de Tombouctou, et en dernier lieu d'Al-hâjj Omar, ce dernier n'en a cure: son seul critère de jugement, c'est l'alliance faite avec les païens ; son seul but, c'est le jihâd pour éliminer le Paganisme au profit de l'Islam.
« En quatrième lieu, poursuit le cheikh, il y a le fait qu'il se soit emparé des biens du Ségou, après la chute de Jabul et celle de Waytâl, et après notre entrée à Sansandin, alors qu'il savait que cela lui était défendu par le Livre, par la Sunna et par le Consensus ». En effet, ajoute le cheikh, les habitants ayant été vaincus par nous, l'émir n'avait pas le droit de se saisir de quelque butin que ce fût. Seuls, en effet, les musulmans qui avaient combattu les païens avaient droit à ce butin. Or, non seulement l'émir s'en est emparé, mais il l'a fait sous deux formes: ou bien ce furent des cadeaux de corruption, destinés par les païens à se concilier l'appui de l'émir; ou bien ce furent des cadeaux d'offrande, pour le remercier de les avoir aidés contre les partisans d'Al-hâjj Omar. Dans les deux cas, c'est chose absolument condamnée par le Coran, la Sunna et le Consensus, et ces biens mal acquis étaient donc illicites pour Ahmadou b. Ahmadou, d'autant que celui-ci savait pertinemment que les païens donateurs étaient en train de succomber sous les coups des armées du Mujâhid. Mais Allah n'a pas permis que ces biens mal acquis profitassent à l'émir du Macina ou au chef du Ségou, à cause de la Parole d'Allah : « Ceux qui sont infidèles dépensent leurs biens pour écarter du Chemin d'Allah. Ils les dépenseront puis, sur eux, sera une lamentation et ensuite ils seront vaincus » 56.
« En cinquième lieu, c'est la volonté d'Ahmadou b. Ahmadou de s'approprier des biens qui ne sont que perdition et abomination en ce bas-monde ( … ), qui ne sont que mensonges et impostures, et flatteries envers le Paganisme … ». Al-hâjj Omar enchaîne avec une digression sur le fait que, pour un musulman, il vaut mieux tromper un autre musulman, qui gardera cela pour lui, que tromper un païen, qui s'empressera de répandre partout la traîtrise du musulman, en la généralisant. Or, l'émir du Macina a tellement bafoué les païens, que ces derniers auraient pris l'habitude de mépriser la parole des musulmans, constamment entachée de la fameuse restriction mentale. Ce passage ne fait que reprendre et compléter le précédent. Cependant, il apporte un élément plausible : les populations païennes, enjeu du différend survenu entre les deux clans musulmans, se seraient volontiers libérées de l'un et de l'autre ! Al-hâjj Omar poursuit cependant : « En sixième lieu, c'est la volonté de prendre, entre le Paganisme et la foi, un chemin [intermédiaire], en ce sens qu'il a envoyé une armée au secours des païens contre l'armée des croyants, en prétendant que cela était licite, ce qui était une imposture, un mensonge, une tromperie à l'égard d'Allah, de Son Apôtre, et de la Tradition de Son Apôtre, une [preuve] d'ignorance du Livre et de la Tradition prophétique, d'absence de tout souci de ces deux choses, dans [son désir] de hisser le drapeau de la possession de ce monde, qui n'est que perdition, au détriment de l'emblème de la religion d'Allah, qui est symbole de la possession suprême ».
Ce « chemin intermédiaire » , c'est celui du compromis entre les exigences de l'Islam et les nécessités politiques de l'Etat du Macina. Il a consisté en l'envoi, par l'émir, d'une armée au secours des païens, contre l'armée des croyants du Mujâhid. C'est le chemin du chef de l'Etat du Macina, soucieux de son indépendance, celle-ci exigeant que les pays limitrophes ne tombent pas sous la dépendance d'un tiers devenant trop puissant et détruisant toutes les structures temporelles existantes. Ce chemin est qualifié d'intermédiaire par Al-hâjj Omar, parce qu'il ne peut nier, malgré son mépris, l'appartenance du Macina et de son émir à l'Islam. Ce qu'il lui reproche avant tout, c'est donc bien d'agir en chef temporel (hissant le drapeau de la possession de ce bas-monde), et non en chef spirituel (emblème de la possession suprême). Ce trait est important. On ne pouvait dire plus clairement qu'Al-hâjj Omar se veut et se proclame uniquement préoccupé par le Combat pour la foi, à l'exclusion de tout autre objectif, pour ce qui le concerne personnellement. Il est donc bien, en conséquence et résolument, un anti-sultan.
Mais son analyse des modalités d'alliance se poursuit encore, puisqu'il en distingue une dizaine. Il vise ici directement l'émir : « En septième lieu, [il y a] le fait qu'il a jeté bas le masque de la pudeur, et rejeté les liens de l'Islam, mêlant alors ouvertement son armée à celle des ennemis d'Allah, s'écartant de celle des alliés d'Allah, puis devenant l'ennemi de celle-ci et la combattant. Ainsi, il a agi sans vergogne à l'égard d'Allah, il n'a pas eu peur de Lui, il n'a pas eu honte des païens dont l'armée était avec la sienne, parce que ces derniers l'aidaient, sans aucun doute, dans leur projet commun. Les païens savaient qu'il n'agissait ainsi que parce qu'il était des leurs, et que c'étaient les richesses qu'il avait demandées et obtenues d'eux qui en avaient fait ce qu'il était [devenu]. Lui n'a pas eu honte que les croyants entendent cela, et il prétendait être du nombre de ceux qui aiment Allah ! » …
Al-hâjj Omar établit, dans ce passage, une gradation dans ce qu'il considère comme le reniement de l'émir Ahmadou. Celui-ci a incorporé des païens dans son armée, puis il s'est écarté de l'armée d'Al-hâjj Omar (dans l'espoir qu'elle serait battue par les seuls païens), et pour finir il a attaqué à son tour cette armée, qui était alors celle des « combattants de la foi ». Ce faisant, il a transgressé cyniquement les commandements divins et les enseignements du Prophète, et il a fait fi des conseils des docteurs. Les tributs, prélevés sur les païens ou offerts par ceux-ci, achèvent, aux yeux du Mujâhid, de rendre condamnable toute l'attitude de l'émir, hypocrite, renégat, et finalement ennemi déclaré de l'Islam.
Ce raisonnement, c'est évident, ne tient que si l'on admet les prémisses énoncées par Al-hâjj Omar … à la fois juge et partie. La charge continue contre l'émir Ahmadou :

