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Kaidara
Récit Initiatique Peul
Rapporté par Amadou Hampâté Bâ
Edité par Lilyan Kesteloot & Alfâ Ibrâhîm Sow

Classiques Africains. Julliard. Paris. 1969. 181 p.


       Table des matieres      

Le présent ouvrage a été soumis à l'Association des Classiques africains qui,
conformément à ses status, en a confié la révision à Mme Christiane Seydou et à M. Michel Leiris
et en a décidé la publication dans cette collection.

Introduction

Kaydara est le titre d'un récit initiatique qui fait partie de la littérature traditionnelle des Fulɓe du Ferlo sénégalais aussi bien que des Fulɓe du Maasina.
Amadou-Hampâté Bâ qui nous le rapporte ici, en avait tout d'abord donné une version en prose, qu'il a ensuite retravaillée en vers; sa méthode fut, en cela, parfaitement conforme à celle que pratiquent les traditionalistes fulɓe qui composent les janti 1, genre littéraire auquel appartient ce récit.
En effet, sous le vocable impropre de « conte », on a jadis rangé pêle-mêle toutes les histoires que l'on racontait durant les longues veillées africaines. Une enquête plus approfondie a d'ores et déjà dégagé les épopées et les récits cosmogoniques. L'édition de Kaydara nous donne ici l'occasion de distinguer, dans la littérature d'imagination pullo : le jantol, le taalol, le tinndol, le mallol, chaque sorte de récit possédant des caractéristiques propres.
Qu'est-ce qui, dans ces conditions, caractérise les janti ? Tout d'abord, le Jantol est un récit très long dont les personnages sont humains ou divins; son sujet peut être une aventure mythique, une histoire exemplaire didactique ou édifiante, une allégorie initiatique comme c'est le cas ici; tandis que la fable animale, les récits humoristiques ou caustiques appartiennent au domaine du taalol 2. Par ailleurs le jantol, contrairement au taalol 2, peut se composer en vers ou en prose et peut également s'écrire. Certains traditionalistes l'écrivent d'abord avec la graphie arabe, puis l'apprennent par cœur et acquièrent un tel renom pour la perfection de leur texte, que les élèves viendront l'apprendre chez eux. Cependant, ce ne sont que des versions d'une histoire connue et dite par d'autres, et toujours susceptible d'être recomposée, réécrite, réinterprétée par un artiste inspiré.
Le jantol est donc le fait des lettrés fulɓe car il nécessite une culture, une science et une adresse que ne possède habituellement pas le conteur ordinaire; Kaydara, notamment, est un poème de lettré, conçu à la gloire des lettrés, où sera mise en évidence la supériorité du savoir sur la fortune et le pouvoir.
Amadou-Hampâté Bâ, traditionaliste lettré reconnu comme tel dans tout le Mali, n'a donc fait que suivre la tradition de ses maîtres et de ses pairs en composant deux versions successives de Kaydara (il pourrait d'ailleurs en composer deux autres !) et il n'a en rien outrepassé la liberté normale de l'auteur traditionnel africain. Mais, demanderont certains, en quoi consiste exactement cette liberté de l'artiste « avec le texte » ?
Tout d'abord, il faut bien se convaincre qu'en littérature orale il n'y a, au départ, pas de texte, pas de « premier manuscrit » parce qu'il n'y a pas d'écrit.
Néanmoins, il existe bel et bien une histoire très précise et, s'il s'agit d'un récit initiatique — donc à portée religieuse et ésotérique — comme c'est le cas ici, il y a une histoire dont la progression, les étapes, les symboles, les faits significatifs doivent rester rigoureusement inchangés. De plus, elle comporte certaines parties fixes que la mémoire ou la plume des auteurs respecteront intégralement; ce sont souvent des genres de refrains à formules mystérieuses ou sentencieuses contenant clos sur eux-mêmes, des principes fondamentaux de la philosophie traditionnelle. Par exemple, dans Kaydara, les litanies commençant par :

jette mon « mangeur » à terre.
Un jour prochain, la terre le mangera.
La vie est ainsi faite.
Le termite ronge les racines, les mange.
La poule, quant à elle, avale le termite.
[ … ]

Ou encore le passage :

La vie et la mort mises en nous demeurent.
Torse contre torse, elles s'y trouvent, elles y luttent.
Comme l'eau contre la terre, elles y luttent sans répit.
Chaque victoire gagnée sur la droite
sur la gauche est défaite. [ … ]

