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Kaidara
Récit Initiatique Peul
Rapporté par Amadou Hampâté Bâ
Edité par Lilyan Kesteloot & Alfâ Ibrâhîm Sow

Classiques Africains. Paris. Julliard. 1969. 181 p.


       Table des matieres      

Kaydara — Strophes 80-95

nde soomtoya tatte mayre gujaaɗo danewol. 80
Kali-kali darɗe jeenay paaɗe leydi
ɓanngani waayiraaɓe taton ndewoyb hen
fey ɓe jaƴaali, fey fey fey jaƴaali.
Ŋabbirgal ɗowoyc ɓe naɓoyd e boowal.
Ɓe tawi ɗoon ɗaalli tati diiwnɗaaɗi diƴƴe e 85
kanyum e njooɓaari fuu anniima doomi.
— « Foofoo mon yahooɓe to leyɗe yaamaf
Annii ɗaalli tati faa kurkanoo on.
To yeeso danyon no yeɗa on goɗɗi oo
mo laatil ɓunndu anndal waamnde nyeenyal. » 90
— « Hono mo wiyetee, hoto mo wom? » Hamtuudo lamndii.
Mo ɓeydi e ɗum mo wii : « Ee maa kaaloyoowo,
aan homo kaalanaag kam, honto ngon-ɗaa? »
— « A anndan ɗoo nde anndoy-ɗa a anndaa,
mbaawaa munydeh faa anndaa, a anndan ». 95
Taton giƴiraabe nanngoyi yaade laawol,
homo fuu ɗaandi muuɗum sogga yaadej
Ɓe njeyk njehi sanne faa ɗum wonti sanne;
so tawl tan yaadu, nii laatiima kayru!

Notes
a. soom(i)toyi, soomtoyi.
b. ndewoyi: le sujet de ndewoyi, dont la reprise est grammaticalement nécessaire, reste sous-entendu ici; c'est le pronom-sujet ɓe.
c. ɗowoyi.
d. naɓoyi.
e. diƴƴe est le pluriel de ndiyam.
f. Forme raccourcie pour yaamana-juuju.
g. kaalana ham,l'allongement est dû aux besoins du rythme.
h. munyaade.
i. nanngoyi.
j. L'ordre normal est : homo fun(na) sogga ɗaandi muuɗum
k. Forme issue du radical verbal yah/yeh; ɓe njehi serait donc ici la bonne orthographe; mais le mouvement général du vers impose njey.
l. tawu.

et découvrit son côté enduit de blanc 1.
Un escalier 2 de neuf marches 3 conduisant sous terre
apparut aux trois amis qui l'empruntèrent
sans hésiter du tout, sans hésiter du tout.
L'escalier les guida, les conduisit sur une place.
Ils y trouvèrent trois bœufs-porteurs qui attendaient,
chargés d'eau et de vivres pour la route.
« Salut à vous qui allez au pays des nains !
Voici trois bœufs-porteurs pour vous servir.
Plus loin vous en aurez d'autres que vous offrira
la source de savoir, termitière de sagesse ! »
« Comment se nomme-t-il et où se trouve-t-il? » demanda Hamtoudo 4.
Il ajouta et dit : « O toi qui parles !
toi-même qui me parles où es-tu ? »
« Tu sauras où quand tu sauras que tu ne sais pas 5
quand tu pourras attendre pour savoir, tu sauras. »
Les trois amis s'engagèrent sur la route,
chacun devant soi poussant son bœuf-porteur ;
ils se mirent à marcher, marchèrent longtemps, marchèrent pour de bon;
s'il y eût jamais une marche, vraiment c'en était une !

Notes
1. Parce que les symboles que verront les voyageurs ne leur seront pas dévoilés, bien qu'ils se trouvent déjà en zone ésotérique.
2. L'escalier est toujours symbole de la progression vers la science; s'il monte vers le ciel, il s'agit de la connaissance du monde apparent; s'il rentre sous terre, il s'agit évidemment du savoir occulte. Il y a des fois où le blanc représente la haute science et le noir la magie noire.
3. En ésotérie islamique, descendre 9 marches signifierait dompter les 9 sens. En ésotérie pullo, on n'y voit pas d'autre sens qu'une allusion de plus aux 9 ouvertures du corps.
4. On verra tout le long du récit que les questions des voyageurs seront systématiquement éludées malgré le droit qu'ils ont d'en poser. Un proverbe fulfulde dit : « Celui qui est curieux a le sang amer, mais il ne se perd pas », ce qui signifie qu'il est importun mais sait se débrouiller.
5. Maxime capitale pour l'initié néophite. En initiation, on écoute beaucoup plus qu'on ne questionne; on attend jusqu'à ce que le maître ait fini son récit; car un jour, à sa convenance, il donnera l'explication de ce qui est obscur; il met à dessein la patience de son disciple à l'épreuve; ce n'est d'ailleurs pas pour brimer sa vivacité intellectuelle, car il arrive au maître, après un exposé, de provoquer des questions, voire une discussion.
Mais le disciple doit s'habituer à ne pas interrompre, à « sentir » quelle question il peut poser et laquelle il faut taire. Cette patience dans la connaissance est imposée comme condition sine qua non; c'est une véritable éducation mentale et son acquisition sera une preuve pour le maître de la maturité de son élève. Il saura par là qu'il peut confier les secrets à l'initié, car ce dernier aura la discrétion nécessaire pour ne pas aller les divulguer.