Bruno A. Chavane
Villages de l'ancien Tekrour.
Recherches archéologiques dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal.
Paris. Karthala. 1985. 188 p.


      Table des matieres       

Première Partie.
Le cadre physique : un milieu naturel favorable au peuplement

La moyenne vallée du Sénégal est un milieu naturel privilégié, en regard de son environnement. Elle ne pouvait manquer d'attirer et de fixer les peuples soudanosahéliens soumis au lent processus de désertification engagé depuis environ cinq millénaires. Cette région offrait, en effet, des attraits remarquables avec une voie de communication, des réserves hydrauliques et halieutiques inépuisables, une sédimentation alluviale et un micro-relief favorables à l'agriculture et à l'habitat.
Elle s'oppose ainsi au haut bassin en amont de Bakel, moins propice au peuplement humain et aux migrations. Les bassins du haut Sénégal et de la Falémé sont en effet constitués d'une série de plateaux granitiques ou doléritiques dont les versants sont, en bien des endroits, abrupts. Les cours d'eau traversent une suite de petits rapides dus à des seuils rocheux.
De même, en aval de Richard-Toll, la région marécageuse du « Delta » est encore moins favorable à la sédentarisation des populations : le micro-relief s'aplatit rapidement et les terrains lagunaires, gorgés d'eau, sont parcourus en tous sens par de nombreux cheneaux salés.
Entre Bakel et Richard-Toll, le bassin moyen du fleuve se présente comme une vallée fertile découpée par les amples méandres du Sénégal : c'est une vaste plaine alluviale de 10 à 25 km de large, en partie inondée pendant la crue annuelle.
C'est une zone homogène sur le plan de la morphologie, du climat et de la géologie. C'est dans le cadre de cette unité physique du Fouta que s'est constitué l'ancien Tekrour.
L'environnement actuel est présenté dans le but de mettre en évidence les conditions de vie des populations, mais aussi l'évolution du milieu naturel tel qu'il se dessine dans les résultats archéologiques (analyses des sols, étude de la faune et de la flore).

I — Le fleuve, voie de communication

Long de 1 800 km, le Sénégal prend naissance au nord de la Guinée, traverse la partie occidentale du Mali et constitue, sur le reste de son parcours, la ligne frontalière entre la Mauritanie et le Sénégal. Il est la seule voie naturelle de communication de l'Ouest sahélien.
A Bakel (km 718), le fleuve quitte son haut bassin au relief accidenté et aux seuils nombreux pour entrer dans la « moyenne vallée » qui s'étend jusqu'à Dagana (km 169), sur une longueur d'environ 430 km.
En période de hautes eaux, de juillet à octobre, les pistes sont coupées et de nombreux villages et sites sont isolés : le débit du fleuve peut alors atteindre 5 000 m3 d'eau par seconde. Les crues ne se produisent pas partout au même moment dans la moyenne vallée, du fait du rôle régulateur des nombreux réservoirs naturels installés dans les faux bras et anciens méandres du lit majeur du fleuve. L'étiage a lieu vers la mi-juin ; il s'écoule alors à peine 10 m3 d'eau par seconde.
Dans sa moyenne vallée, au relief accentué, le Sénégal décrit de nombreux méandres ; ce caractère sineux favorise la navigation et les communications.
Aujourd'hui encore, le lit du fleuve n'est pas stabilisé, il continue à agrandir ses méandres. Ainsi, en début de crue, les eaux turbulentes sapent les rives concaves. Le courant entraîne alors les plus gros éléments arrachés et les dépose sur la rive opposée. L'importance de ce sapement latéral explique la relative rareté de l'implantation de villages sur les berges : au cours des fortes crues, la rive concave peut reculer de 5 m. Plusieurs sites d'anciens villages sont ainsi découpés par l'érosion fluviale : Mbantou, Guédé-chantier, Gamadji et Lérabé par exemple. Des squelettes humains et des poteries apparaissent parfois sur la paroi verticale de la berge avant de s'effondrer et il n'est pas rare de retrouver des perles anciennes en bordure des berges.
D'innombrables marigots entrelacés, parfois installés dans d'anciens méandres abandonnés, constituent autant de réserves halieutiques naturelles telles, par exemple, le « lac Ganga » situé à 5 km au nord de Guédé-village et près duquel se trouve un imposant site ancien au lieu dit Copé Mbantou (ne figurant pas à l'inventaire de Martin et Becker).
Véritable bras du fleuve, de Kaédi jusqu'à une cinquantaine de kilomètres en amont de Dagana, le Doué enserre sur 150 km avec le Sénégal « l'île à Morphil », dont le nom évoque l'ancien commerce de l'ivoire : c'est là que les sites d'anciens villages sont les plus nombreux et les plus importants ; ils forment, de Saldé à Bogué d'une part et aux environs de Guédé d'autre part, des concentrations presque ininterrompues d'une trentaine de kilomètres de long.
Le moyen Sénégal ne reçoit que deux affluents, sur sa rive droite, en territoire mauritanien : l'oued Garfa et le Gorgol qui appartiennent à la même zone archéologique que la rive sénégalaise.
La pente dans la moyenne vallée est très faible : voisine de 3 cm par kilomètre entre Matam et Bogué, elle décroît jusqu'à 1 cm par kilomètre dans le secteur de Podor-Dagana. La limite extrême de l'influence de la marée se manifeste jusqu'à Diouldé Diabé (km 440) où se trouve le dernier seuil rocheux du Sénégal. En amont, plusieurs bancs rocheux créent une accélération locale du courant : ils ont été progressivement détruits par le génie militaire depuis 1875.
Le chenal navigable s'approfondit en aval de Bogué et, à partir de Podor, les profondeurs inférieures à 4 m y deviennent exceptionnelles, même à l'étiage.