L'auteur ne peut donc absolument rien changer du fond, pas plus d'ailleurs que des détails significatifs de son histoire ou de ces parties fixes qui en sont une espèce de concrétisation permanente. Par contre, il pourra en choisir la forme qui lui plaît selon ses talents, son humeur ou son public; la dire, la chanter ou l'écrire; en prose ou en vers; allonger ou raccourcir certaines parties; ne pas donner l'explication de certains symboles ou en abréger le commentaire, le développer parfois selon son état d'âme ou selon les circonstances; l'interrompre par des questions ou des devinettes posées à l'auditoire ou par une digression didactique à caractère botanique, zoologique ou religieux…
Pour nous résumer, on pourrait dire que les janti sont des récits à thèmes et à canevas fixes, à formes variables; et si l'on se donne la peine de comparer les deux versions de Kaydara que rapporte Hampâté Bâ, on constatera, en effet, qu'elles ne diffèrent que par le rythme et des nuances de style sans conséquences sur le sens.
Une fois composé le jantol, le traditionaliste le racontera durant les veillées devant un public où se mêlent grands et petits. Le plus souvent, il n'en dit que des fragments; il arrive dans le cercle des gens du village, s'assied, conte, s'arrête et peut ne reprendre son récit que trois mois plus tard. Il lui arrive aussi de la raconter d'une seule traite durant « les longues nuits de la saison froide », accompagné par unjoueur de hoddu ou luth. Ou encore il peut soudain se mettre à en développer l'un des symboles, à l'occasion d'un événement qui présente des analogies avec ce symbole. Car, on le dit expressément tout au début du récit : « ... je suis futile, utile, instructif ».
Cependant, on ne racontera pas Kaydara de la même façon devant des enfants ou des érudits. Il existe un résumé du jantol pour les auditeurs non avertis et une version ésotérique à laquelle on ne fait allusion que devant ceux qui sont soit au courant, soit à même de le comprendre 3. N'importe qui peut y avoir accès. Cela dépend seulement de son degré de maturité intellectuelle. C'est ainsi que le captif ou le serviteur arrive souvent à devenir l'héritier spirituel de son maître, car la vie lui a donné le loisir de l'écouter plus souvent que tout autre.
Un maître sans héritier peut aussi laisser son savoir à sa fille qui, à son tour, initiera la Société 4. Et ceci n'est qu'une des indications du statut de la femme pullo, si privilégiée parmi celles des autres nations africaines !
Ceci dit, les femmes témoignent assez peu d'intérêt aux sciences mystiques et préfèrent en général se consacrer aux secrets de la cuisine (qui est sacrée d'ailleurs, avec tout un rituel) ; il y a peu de femmes initiées dans la société fulɓe.
Donc, en principe, tout individu du groupe peut devenir « initié » selon le temps qu'il consacrera à écouter le maître et le degré de compréhension que son intelligence pourra atteindre. Suivant ces deux critères, s'opère une sélection naturelle qui fera que, sur dix adeptes, un ou deux seulement arriveront à évoluer à l'aise dans les arcanes de l'enseignement magistral. En effet, ce n'est point parce qu'il est oral, « sans classes » et anecdotique que cet enseignement est facile.
Certes, le maître parle presque exclusivement par images, car il sait qu'alors l'Africain l'écoute sans lassitude tandis que les idées abstraites lui semblent sèches et fatigantes. Mais qu'on ne s'y trompe pas : chaque image ou presque recèle, comme un piège, un symbole; et derrière le symbole, une idée souvent complexe. Le même symbole est parfois le support d'une dizaine d'idées différentes (attributs du caméléon par exemple) sans compter la référence très fréquente à l'ésotérisme du nombre.

Ne dit-on pas que le nombre est le « nœud du mystère » et que, s'il y a le signe ou sumogal et la parole ou woliide, le nombre ou limngo est le produit de la parole et du signe, donc plus essentiel et plus mystérieux ? Comme l'image, le nombre doit donc être retenu et approfondi car il n'est jamais un hasard en initiation.

Ainsi, sous une apparence presque naïve de conte de fée, le récit initiatique exige une attention constante du disciple et une étonnante gymnastique intellectuelle de celui qui devra, dans la méditation solitaire, en tirer la « substantifique moëlle ».

