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Amadou Hampâté Bâ et Germaine Dieterlen
Koumen. Texte initiatique des Pasteurs Fulɓe.

Cahiers de l'Homme. École Pratique des Hautes Études, VIe section. Mouton et Cie. Paris, 1961, 95 pages.


      Table des matieres      

Sixième Clairière — Premier soleil. « Je suis Kumen »

[1] L'invocation, intraduisible dans son ensemble, fait cependant allusion au mulet, baam. o tinki signifie : « il chargera (le mulet ou la mule) » ; tongo rongo désigne les petits génies de la brousse, qui sont les antagonistes de Kumen.

[2] Le rayon du Premier soleil est violet.
Les « trois nerfs » sont les « trois formes » de la matière : liquide, solide et gazeuse.
Les onomatopées jigin bantam, etc. représentent allégoriquement une marche effectuée dans l'eau avec force. Kumen sait que le fait de recevoir dans les yeux une seule goutte de l'eau ainsi projetée aveugle à jamais le marcheur, et lui retire la possibilité de contempler la lumière du premier soleil, qui commande et conditionne la vue de la lumière des suivants ; il ordonne donc à Sile de fermer les yeux.

[3] Le kooli pousse au bord du fleuve ; la fleur est odoriférante. min tan « moi seul », laamɗo tan « Dieu seul », doit se traduire : « moi seul avec Dieu ».

[4] Le chien est un animal impur pour l'Islam, qui tolère cependant celui du berger, compagnon fidèle et efficace. Il est ici le symbole de la garde de la connaissance. On montre ainsi à Sile qu'il doit être vigilant et fidèle, et ne doit pas trahir, même dans l'adversité.

[1] « Tinki mbam, tinkaati mbaam, jaati jaati mbaan, mbaam tongo rongo ».

[2] O agents ! préparés à la garde de la sixième clairière, j'amène Sile. Il a triomphé des défauts qui pénètrent l'homme par les yeux, les oreilles, les narines, la bouche, et de ceux que l'homme contracte par ses sens. Il peut voir les couleurs et se chauffer aux rayons des soleils sacrés. Il a passé à travers les cinq clairières d'un bout à l'autre. Ses sens n'en ont pas été troublés et il est apte à ouvrir les yeux pour voir le soleil au rayon murfe (violet). Il sait tendre, comme il le faut, les bras et faire apparaître ses trois nerfs. Ouvrez, ouvrez : jigin bant'am bant'am, bant'am. »
Kumen se tourna vers Sile et lui dit : « Ferme les yeux pour t'éviter l'égarement d'esprit que peut occasionner l'entrée dans cette clairière spéciale. » Quelques instants durant, Sile se sentit enlevé. Mais il ne sut s'il montait ou descendait.
« Ouvre les yeux, commanda Kumen, nous sommes dans la clairière où brille le soleil “violet”. »

[3] Sile ouvrit les yeux, vit le soleil briller à travers les arbres, mais il n'eut pas le temps de l'admirer. Des bêtes hideuses aux mouvements bizarres se ruèrent sur lui. Kumen, voyant Sile troublé au point de s'enfuir, lui souffla l'imposante incantation : « Soleil violet qui pointes au milieu des futaies, voile à mes yeux les dents aiguës de tes bêtes. Fais cesser les aboiements de tes chiens qui ont la rage au cœur. Darde vers moi ton rayon unique qui transmet le bonheur et donne la quiétude. Je promets de faire paître bœufs et brebis dans une prairie parfumée à la fleur du kooli. Kôli jumaani ; mulli jumaani ; min tan tan, laamɗo tan. » A ces derniers mots, le soleil violet brilla d'un grand éclat. Sile vit venir à lui un gros chien à la queue frétillante et qui poussait des petits cris de joie.

[4] « Je suis, dit l'animal, le compagnon du berger. J'aboie contre la hyène et je préviens chaque fois que la panthère est à l'affût. Depuis le jour où le berger a fait de moi son ami et son auxiliaire, je n'ai cessé de lui manifester mon intelligence et ma fidélité, que je dois aux émanations du soleil septième. Je me tiens debout devant le parc, je montre à l'étranger des dents qui ne rient pas et je dis : haw ! haw ! haw ! »
Kumen :
— O chien de berger ! gardien des parcs, quels sont ces arbres au milieu desquels tu demeures ?
— O Kumen ! tu es plus renseigné que moi, mais puisqu'il faut que je parle : je demeure au milieu des beaux arbres qui transforment le sang en lait et protègent le parc contre les maléfices.
Kumen s'adressant à Sile :
— Retiens ce dire, puis au chien
— Salut au chien qui sait demeurer fidèle et sait attendre vigilant dans un coin. Nous marcherons sans crainte en imitant tes cris : haw ! haw ! haw ! Quand le monstre qui barre les chemins viendra vers nous, nous l'éloignerons en criant : haw ! haw ! haw ! Il ne pourra rien contre le destin voulu par la providence. »