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Amadou Hampâté Bâ et Germaine Dieterlen
Koumen. Texte initiatique des Pasteurs Fulɓe.

Cahiers de l'Homme. École Pratique des Hautes Études, VIe section. Mouton et Cie. Paris, 1961, 95 pages.


      Table des matieres      

Douzième Clairière — Demeure du sixième et du septième soleils

Sile se souvenant de ce que Kumen lui avait dit — ne pas obéir à Foroforondu — répliqua : « Je ne suis pas celui qui se fait guider par une femme, fût-elle Foroforondu. Je ne marcherai que derrière Kumen».

[1] Le jujubier est symbole du sommet de l'initiation, des connaissances humaines, après lesquelles il n'y a plus que les connaissances divines. Son nom — njaaɓi — signifie « là où j'ai mis (la plante du) pied ». La calebasse est, au Soudan, symbole de la matrice du monde ; la matière dans laquelle le récipient est faillé lait intervenir le travailleur du bois, labbo. Lorsqu'on désire travailler le bois, pour prévenir le labbo qu'on va pénétrer dans son domaine, on dit : « labbo, par la racine des arbres, on entre chez les génies du bas ; par les branches, on entre chez les génies du haut ; par le tronc, on entre chez les hommes » : labbo ɗaɗi lekki naatirta suka-hecci, cate naatirta ɗoo mbeeyu, foomre naatirta yimɓe. (suka-hecci, litt. : « plus âgé que l'enfant » est le nom secret d'un génie).

[2] Les deux termitières sont jumelles; la grande, waande (de wayre « être » ou « être comme »), habitée, est en rapport avec le nord et la couleur blanche qui est faste ; la petite, bangel, inhabitée, en rapport avec le sud et la couleur noire, qui est néfaste. Le même symbolisme s'attache aux deux fourmilières.
Le « vaste terrain » est l'univers et le premier parc ; le bovidé hermaphrodite est la « mère » de la création tout entière.

[3] Le texte de Foroforondu est une allusion aux incantations que formule le silatigi, ou le maître du parc, au lever et au coucher du soleil. Il sort le matin, en contournant sa case, dont la porte est ouverte au sud par la gauche, c'est-à-dire vers l'est. Il va se placer devant la porte du parc situé derrière la case, et dont la porte est également ouverte au sud. Il examine alors la tête du premier bovidé qui lui tombe sous les yeux, et prend la posture correspondante. Puis il fait devant lui un demi-cercle de sa main droite, pour faire émerger le soleil, en récitant la prière conforme au lever, précédée de « beurre et lait ». Le soir, il procède selon le même schème, mais il contourne sa case par l'ouest, et fait le demi-cercle de sa main gauche, tout en récitant l'incantation du coucher du soleil.

[1] Foroforondu s'irrita en vain, mais Sile, encouragé par les regards de Kumen, résista. Foroforondu se tourna alors vers son mari et lui dit : « Puisque tu y tiens pour lui, les jujubes sont dans la calebasse en bois à votre disposition. »
Kumen rit et battit des mains. Il prit une poignée de jujubes et en donna une à Sile. Il lui dit : « Maintenant que tu as goûté aux fruits du jujubier de la demeure, tu peux te fier à Foroforondu. Elle ne pourra plus, et d'ailleurs elle ne cherchera plus à te tromper. Elle ne désirera, désormais, que ton bonheur. Elle ne sert des jujubes qu'à ses amis.

[2] Allons dans la clairière centrale. Cette dernière est un vaste terrain circulaire au milieu duquel pousse un arbre immense à la frondaison en dôme. Il est environné par une grande termitière habitée, une toute petite inhabitée, une fourmilière inhabitée, une autre peuplée d'une manière dense et un petit étang. Au milieu de ce vaste terrain, un bovidé hermaphrodite d'un pelage bigarré de toutes les couleurs bovines, se promène majestueusement, tantôt beuglant comme une vache paisible qui réclame son petit, tantôt mugissant à rappeler le rugissement d'un lion. »

[3] Dès que le bovidé aperçut les trois visiteurs, il alla se mettre sous l'arbre et s'apprêta à charger. Foroforondu, défit les nattes de sa coiffure. Elle couvrit de sa chevelure bien fournie presque toute la partie supérieure de son corps. Elle dit : « Je suis celle qui n'est armée que du fouet à lait, qui n'est vêtue que de sa chevelure pour cacher son buste et dont les organes sexuels sont recouverts de feuilles cueillies sur le kelli, le combi, le nelɓi et le delɓi. Salut au bœuf unissant en un les multiplicités bovines. Voici, je vois tes pis, non loin de ta verge, organe viril. Salut au boeuf unissant en un les multiplicités bovines : quand ta tête, variant sa forme selon tes humeurs, est courte, je m'accroupis ; longue et fine, je m'assieds ; forte et une busquée, je m'étends sur le dos et je dis : « beurre et lait, beurre et lait ! »