Dans le panthéon fulɓe, il y a tout d'abord Geno 5 l'Eternel, le Tout-Puissant, le Créateur, Conservateur et Destructeur, Celui qui donne la vie et qui l'arrache. Le mal comme le bien vient de Geno et la prière le dit clairement : « Donne-moi Ton bien, non Ton mal; et si Tu me donnes Ton mal, donne-moi la force de le supporter ». La paresse, les vices, les guerres, tout vient de Geno. Et l'on trouve cela normal car Son autorité est incontestable et Geno n'a pas à rendre des comptes aux hommes, pas plus que le père de famille à ses enfants.
Selon l'éducation traditionnelle, en effet, le Peul ne se révolte jamais contre ses parents, ne les trouve jamais injustes, même quand ils le briment. Sa notion d'équité dépend de celle du droit. Or les parents, le chef, l'aîné, ont tous les droits 6. Si l'un d'eux fait un partage inégal et qu'un jeune réclame, on lui répond :
— Les parts de Geno sont-elles égales ?
— Non.
— Alors prends ce qu'on te donne et, quand ton tour de partager viendra, tu en feras à ta guise .
Dans la tradition pullo, on ne connaît pas Satan qui polarise les mauvaises intentions dans l'islam ou le christianisme. Lorsque, dans le récit, on parle du diable, on utilise un mot d'emprunt. En réalité il s'agit d'un génie ; car Geno n'est pas en contact direct avec les humains. Il y a d'abord certaines de ses « émanations », sortes d'esprits surnaturels qui sont comme les « gouttières de Geno ». Tel est le cas de Kaydara l'initiateur, de Jeddo-Dewal la maléfique ou des dieux d'origine auxquels on offre des sacrifices : Ham, Dem, Yer, etc. … Puis, il existe une infinité de génies spécifiques des éléments (génies de l'air, de l'onde, du feu) ou servant un des esprits surnaturels (les génies de Kaydara) ou encore en liberté dans la nature et s'ingéniant soit à aider les hommes, soit à les tourmenter. Un beau rêve sera envoyé par un bon génie; un vilain soupçon émanera d'un mauvais génie. Il y a enfin les génies affectés à des rôles très spécialisés : les génies de la cuisine, les génies de la chasse, les génies des champs, les génies du cheptel dont Koumen 7 est le chef. Cela donne une « population occulte » extrêmement dense qui habite le « pays de pénombre » où vivent les « cachés » ou suuɗiiɓe, esprits invisibles mais sujets à incarnation, de toutes sortes.
Ce pays est l'intermédiaire entre le « pays de clarté » où vivent les « visibles » de toutes espèces et le « pays de nuit profonde », séjour des âmes des morts et des êtres-à-naître, comprenant non seulement les âmes des humains, mais encore celles des animaux et des plantes. Tels sont les trois pays des Fulɓe. Lorsque donc, comme un refrain, on nous parlera dans ce récit du « pays des génies-nains », ce pays sera bien celui de la pénombre et particulièrement la région occupée par les Yaamana-Juuju ou génies-pygmées 8 serviteurs de Kaydara.
Kaydara est donc « un rayon émané du foyer qu'est Geno ». Polymorphe lorsqu'il se rend visible, il choisit de préférence les traits de petits vieux difformes ou mendiants pour mieux égarer les opportunistes ou les superficiels.
On n'est pas arrivé à déterminer avec exactitude le sens de son nom. Si l'on en analyse l'étymologie, dara signifie arrête ou arrête-toi (c'est l'impératif du verbe pular/fulfulde daraade); Gay: ici (dont Kay serait une corruption euphonique). Donc Kaydara pourrait signifier arrête ici: but, limite, borne, fin.
Mais pourquoi est-ce un but, pourquoi vouloir atteindre à tout prix, à travers mille épreuves, le mystérieux Kaydara? car on ne dit pas au début du récit le pourquoi du voyage étonnant qu 'entreprennent Hammadi, Hamtuɗo et Demburu.
C'est que Kaydara n'est rien moins que le dieu de l'or et de la connaissance.
Dieu de l'or, il se trouve, comme l'or, sous la terre; et tout le voyage des aventuriers sera donc souterrain. Il leur faudra traverser onze 9 couches correspondant à onze symboles et onze épreuves pour se trouver devant l'esprit surnaturel qui leur octroyera le métal sacré.
Métal royal qui est l'un des mythes de base dans toute l'Afrique de l'Ouest, pourquoi fut-il ésotérique bien avant qu'on ne lui attribue une valeur monétaire? « Parce qu'il ne se rouille ni ne se souille »; parce qu'il est le seul métal « qui devient coton sans cesser d'être fer » et que, « avec un gramme d'or, on peut faire un fil mince comme un cheveu pour entourer tout un village »; enfin, parce que « l'or est le socle du savoir; mais si vous confondez le savoir et le socle, il tombe sur vous et vous écrase ».
Dans cette dernière maxime, apparaît clairement l'association or/connaissance, telle qu'elle se trouve réunie dans le dieu Kaydara.
Si l'or cependant, plus que le savoir, attire les aventuriers, c'est la connaissance qui caractérise Kaydara et qui détermine jusqu'à son apparence. Cet être extraordinaire à sept têtes, douze bras, trente pieds, juché sur un trône à quatre pieds qui tourne sans arrêt, c'est la structure même du monde et du temps, avec les sept jours de la semaine, les douze mois et les trente jours du mois; c'est le mouvement perpétuel de la terre, les quatre éléments fondamentaux et les quatre cataclysmes qui, selon les prédictions, détruiront la terre des hommes.
Connaissance de l'ordre cosmique, mais aussi du désordre : dualisme en toute chose et anéantissement des êtres par d'autres êtres. Connaissance des lois sociales, mais aussi des lois psychologiques : chaque symbole rencontré sur le chemin de Kaydara correspond à un type humain, avec son côté positif et son côté négatif. Les trois conseils donnés par Kaydara lui-même visent à rendre absolues — sans dévoiler leur secret — les lois de la nature et celles des ancêtres. Malheur à qui ne les respecte point. Mais les connaissances du dieu de la connaissance sont insondables et c'est sans doute pourquoi il s'appelle « limite » car il est en effet la limite de la connaissance humaine. Il est « le lointain et bien proche » à la fois car on croit le comprendre aisément alors qu'il est inépuisable. Ce n'est pas un hasard si, à la fin du récit, Kaydara 10 recule de trois pas dès que l'homme qu'il vient d'initier veut l'étreindre dans un mouvement de joie : ne faut-il pas que demeurent toujours la distance et le voile qui séparent le maître de l'élève, le dieu de l'homme et le savoir de ses approches imparfaites ?