II — Morphologie et végétation de la moyenne vallée : un micro-relief diversifié

C'est une vallée typiquement alluvionnaire : les phases successives d'entaille et de sédimentation ont créé dans le lit majeur un micro-relief complexe qui permet de définir, selon la terminologie des populations toucouleurs, deux principaux milieux, le waalo et le jeeri.
Le walo est la partie du lit majeur submergée en période de crue. Les paysans pratiquent, sur ces sols enrichis par les limons, des cultures de décrue, mil et sorgho principalement. Très attentifs aux variations géomorphologiques, les Toucouleur distinguent encore trois milieux naturels.

Le jeeri est la zone des « hautes terres » qui bordent le lit majeur du fleuve. Elle n'est pas inondable mais de nombreux marigots et mares temporaires s'y installent pendant l'hivernage et interdisent la circulation sur les pistes et chemins. On y trouve naturellement la plupart des villages actuels ou anciens et les campements des éleveurs.
Le jeeri est formé en aval de Kaédi par une succession de dunes et, en amont, par des terrasses quaternaires sablo-argileuses qui bordent les sols calcaires et argileux du Continental terminal, formation de l'Éocène moyen.
Ces terres sont actuellement défrichées pour les cultures pluviales de sorgho, de mil et parfois d'arachide, mais c'était autrefois une zone fortement boisée. Faidherbe, au siècle dernier, rapporte en effet qu'il devait faire éclaircir la forêt au sabre d'abattis pour progresser vers Bakel. L'ébranchage inconsidéré des pasteurs pour l'alimentation du bétail et des sédentaires pour le bois de chauffe, les feux de brousse et le défrichement ont entraîné un déboisement général. Du peuplement forestier initial, il ne reste que quelques Acacia raddiana et Balanites aegyptiaca, maintenus pour leur ombrage dans les villages et les cimetières.