« En huitième lieu, son action de tromper les musulmans qui étaient avec lui, et de les leurrer par ses paroles, et son action d'aveugler les gens par ses mensonges et sa duplicité, comme le fait de leur avoir dit : vous serez victorieux, vous êtes les combattants de la foi et : je suis avec vous ainsi que les cheikhs un tel et un tel … ».

Al-hâjj Omar savait que certains notables, du Macina et d'ailleurs, éprouvaient quelques scrupules à devoir combattre d'autres musulmans, pour conserver une hégémonie politique sur des païens. Il reproche donc à l'émir ses efforts pour convaincre les musulmans du Macina du bien-fondé de sa résistance aux troupes d'Al-hâjj Omar. Mais le cheikh lance une autre accusation contre son adversaire : celle d'avoir incité les païens à se battre, sous promesse de les aider, et de les avoir ensuite abandonnés à leur sort, quand la lutte se révéla désastreuse, ce qui constitue une tromperie suivie d'une félonie. Cet acte, dit Al-hâjj Omar, est noté dans les versets du Coran 11 et 12 de la Sourate LIX, qui visent les « hypocrites » : ceux-ci, ayant promis leur appui, ont tourné le dos à leurs alliés. « Allah est certes témoin que ces gens-là sont des menteurs » 57. 'Alî b. Manzu en a fait l'amère expérience, en même temps que ses fidèles : ils ont tous été abandonnés par l'émir, qui les avait cependant incités à la résistance ou à la rebellion, et qui avait accepté leurs offrandes en gage de cette alliance. Si seulement l'émir s'était contenté d'être un escroc ! s'écrie Al-hâjj Omar :

« succomber à propos de la richesse est une chose bénigne, parce que cela va et vient » ! Mais il a cédé à propos de sa religion, et c'est « la chose la plus grave pour un musulman ».

