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Anthropologie - Histoire


Louis Tauxier

Administrateur des Colonies en retraite
Bibliothécaire-archiviste de la Société des Africanistes

Moeurs et Histoire des Peuls

Payot, Paris, 1937. 418 p. 23 gravures 1 carte.


Chapitre premier
L'anthropologie peuhle et notes générales sur les théories d'origine

Avant d'en venir à l'anthropologie somatique des Peuls disons un mot :

Le nom

Sur le nom des Pouls tout a été dit avant moi et par bien des auteurs. Rappelons seulement que leur vrai nom est Poul ou Phoul ou Foul au singulier, Poulbé ou Phoulbé ou Foulbé au pluriel. En Afrique Occidentale Française les colons disent dans leur argot : Un Poullo, une Poullotte pour désigner un Peuhl ou une Peuhle.
Quant au mot Peul ou Peuhl adopté par les Français, c'est ainsi que les Ouolof désignent les Peuls. Nous avons adopté ce mot Ouolof, qui est Peul ou Peuhl, quoique, à vrai dire, il vaudrait beaucoup mieux dire un Poul ou un Foul.
Quant au mot Foula ou Foulah c'est le mot Mandé (Malinké, Bambara, etc.) pour désigner les Pouls. Les Mandé disent Foula au singulier, Foula-lu au pluriel. Quelquefois Foula est prononcé Fila avec comme pluriel Fila-lu.
Ce n'est pas du premier coup, que l'on a su que les Peuls s'appelaient Poul ou Foul, et au pluriel Poulbé ou Foulbé. Makrizi (1364-1442) et Sadi l'auteur du Tarik-es-Soudan (1667) nous parlent de Foulania. Jeao de Barras, le célèbre explorateur portugais du XVIe siècle, les appelle Fullos. Moore (XVIIIe siècle) parle des Foulis ou Pholeys. René Caillié écrit toujours Foulahs.
D'Avezac (1829) prétend mais à tort et d'après le voyageur Duranton, du Khasso, qu'ils s'appellent eux-même Felans (ce qui est une erreur), Clapperton (1825) dit aussi qu'ils s'appellent Felans et qu'on les a appelés jusqu'ici à tort Fellalahs. Les frères Lander (1830) disent Foulah et Foulanies. D'Eichtal (1842) sait qu'ils s'appellent Foul ou Peul au singulier et donne comme pluriel Felans, Fellans, Felanies et Foulanies (ce qui est une erreur).
C'est Barth, le grand voyageur allemand, qui le premier a approfondi la question du nom des Peuls et débrouillé cette diversité.
« La forme fondamentale, dit Crozals (Les Peuhls, p. 256)
résumant Barth, est Pul qui signifie « brun-clair, rouge » en opposition avec Olof « noir » (w-olof, y-olof). La forme du singulier est Pul-o, c'est-à-dire le Pul; la forme du pluriel Pul-be, c'est-à-dire les Pul. Une autre forme du pluriel du nom, couramment employée et dont Barth use constamment dans la relation de son voyage, est Fulbe. Il dit un Pullo et des Fulbe. Tel est le nom sous lequel ce peuple se connaît lui-même. »
De Crozals ajoute que les Mandingues ou Mandé disent Foula, les Haoussa Fellani, les Kanouri Fellala, les Arabes Foullan. Dans tout le Soudan Oriental c'est la forme Fellata des Kanouri qui a prévalu.
D'après Koelle et Waitz on appelle les Peuls Abate dans le Kororofa c'est-à-dire des blancs et les Mousgou les appellent Tschogtschogo.
Delafosse dit (Haut-Sénégal-Niger, t. I, p. 118, 119) que Poullo fait au pluriel Foulbé, mot qui, dans leur langue, signifierait « les dispersés », « les éparpillés » d'après M. le commandant Gaden. C'est le radical de ce mot, prononcé Peul par les Ouolofs, que nous avons adopté le plus généralement en France pour désigner ce peuple.
Il est appelé par les Maures Foullani au singulier, Foullania ou Foullaniyin au pluriel. Les Touareg l'appellent Afouli au singulier, Ifoulân ou Ifellân au pluriel. Les Haoussa l'appellent Bafilatché au singulier, Foulani ou Foulaoua au pluriel. Les Kanouri du Mounio et du Bornou l'appellent Fellala ou Filata. Les Mossi l'appellent Silmiga au singulier, Silmisi ou Silmisé au pluriel.
Il resterait à savoir qui a raison de Barth ou du commandant Gaden pour le sens du mot Peul. Signifie-t-il brun-clair, rouge ou bien dispersé, éparpillé? La question serait à tirer au clair mais nous n'avons pas qualité pour la trancher.