III — Géologie et pédologie : des sols variés

La moyenne vallée du Sénégal s'est établie sur des formations sédimentaires ou continentales de l'Éocène moyen. Les faciès calcaires dominent avec des sédiments de phosphates de chaux et des intrusions de grès. La série marine se termine par un niveau de grès argileux de couleur variant du jaune à l'ocre rouge et qu'on appelle la « formation jaune ».
Au-dessus des niveaux de l'Éocène, des matériaux sablo-argileux se sont sédimentés par épandages successifs, recouvrant les séries marines : ce sont des dépôts de grès du Continental terminal qui affleurent maintenant sur des buttes témoins, notamment dans le département de Matam. Ces dépôts argileux contiennent aussi des lentilles de sable et des bancs de gravillons ferrugineux.
La période humide, établie à la fin du Pliocène, a altéré la composition chimique des roches : le fer s'est concentré et forme des cuirasses ferrugineuses qui coiffent les grès du Continental terminal, à l'est d'Ouroussogi par exemple ou encore au sud de Ogo sur la route de Sinthiou Garba. Ces gisements de minerai de fer à haute teneur ont évidemment intéressé les premiers métallurgistes.
Les formations tertiaires de la moyenne vallée du fleuve ont été recouvertes par des couches sédimentaires argilo-sableuses du Quaternaire. Le Quaternaire ancien et moyen porte les traces d'importantes variations climatiques qui ont engendré des modifications du système morphogénique.
Lorsque le climat devenait plus sec, la végétation raréfiée ne pouvait plus protéger les terrains. L'érosion mécanique prédomine alors et les cours d'eau creusent leur lit. Puis le climat évoluant vers l'humide, le couvert végétal recouvre à nouveau le sol. Les eaux s'inflitrent et l'altération biochimique prend le pas sur l'érosion mécanique. Les roches se décomposent en profondeur, tandis que le fer se concentre pour former des cuirasses. Il semble que, pendant le Quaternaire ancien, le fleuve coulait vers le nordouest en aval de Bogué et rejoignait le golfe marin de la région de Nouakchott. A la suite de mouvements tectoniques, la région du delta s'est affaissée, le fleuve se serait alors dirigé vers l'ouest en prenant son tracé actuel.
Le Quaternaire récent se caractérise par l'assèchement progressif du climat et une importante régression marine qui correspond aux glaciations du Würm récent aux latitudes européennes. Au début de la régression, le Sénégal a entaillé progressivement son lit dans le soubassement rocheux qu'on a repéré à Bogué à -19 m.
Les dunes rouges se sont formées lorsque le climat est redevenu aride, au cours de la dernière grande période sèche, dénommée Ogolien et qui aurait duré de 21 000 à 11 000 B.P. Le sols de l'Ogolien sont les mieux représentés dans la moyenne vallée. Outre les dunes rouges formées par le remaniement éolien des dépôts argileux, on trouve le « premier remblai sablo-argileux ». C'est une terrasse du jeeri dont la largeur dépasse rarement 5 km. Il est composé de sables argileux contenant parfois des petits gravillons ferrugineux. Ce remblai a été formé pendant la sécheresse de l'Ogolien où les cours d'eau endoréiques ne transportaient plus que du matériel fin.
Après la dernière période glaciaire des latitudes septentrionales, il y a 10 000 ans, le climat a connu une nouvelle phase humide en Afrique occidentale. Le Sénégal a recreusé son lit à travers les cordons de dunes ogoliennes. Des sols se sont formés sur une nouvelle terrasse, dite « premier remblai arasé » : c'est également une terrasse du jeeri, généralement étroite, s'interposant entre le premier remblai sablo-argileux et le lit majeur établi sur des formations actuelles et subactuelles. Au cours de cette phase humide, le niveau de la mer est monté et a envahi le bassin inférieur du fleuve.
Des datations au radio-carbone effectuées sur des coquilles d'Arca senelis, prélevées dans la région de Saint-Louis, ont permis de déterminer l'âge approximatif de cette dernière transgression marine : environ 5 000 ans B.P., date identique à celle obtenue sur les dépôts des environs de Nouakchott ; d'où le nom de Nouackchottien, donné à cette transgression.
Le niveau marin s'est ensuite abaissé progressivement jusqu'au niveau actuel. Le fleuve a construit alors de puissants bourrelets de berge. Les dépôts actuels et subactuels constituent le lit majeur du fleuve : ils retracent l'évolution des méandres depuis environ 2 000 ans. On y trouve des levées accompagnant les sinusoïtés du fleuve, des bancs de sable et des cuvettes argileuses, plus ou moins bien drainées.

