webPulaaku


Amadou Hampâté Bâ
Amkoullel. L'enfant peul. Mémoires

Paris. Actes Sud. 1991. 409 p.


      Table des matieres       

Le grand conteur, historien et traditionaliste Kullel, qui s'était tellement attaché à moi depuis mon enfance que l'on m'avait surnommé “Amkullel”, c'est-à-dire “le petit Amadu de Kullel” ou “fils de Kullel”.

Avant-propos

La mémoire africaine

Le manuscrit d'Amadou Hampâté Bâ contenait de nombreux développements sur certains aspects de la culture ou de la sociologie africaines. En raison de l'importance de l'ouvrage, il a été décidé, en accord avec l'auteur, de privilégier le récit et de supprimer une grande partie de ces développements. Le lecteur pourra les retrouver dans des ouvrages de l'auteur plus spécialisés. (N.d.E.)

“Plusieurs amis lecteurs du manuscrit se sont étonnés que la mémoire d'un homme de plus de quatre-vingts ans puisse restituer tant de choses, et surtout avec une telle minutie dans le détail. C'est que la mémoire des gens de ma génération, et plus généralement des peuples de tradition orale qui ne pouvaient s'appuyer sur l'écrit, est d'une fidélité et d'une précision presque prodigieuses. Dès l'enfance, nous étions entraînés à observer, à regarder, à écouter, si bien que tout événement s'inscrivait dans notre mémoire comme dans une cire vierge. Tout y était : le décor, les personnages, les paroles, jusqu'à leurs costumes dans les moindres détails. Quand je décris le costume du premier commandant de cercle que j'ai vu de près dans mon enfance, par exemple, je n'ai pas besoin de me « souvenir », je le vois sur une sorte d'écran intérieur, et je n'ai plus qu'à décrire ce que je vois. Pour décrire une scène, je n'ai qu'à la revivre. Et si un récit in'a été rapporté par quelqu'un, ce n'est pas seulement le contenu du récit que ma mémoire a enregistré, mais toute la scène : l'attitude du narrateur, son costume, ses gestes, ses mimiques, les bruits ambiants, par exemple les sons de guitare dont jouait le griot Jeli Maadi tandis que Wangrin me racontait sa vie, et que j'entends encore…
Lorsqu'on restitue un événement, le film enregistré se déroule du début jusqu'à la fin en totalité. C'est pourquoi il est très difficile à un Africain de ma génération de « résumer ». On raconte en totalité ou on ne raconte pas. On ne se lasse jamais d'entendre et de réentendre la même histoire ! La répétition, pour nous, n'est pas un défaut.”

Chronologie

“La chronologie n'étant pas le premier souci des narrateurs africains, qu'ils soient traditionnels ou familiaux, je n'ai pas toujours pu dater exactement, à un ou deux ans près, les événements racontés, sauf lorsque des événements extérieurs connus me permettaient de les situer. Dans les récits africains où le passé est revécu comme une expérience présente, hors du temps en quelque sorte, il y a parfois un certain chaos qui gêne les esprits occidentaux, mais où nous nous retrouvons parfaitement. Nous y évoluons à l'aise, comme des poissons dans une mer où les molecules d'eau se mêlent pour former un tout vivant.”

Zone de référence

“Quand on parle de « tradition africaine », il ne faut jamais généraliser. Il n'y a pas une Afrique, il n'y a pas un homme africain, il n'y a pas une tradition africaine valable pour toutes les régions et toutes les ethnies. Certes, il existe de grandes constantes (présence du sacré en toute chose, relation entre les mondes visible et invisible, entre les vivants et les morts, sens de la communauté, respect religieux clé la mère, etc.), mais aussi de nombreuses différences : les dieux, les symboles sacrés, les interdits religieux, les coutumes sociales qui en découlent varient d'une région à l'autre, d'une ethnie à une autre, parfois de village à village.
Les traditions dont je parle dans ce récit sont, en gros, celles de la savane africaine s'étendant d'est en ouest au sud du Sahara (ce que l'on appelait autrefois le Bafour), et plus particulièrement celles du Mali, dans les milieux pullo-toucouleur et bambara où j'ai vécu.”

Rêves et prédictions

“Une autre chose qui gêne parfois les Occidentaux dans les récits africains est l'intervention fréquente de rêves prémonitoires, de prédictions et autres phénomènes de ce genre. Mais la vie africaine est tissée de ce genre d'événements qui, pour nous, font partie de la vie courante et ne nous étonnent nullement. Il n'était pas rare, jadis, de voir un homme arriver à pied d'un village éloigné uniquement pour faire part à quelqu'un d'annonces ou d'instructions qu'il avait reçues en rêve à son sujet ; puis il s'en retournait tout naturellement, comme un facteur venu apporter une lettre à son destinataire, en toute simplicité. Ne pas mentionner ce genre de phénomènes au cours du récit n'aurait pas été honnête de ma part, puisqu'ils faisaient — et font encore sans doute, dans une certaine mesure — partie de nos réalités vécues.”

(Propos d'Amadou Hampâté Bâ recueillis en 1980 par Hélène Heckmann.)

      Table des matieres