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Amadou Hampâté Bâ et Germaine Dieterlen
Koumen. Texte initiatique des Pasteurs Fulɓe.

Cahiers de l'Homme. École Pratique des Hautes Études, VIe section. Mouton et Cie. Paris, 1961, 95 pages.


      Table des matieres      

Douzième Clairière (suite) — Le dénouement des noeuds

[1] « La corde aux vingt-huit nœuds » — qui représentent les vingt-huit laareeji et les ngaynirki correspondants en même temps que les jours du mois lunaire — est dite ɓoggol piɓe noogas e jeetati (jeetati est un numéral composé de jowi: cinq, et tati: trois). Elle est faite d'écorce de baobab, arbre qui symbolise la longévité.

[2] Le « lait à manger » — nyamde kosam — est une expression fulfulde/pular typique: le lait est l'aliment complet par excellence.

[3] Incantation intraduisible.

[4] La consommation du lait du bovidé hermaphrodite constitue une communion avec l'essence même de Dieu, Geno.

[5] Le premier et le dernier nœud appartiennent à Dieu, invoqué ici sous le nom de Dundaari, qui implique sa toute-puissance.

[6] Les sept qui suivent le premier appartiennent aux « sept soleils », c'est-à-dire aux « sept mondes », image de l'infini de l'univers, qui sont l'émanation directe de Dundaari. Ils n'ont point de noms. De même les sept avant-derniers appartiennent à la « nuit (et à la lune) des sept mondes » cités plus haut, et relèvent de la même interprétation.

[7] En revanche, à partir du neuvième, les suivants peuvent être énumérés par leur nom. Ils sont au nombre de douze et Sile se présente à eux. Il veut les épouser : le mariage avec une serve fait de la femme l'esclave de son mari, à l'inverse une femme noble ne travaille pas directement pour lui — c'est-à-dire que l'égalité régnera : Sile suivra les « nœuds » et les « nœuds » le suivront. Les dons auxquels il est fait allusion sont ceux de l'initiation ; « sans arrêt et amoindrissement » signifie que le don sera égal à lui-même dans le temps, renouvelé identique à lui-même.

[8] Les douze « nœuds » sont les laareeji qui correspondent aux douze mois de l'année. Le premier nœud est le premier, jalaañ, qui correspond au mois du lootoori. L'objet rituel représentant jalaañ est fait de dix-huit cordelettes nouées de place en place de cent vingt-deux nœuds : dix-sept d'entre elles sont faites de fibres végétales diverses, et comportent chacune sept nœuds, la dix-huitième est faite d'un tendon humain, prélevé le troisième jour après l'enterrement d'un cadavre et comporte trois nœuds. Cette représentation du laare le plus important est de préférence placée isolément dans une hutte de paille ; s'il doit être placé dans une demeure en pisé, il est entièrement enveloppé de paille ou d'herbe ; jalaañ est le patron des pâturages et ne doit pas être en contact avec la terre, mais avec les végétaux.
dembanyaasoru signifie : « deuxième fils cagneux. »

[1] Kumen vint au-devant de Sile et l'escorta jusque sous l'arbre. Il lui enseigna pendant des jours et des jours les formules du ngaynirki. Après quoi, Foroforondu vint vers Sile : elle lui présenta une corde ayant vingt-huit nœuds espacés et dit : « Puisque tu désires connaître le nom secret du bœuf sacré, dis-moi quels sont parmi les nœuds de cette corde, les nœuds vides, les mystérieux et les chargés, et quel est le nom de ces derniers. »

[2] Kumen dit : « Jam ! c'est la paix, ndiyam, c'est l'eau, et l'eau est le don précieux de Dundari. C'est l'offrande préliminaire. Avant de postuler, ô ! postulant, sers au chef de l'eau à boire et du « lait à manger ». Avant de consulter l'oracle, ô consultant ! sers à boire aux esprits. Avant de questionner, ô Foroforondu ! sers à boire à Sile qui a chevauché le boeuf sacré. Celui-ci chemin faisant a mugi et articulé :