IV — Le climat : une lente dégradation

La circulation des vents en Afrique occidentale est régie par les trois anticyclones sub-tropicaux des Açores, de Lybie et de Saint-Hélène : leurs variations de pression et de position règlent l'évolution du temps.
Au cours de l'été, lorsque les grandes dépressions s'établissent en Afrique du Nord, il se crée un flux du secteur ouest provenant de l'anticyclone de SaintHélène. C'est l'alizé austral, chargé d'humidité. Il joue le rôle d'une mousson à son arrivée sur la côte sénégalaise en mai. Contenu par l'alizé maritime, il se maintient assez longtemps sur le littoral avant d'engendrer des précipitations dans la région du fleuve.
Le renforcement de l'anticyclone de Lybie pendant l'hiver engendre un vent régulier d'est, l'alizé continental ou harmattan, qui s'installe sur toute la zone sahélienne. Très sec et très chaud, parfois violent, l'harmattan accentue les phénomènes de dessication et relève les températures : les espèces arborées locales s'adaptent en réduisant leur système foliaire ou en perdant leur feuillage. Pendant les périodes d'intensité maximum en février-mars, l'harmattan lève un vent de sable qui limite les activités humaines ; nos fouilles effectuées à Guédé en mars se sont déroulées dans de très mauvaises conditions, l'harmattan n'ayant pas faibli pendant toute la durée de la campagne.
Le Fouta présente un caractère climatique nettement continental et sahélien, mais l'emprise continentale se manifeste plus nettement à l'est, notamment sur l'écart thermique diurne. Le mois le plus chaud à Matam est le mois de mai où la température minimale moyenne est de 33°,6 C. La chaleur devient alors très éprouvante au cours de la journée à Matam, la température maximale moyenne diurne de mai atteint 42°,1 C !
La diversité pluviométrique est plus accentuée encore : les hauteurs des précipitations varient très sensiblement d'est en ouest : 537 mm à Matam et 336 mm à Podor. Les pluies apparaissent à la fin juin et s'achèvent en général à la fin septembre. Cette dualité climatique conduit à considérer qu'il existe deux saisons dans cette zone, l'une sèche et l'autre pluvieuse, appelée hivernage.
Plus attentifs aux variations climatiques, les agriculteurs toucouleurs distinguent cinq périodes :

  1. dabbunde (en pulaar) désigne la saison relativement fraîche qui s'étend de décembre à mars. L'alizé domine; le ciel est clair; les mares s'assèchent et les troupeaux commencent leurs pénibles migrations quotidiennes entre les zones de pâturage et le fleuve. Les cultivateurs engrangent mils et sorghos. Les plantes herbacées se dessèchent et la végétation forestière se défeuille. C'est une période favorable à la réalisation des fouilles archéologiques;
  2. ceeɗu s'installe en mars : c'est la saison la plus chaude, caractérisée par le souffle brûlant de l'harmattan; les températures dépassent 40° C. Les herbes sont réduites à l'état de paille et les cimes des arbres se dénudent;
  3. deminaare commence en mai et précède la saison des pluies; c'est un « printemps», arbres et arbustes bourgeonnent. Les agriculteurs défrichent et préparent les champs;
  4. ndungu est la saison pluvieuse, de juillet à octobre. C'est la période des cultures (mil, sorgho, arachide, coton);
  5. kawle est la phase de transition qui précède la saison sèche : l'atmosphère demeure humide et étouffante mais il ne pleut plus. Les cultivateurs récoltent; les éleveurs restent à proximité des mares temporaires.

Ces saisons, fondées sur le régime de la pluviométrie et la progression des températures ont une importance capitale car elles conditionnent le calendrier agricole.
L'évolution climatique à la période protohistorique et historique commence à être connue malgré certaines incertitudes. Selon la plupart des spécialistes, réunis en colloque à Nouakchott en décembre 1973 sur la désertification au sud du Sahara, le climat dans l'Ouest sahélien s'est dégradé constamment depuis 5 000 ans avec une aridification progressive mais non uniforme : on observe une nette mais irrégulière détérioration des conditions climatiques; les pluies diminuent et les lacs font place à des étangs ou à des chapelets de mares qui, à leur tour, s'assèchent. C'est la période où la grande faune migre vers les contrées plus humides au sud, précédant le repli des hommes : les cités anciennes des Gangara en Mauritanie sont le témoin d'un habitat établi dans un climat moins sévère que celui que nous connaissons actuellement.
Les recherches géomorphologiques et palynologiques ont mis en évidence la relative humidité de la zone, il y a plus de 2 000 ans. La présence, le long du fleuve, de puissants bourrelets de berge dont les parties hautes ne sont plus inondées par les crues actuelles, suppose un régime hydraulique plus contrasté que celui de nos jours. En outre, on a observé dans ces bourrelets, aux environs de Bogué, la présence d'une flore soudanienne comportant notamment des pollens de Christiana africane, de Sizygicium guineensis et d'Elaeis guineensis (palmier à huile) : ces espèces végétales sont liées à un climat environ deux fois plus humide que celui d'aujourd'hui.
Il semble ensuite que, vers le début de l'ère chrétienne, l'aridification s'accélère et que l'on ait alors connu une phase sèche. Notre ère aurait ensuite bénéficié de quelques courtes périodes moins arides dans une tendance générale de sécheresse accrue. On observe dans la vallée du fleuve des témoins d'une petite phase humide (arrêt de la migration des dunes littorales, consécutive à une fixation par la végétation) : cette faible pulsation humide se serait produite vers le Xe-XIe siècle.
Enfin, certains climatologues font état d'une phase mini-pluviale au XVIe siècle. Il se pourrait que ce soit un phénomène lié au « petit âge glaciaire» observé en Europe au XVIIe siècle. Il existe un témoin à préférer cette date : L.M. de Chambronneau, qui a parcouru en 1677 la vallée du Sénégal de Saint-Louis à l'île à Morphil, affirme que la mangrove est épaisse et que des palmiers à huile poussent sur les rives du fleuve.
En résumé, on estime qu'au cours du dernier millénaire il y a eu dans cette région une régression des précipitations moyennes annuelles d'environ 200 mm, ce qui représenterait un décalage des isohyètes d'environ 200 km vers le sud. Cette hypothèse est à vérifier.