L'initiation de Kaydara comportera trois phases bien distinctes :

La première est toute entière contenue dans la quête des voyageurs au pays des nains. Itinéraire plein d'épreuves où leur apparaissent des êtres « chargés » d'une signification qui leur échappe : le caméléon, la chauve-souris, le scorpion, la mare aux serpents, le bouc lubrique, les trois puits ... autant de symboles dont Kaydara détient la clé, autant de « degrés » dans l'initiation que l'adepte doit franchir; l'obéissance aveugle est exigée et toute question reste momentanément sans réponse; « c'est le mystère de Kaydara », « le secret qui n'appartient qu'à Kaydara ».
Ce voyage sous la terre symbolise la pénétration dans le domaine ésotérique tandis que l'espace aérien et céleste est le domaine de l'exotérisme.
La première phase se termine avec la rencontre de Kaydara et la récompense de l'effort par le don des neuf bœufs chargés d'or. Mais Kaydara donnera l'or, point encore la connaissance. La deuxième phase décrira le retour des voyageurs vers la surface de la terre; et durant cette seconde période d'épreuves, leur comportement déterminera leur destin; car l'or acquis si péniblement est ambigu; il peut servir à la conquête de la richesse, de la puissance ou du savoir. Les deux compagnons de Hammadi, obnubilés par leur récente fortune, perdront toute prudence et leur avidité leur fera violer les interdits. Ils y perdront la vie. Ainsi l'or sera devenu la cause même de leur perte.
Seul Hammadi garde sa tête froide et, se souvenant que « l'or n'est que le socle du savoir », il songera à l'utiliser pour acquérir la sagesse. Son attitude pleine d'attention et de respect envers ceux qu'il devine être les détenteurs des secrets essentiels lui vaudra de devenir, sans l'avoir cherché, riche et puissant, le roi même de son pays.
Mais l'histoire ne se termine pas sur cette fin merveilleuse un peu enfantine. L'initiation n'est pas accomplie. Et Hammadi, au lieu de s'embourgeoiser dans un bonheur facile, reste distant de sa situation et de son rôle, et toujours anxieux de rencontrer l'initiateur ultime qui lui révélera les symboles de Kaydara.
Il vient un jour à lui, sous une forme dérisoire selon son habitude. Tout de suite, Hammadi pressent le Maître et le reçoit avec toute la déférence nécessaire. Le mendiant est Kaydara lui-même et, cette fois, il dévoilera au disciple persévérant et méritant le sens des symboles du pays des génies-nains. Hammadi connaîtra enfin la vraie joie.
On ne peut, au cours de cette première approche, extraire tout le suc de ce récit pular/fulfulde. C'est qu'il dépasse infiniment son anecdote !
Tout d'abord, dans son mode de déroulement, c'est une pédagogie experte que l'on saisit toute vivante, en action. Il ne reste plus qu'à en tirer la théorie. Est-il ensuite nécessaire de détailler la richesse du contenu ? Ce serait fort long car s'y superposent savamment toute une éthique à la fois très pullo et universelle, sociale et personnelle; une typologie originale des caractères ou tempéraments, une initiation au langage symbolique des esprits de la nature. Enfin, en contrepoint, la constante référence à une cosmogonie ésotérique, accessible aux seuls « mentons-velus et talonsrugueux », nous fait entrevoir ces « réalités supérieures » 11 dont l'importance échappe au commun des hommes.
Ce récit initiatique est donc si mystique et si philosophique qu'on se sent un peu confus d'attirer l'attention sur sa beauté formelle. Est-il sérieux de parler de littérature lorsqu'on se penche sur les abysses de la Weltanschauung africaine ?
Cependant, on ne peut décemment passer sous silence la poésie délicate qui passe comme un fil d'or tout le long de la trame du récit et le fait scintiller du feu de ses images et de ses rythmes. C'est elle qui en fait un « conte agréable à écouter ».
Aussi, plutôt que de dire, comme c'est devenu l'usage, que la poésie, voire l'esthétique africaine, sont fonctionnelles donc purement utilitaires, préférerionsnous inverser les termes de ce raisonnement et suggérer qu'en Afrique, « le bel agir » et le grand savoir sont inséparables du beau langage.