[3] bujaan ! aabjuni ! jaabun junbaa bunjaa juban»
En effet, Sile se souvint qu'au moment où il se trouvait sur le dos du bœuf, celui-ci, tout en marchant, gémissait les sons ci-dessus.
Foroforondu poussa un cri spécial et immédiatement le bovidé hermaphrodite bondit vers elle. Elle dit : « Bovidé de Morimawɗo, monte ton urine et ton sang, descends ton lait et ton beurre. » Ceci dit, elle alla derrière le bovidé hermaphrodite qui se laissait faire. Elle lui souleva la queue et souffla fortement dans son unique exutoire : vulve-anus. Elle trait le bovin miraculeux qui ne met jamais bas, mais donne du lait.

[4] Sile but à grands traits ce lait merveilleux. Ainsi désaltéré par le lait-connaissance suprême des choses pastorales, Sile se saisit de la corde nouée et dit : « Maintenant que j'ai bu le lait après avoir mangé les jujubes, je suis consacré. Aucun nœud ne me sera énigmatique, aucune émanation ne sera dangereuse pour moi. Je saurai tout, et spontanément, comme le nouveau-né sait téter au premier mouvement des lèvres.

[5] Je demande pardon à Dundari. Le premier nœud lui appartient, nul ne pourra le connaître en entier avant la mort. Le dernier nœud lui appartient. C'est le dernier mot de tout. Ces deux nœuds sont l'énigme de la douzième clairière ; ils sont à Dundari.

[6] Ces nœuds mis de côté et exclus du compte, j'offre les sept suivants aux sept soleils qui m'ont éclairé jusqu'ici. Ces enlacements sont noués à vide, c'est-à-dire sans le souffle d'aucune parole vertueuse. Ils sont donc les vides. Les sept avant-derniers, je les voue aux esprits des nuits. Ils ne contiennent rien. Ils sont vides et sans souffle.

[7] Quant aux douze médians, je me présente à eux, et je les présente à moi-même : je suis, ô nœuds ! Sile Yugo. Je vais me fiancer à vous selon les usages serfs, mais je vous épouserai selon le cérémonial de la noblesse. A ceux qui demeureront avec moi et qui seront pour moi, je donnerai trois fois dix coudées de bandes fines et blanches, sans arrêt et sans amoindrissement ; un coq de dix ans sans arrêt et sans amoindrissement. Ces dons seront les constantes offrandes propitiatoires.

[8] Ces nœuds sont :
le premier des douze médians ou neuvième de la chaîne entière, contient le secret de jalaañ. C'est lui qui chez les hommes se manifeste sous forme d'un dieu hermaphrodite, toujours rassasié de breuvage sanglant. Solitaire dans une hutte de paille, il est doué de dix-huit organes de transmission agissant sous l'action combinée de cent vingt-deux nœuds magiques. Il s'appelle jalaañ. »
Foroforondu dit : « Bien répondu. Tu connais le premier des douze et le neuvième des vingt-huit enlacements secrets. Mais quels sont les trois autres noms avec lesquels on confond jalaañ ? »
— Ce sont : maysa, silinte, denbanyaasooru.
— Connais-tu l'invocation à jalaañ ?
— Oui.
— Réserve-la pour la lutte suprême.
— Bon. »
Foroforondu dit : « Salut à Sile qui a vu la lumière des soleils. Voici, tiens mon sein droit, tète-le, ne crains rien. Tu es mon fils, tu es l'ami de mon époux. »
Sile dit : « Je préfère la langue de Foroforondu. C'est d'elle que coule un lait doux et agréable à boire et non de son sein. »
— Tiens, Sile, suce ma langue. » Sile suça la langue de Foroforondu et celle de Kumen (tour à tour).
Foroforondu : « Sile ! qu'est-ce que ceci ? »