V — La faune : un dépeuplement accéléré

Plusieurs espèces n'habitent plus la zone climatique compatible avec leur existence. Au Fouta, comme ailleurs, l'homme a bouleversé la zoogéographie par la chasse d'abord, mais aussi, ensuite, en modifiant le biotope par la mise en culture, le déboisement, la construction de routes…
Certains auteurs évoquent à l'aube de notre ère un paysage boisé et fortement peuplé de phacochères, d'oryx, d'antilopes bubales, de zèbres, d'une multitude de gazelles, de rhinocéros blancs… Il manque cependant encore des preuves (analyses des restes osseux provenant de niveaux datés) pour être aussi affirmatif et, dans l'état actuel des choses, on ne peut se fier qu'aux témoignages historiques. Ainsi, l'autruche et l'hippopotame semblent avoir disparu au XVIIIe siècle. L'éléphant était encore répandu au siècle dernier : en 1833, de nombreux individus étaient observés au lac de Guiers, à la limite est du Fouta. De même, la girafe et le damalisque étaient communs en 1900. Tous ces animaux ont maintenant disparu. Des grands mammifères il ne reste guère que quelques lions et des gazelles à front roux (Gazella rugifrons).
Aujourd'hui, la faune actuelle d'affinité sahélienne est restreinte du point de vue de la diversité spécifique. Les espèces les plus caractéristiques du milieu naturel actuel sont, dans l'ordre des rongeurs, les Gerbillidés Desmodilliscus braueri et Tatera Gambiana, et dans l'ordre des Chiroptères, la chauve-souris de l'espèce Pipistrellus rueppeli.

VI — Les populations actuelles

Les habitants actuels du Fouta appartiennent principalement à deux groupes ethniques : les Fulɓe et les Toucouleur, déformation européenne du mot Tekrour. Il convient d'ailleurs de remarquer que ce nom Tekrour, conservé sous des formes approchées par les Maures et les Ouolof contemporains, a complètement disparu du vocabulaire pulaar. Les Toucouleur se désignent par l'expression « Halpulaar», c'est-à-dire « ceux qui parlent pulaar ». Ils se distinguent néanmoins du groupe peul proprement dit, nommé par les uns et les autres par le mot « Pullo ».
L'origine des Toucouleur reste énigmatique et la multitude des migrations et brassages ethniques dont la tradition orale rend compte n'incite guère aux interprétations simplistes. Les cultivateurs toucouleur se sont conformés rigoureusement aux exigences naturelles : on s'accomode de la déficience et de l'irrégularité des pluies en diversifiant les cultures. Les instruments de culture utilisés sont adaptés aux techniques culturales et à la nature des sols : le jalo, sorte d'illaire (houe), est employé dans le jeeri pour les cultures d'hivernage. Le songo, plus massif est utilisé sur les terres du waalo par les cultures de décrue où les semis doivent s'effectuer en profondeur. Les techniques de culture mises en œuvre ainsi que l'outillage utilisé attestent une longue expérience des conditions naturelles.
Les Fulɓe, comme les Toucouleur, exploitent les ressources du waalo et du jeeri. Ils se consacrent, cependant, préférentiellement à l'élevage et à la culture de décrue. Ils campent avec leur bétail près des mares du jeeri en hivernage et déplacent leurs troupeaux pendant la saison sèche entre le fleuve et les pâturages à plus ou moins grande distance en tirant également parti du « pâturage » arboré. Ces déplacements des Fulɓe contrastent avec la vie villageoise des Toucouleur.

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