Le cheikh lance encore un trait contre les rois :

« Combien de princes, étant dans l'erreur, ont entraîné dans l'erreur des groupes de musulmans, par leur duplicité et par leurs mauvais conseils ! On trouve dans Al-âthâr 58 : les démons de l'humanité sont plus nuisibles que ceux de l'Enfer » …

« En neuvième lieu, poursuit Al-hâjj Omar, il y a le fait qu'il a déclaré licite le combat entre musulmans, et qu'il a fait couler le sang qu'Allah a interdit de verser, sauf à le faire à bon droit. Il a été aveugle sur les terribles menaces prévues pour cela, par ignorance feinte ou non, par duplicité ou par égarement » … Ici, Al-hâjj Omar reprend son accusation : c'est l'émir qui a commencé cette guerre entre musulmans, et lui n'a donc fait que se défendre contre des musulmans oppresseurs …
Enfin, « en dixième lieu, le fait qu'il s'est mis lui-même au ban de la religion islamique, et, pire encore, qu'il s'est rangé lui-même parmi ceux qui sont hypocrites, ceux qui ne croient pas en Allah ni en Son Apôtre, et qui ne se contentent pas de l'efficacité de ce que Allah a indiqué, et de Son pouvoir. La preuve en est qu'il a prétendu que les polythéistes étaient parvenus au repentir, et qu'il a fait croire à ceux qui étaient avec lui que les polythéistes étaient sincères qu'ils étaient venus vers la vérité, et que c'est nous qui étions dans l'égarement, au point qu'il leur a permis, et pire encore, au point qu'il leur a fait une obligation de nous combattre et de faire couler notre sang, de piller nos biens et nos richesses ! Il s'est identifie a ceux des « Gens de l'Ecriture » qui sont des hypocrites, et dont notre Seigneur a dit: N'as-tu point vu ceux à qui a été donné une part de lEcriture ? Ils croient aux Jibt 59 et aux Taghout 60 et disent de ceux qui sont infidèles : ceux-ci sont dans une meilleure direction que ceux aui se disent Croyants — 61 ; [Ces gens] sont ceux qu'Allah a maudits » — 62. C'est sur cette malédiction que s'achève la démonstration juridique du cheikh Al-hâj Omar, concernant ce qu'il considère comme l'apostasie effective de l'émir Ahmadou b. Ahmadou du Macina. Cette démonstration est très conforme à la manière et au style des anciens oulémas, ratiocineurs infatigables. On en a cité de très larges extraits, tout en l'édulcorant des innombrables redites ou de citations de commentateurs trop voisines les unes des autres, car chacun, en ce domaine, a copié sans vergogne ses devanciers, depuis un millénaire. Ces extraits, pour longs et nombreux qu'ils puissent paraître, ont paru nécessaires à la compréhension de la pensée intime d'Al-hâjj Omar. Le déséquilibre consenti à ces trois derniers chapitres, comparés aux précédents, rend compte de la tendance actuelle (et déjà mentionnée), à justifier le côté guerrier de l'action du Khalife de la Voie Tidjâniyya en Afrique occidentale, plus particulièrement en ce qui concerne le combat fratricide, coraniquement parlant, qui mit aux prises l'Etat musulman théocratique du Macina, soutenu par les maîtres musulmans de Tombouctou, et les combattants de la foi islamique, entraînés sur les sentiers du jihâd par le plus prestigieux des guides musulmans de l'Afrique subsaharienne, Al-hâjj Omar Tal du Fouta, dont l'action et le rayonnement éclipsèrent l'oeuvre d'islamisation, cependant considérable, accomplie un demi-siècle plus tôt par 'Uthmân b. Fodiyo en Nigéria.
Il ne saurait être question, dans cette étude très sommaire, de trancher en faveur de l'un ou de l'autre des deux antagonistes. Aussi bien, étaient-ils radicalement différents, bien que de même origine et de même religion, à cause de leur destinée respective : l'un, chef temporel, ayant le souci politique d'un royaume islamique encastré en pays de Paganisme, et des intérêts terrestres (« nationaux » ) à défendre ; l'autre, chef religieux, ayant pour souci primordial (et probablement unique) le maintien de la religion dans l'orthodoxie, et l'extension du domaine de l'Islam, avec, pour corollaire inévitable, l'éclatement des ethnies et la destruction des sultanats locaux, au profit d'une communauté plus vaste et plus idéaliste, fondée sur l'appartenance à l'Islam, les liens confessionnels devant remplacer les liens du sang, et suppléer à l'absence de liens politiques, comme le veut l'exemple laissé par le Prophète Muhammad, en application de la Parole divine révélée dans le Coran. Prendre parti pour l'un ou pour l'autre semble aujourd'hui une affaire dépassée, et même déplacée, sauf à considérer la chose sur un plan strictement historique, et non religieux, encore qu'il y ait là, nécessairement, une grande place pour les spéculations de l'esprit. On abordera cependant cet aspect du problème, dans les conclusions que l'on va tenter de suggérer dans les chapitres suivants, sans prétendre avoir complètement cerné le sujet, ni surtout l'avoir épuisé.