Pour terminer, que M. Alfâ Ibrâhîm Sow soit remercié. Il a refait, avec nous, la traduction française et transcrit à nouveau le texte pular/fulfulde, qu'il nous avait aidé à établir, selon les exigences scientifiques de la conférence linguistique consultative de Bamako.

Notes
1. jantol (ngol); pl. janti (ɗi) désigne l'histoire apprise et redite; ce substantif dérive du verbe pular/fulfulde janngude (va-vp) : étudier, lire; il est formé à partir du verbe dérivé janngitude: réétudier, relire; qui donne, par transformations, janngitde ou janngtude; jantude dont l'infinitif moyen jantaade signifie dire des janti; énumérer, rappeler ou évoquer par extension.
2. taalol dérive du verbe pular/fulfulde taalude (va-vp) qui signifie : citer, dire un conte; laalol (ngol); pl. laali (di) désigne donc le récit conté ou conte.
3. Il va sans dire que le texte transcrit ici est la version intégrale du récit.
4. Cependant, elle portera alors des habits d'homme, de même que la fille initiée aux secrets des chasseurs ou des pasteurs; ceci pour respecter, au moins en apparence, la spécificité des tâches, selon la coutume. Chez les Bambara où il existe des associations de femmes, l'homme initié à leurs rites portera aussi des habits féminins.
5. Yenɗude (va) : être éternel; Ngenndi: ville éternelle; Yene: vache-mère, ancêtre de toutes les vaches; doyenne du troupeau par extension.
6. Pour l'organisation économique et sociale des Fulɓe du Mâcina, le lecteur voudra bien lire ou relire les éléments de base qui ont été publiés dans L'empire peul du Maasina (Mouton, Paris/La Haye, 1962) et dans Koumen (Mouton, Paris, 1961), du même auteur. 7. Id. Ibid.
8. Pygmées: la théorie selon laquelle ils sont premiers occupants de l'Afrique expliquerait leur rôle surnatarel dans les légendes.
9. On ne sait pas le nombre exact des symboles; A.-H. Bâ, sur 25 ans de recherches, en a trouvé 11. Or, 11 est le chiffre sacré par excellence, clé de toute l'ésotérie musulmane, pullo, bamana… Est-ce ici influence ou coïncidence ?
10. Y aurait-il influence ou coïncidence encore avec Khadrou qui est l'initiateur de tous les prophètes en tradition islamique, y compris Moïse ? Cependant Kaydara est connu dans cette tradition pullo bien avant la pénétration musulmane et, d'autre part, est inconnu chez les nations voisines comme les Bambara par exemple.
11. Suivant l'heureuse expression de Mme G. Diéterlen dans son Essai sur la religion Bambara (Paris, P.U.F., 1951).