Notes
1. C'est-à-dire en affaiblissant l'Islam et même le dogme de cette religion (il s'agit du premier membre de l'attestation de foi musulmane). 2. Coran, II, 258-257.
3. Démons.
4. Coran, II, 259-257.
5. Allusion aux divisions et aux schismes divers qui ont accablé les autres religions révélées.
6. Jâhiliyya (époque anté-islamique, celle de la gentilité).
7. Coran, V, 60-65.
8. Coran, V, 61-56.
9. Coran, VIII, 73-72.
10. Coran, VIII, 48-46 (c.-à-d. : le vent ne sera plus favorable aux musulmans, à l'Islam).
11. Coran, XLIX, 10.
12. Les noms cités sont ceux des plus importants transmetteurs de hadîth, et ceux des auteurs de recueils de ces hadîth-s.
13. Les musulmans sunnites (qui prétendent à l'orthodoxie la plus pure, parce qu'ils suivent la Tradition ou Sunna du Prophète).
14. Ouvrage d'exégèse de hadîth(s).
15. Principe posé par Al-hâjj Omar pour son jihâd (cf. Aliou Tyam).
16. Ceux qui, non convertis, se sont soumis et payent un tribut. Les nouveaux convertis y étaient également astreints (difficulté de déterminer la part de sincérité et d'opportunisme dans leur attitude … et souci de se procurer des revenus stables et abondants).
17. Coran, IV, 143-144.v 18. Les secrets de la Révélation.
19. Kitmân.
20. C'est-à-dire sans aucune sincérité, mais au contraire en dissimulant ses vrais sentiments.
21. Coran, III, 114-118.
22. Il s'agit sans doute de 'Alâ' al-dîn 'Alî b. Muhammad b. Ibrâhîm al-Khâzin al-Shîbî Al-Baghdâdî, né à Baghdâd (673 = 1274) qui se rendit ensuite à Alep et mourut en 741 = 1.340 (Cf. Yves Marquet, note 3, p. 32, ouvrage cité = 1968).
23. Ici : celui des Partisans d'Ahmadou et celui des partisans d'Al-hâjj Omar.
24. Coran, IV, 91.89.
25. Coran IV, 137-138.
26. Coran, II, 214-217 (première partie).
27. Coran, II, 214-217 (deuxième partie).
28. Coran, IV, 138-139.
29. Coran, IV, 139-140.
30. Coran, IV, 140-141.
31. Coran, V, 62-57.
32. Coran, V, 83-80.
33. Coran, IX, 23.
34. Et qui sont dans l'erreur.
35. Secourus par Allah.
36. Ou d'un oppresseur.
37. Coran, LVIII, 22.
38. Coran, LX, 9.
39. L'astre des Frères (en religion).
40. Qui ne vaudra donc pas une éternité en Enfer.
41. Coran, LX, 13.
42. Coran, déjà cité.
43. C'est-à-dire rompre les relations avec les païens et faire alliance avec les Croyants.
44. Coran, déjà cité.
45. Coran, déjà cité.
46. Le mot arabe « alliance » peut se traduire également par « amitié ».
47. Coran, déjà cité.
48. Ou de l'oppression.
49. Coran, LV, 8.
50. Cf. dhimmî (vulgo: zimmi). C'est le vaincu raillé, devenu « protégé » et conservant son statut personnel contre paiement d'un tribut.
51. C'est-à-dire de l'adhésion à l'Islam.
52. Attestation de foi musulmane. C'est le Prophète qui parle.
53. Ahmadou du Macina.
54. Cet argument ne fait que reprendre les précédents.
55. Le jihâd d'Al-hâjj Omar.
56. Coran, VIII, 36.
57. Coran, LIX, 11.
58. Ouvrage d'exégèse (mot à mot : les vestiges. Ici : la Tradition du Prophète et de ses Compagnons. Exactement : exemples laissés).
59. Magiciens.
60. Démons.
61. Coran, IV, 54-51.
62. Coran, IV, 55-52.

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