Le domaine

Ceci dit pour le nom, disons que le domaine des Peuls s'étend de l'Océan Atlantique au Tchad. Nous trouvons principalement en allant de l'ouest à l'est.

  1. Les Peuls du Fouta-Toro (Ferlo), qu'il ne faut pas confondre avec leur métis Toucouleurs ou Foutankés ou Toronkés qui sont un mélange de Peuls et de Sérères
  2. Les Peuls du cercle de Nioro venus de l'ouest, du Fouta-Toro, vers le XIVe siècle de notre ère
  3. Les Peuls du Macina, venus également du Fouta-Toro vers la même époque
  4. Les Peuls du Fouta-Djallon venus vers 1675 du Macina et qui s'emparèrent du Fouta-Djallon sur les Soussou-Dialonké vers 1725. Dans le Fouta-Djallon il y a également des Foulacounda (mot mandé qui signifie exactement cases, établissements (Kounda) de Foulahs (Foula), venus en 1534 du nord au sud avec Koli Tenguéla fils d'un chef Peuhl battu et tué dans le cercle de Nioro en 1512 par les armées du Second Empire Songhai. Son fils se rejeta sur le Fouta-Toro où il établit sa domination, puis descendit jusqu'à la Guinée Française et la Haute-Gambie où il établit ses contingents Peuls. Ce sont là les Foulacounda, plus cultivateurs que les Peuls de l'invasion du Macina. En dehors des Foulacounda il faut encore signaler les Foula-Houbbou rejetés au sud et à l'ouest du Fouta-Djalon par les almamy de Timbo. Ce sont des espèces de dissidents peuls, des hétérodoxes contre lesquels maintes croisades religieuses furent dirigées par les autres Peuls.
  5. Les Peuls du pays Habbé
  6. Les Peuls du pays Mossi et Gourounsi répandus jusqu'au XIe degré de latitude nord
  7. Enfin les Peuls du pays Haoussa qui établirent leur domination dans cette contrée vers 1800 avec Othman Dan-Fodio. Ils sont venus aussi de l'ouest.

Tous les Peuls, en effet, semblent bien être partis du Fouta-Toron et du Sénégal, où ils étaient vers le VIIIe siècle de notre ère. C'est du VIIIe au XIXe siècle qu'ils ont opéré leur mouvement d'ouest en est, depuis le Sénégal jusqu'au Tchad. Maintenant, comme nous verrons qu'ils vinrent probablement de l'est (Ethiopie) à des époques reculées jusqu'au Sénégal, il y eut un mouvement d'est en ouest, mouvement préhistorique, qui précéda les mouvements historiques d'ouest en est que nous connaissons par l'histoire et les traditions. Mais cet antique mouvement qui porta les Peuls d'Ethiopie au Sénégal nous n'en connaissons nullement la date. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet en parlant des origines.
Le nombre des Peuls d'après le Dr Verneau (L'Homme 1931) serait de 975.000 ainsi répartis :

Sénégal (Fouta-Toro) 191.000
Haut-Sénégal — Soudan 76.000 — 425.000
Haute-Volta 234.000
Dahomey 42.000
Guinée Française 7.400
Total 975.400

Mais le Dr Verneau se trompe gravement en ne comptant que 7.400 Peuls en Guinée Française. Cela vient de ce que, au lieu de compter les Peuls du Fouta-Djallon pour des Peuls, il les appelle « Foutas » (p. 112) et les met à part sous prétexte de métissage avec les populations autochtones (Dialonké, etc.). En fait les Peuls du Fouta-Djallon doivent être comptés et sont comptés généralement parmi les Peuls. Ils sont 776.000, sans compter

Cela fait donc 822.000 personnes et non 7.400. Enfin le Dr Verneau ne compte pas les Peuls du nord de la Nigéria anglaise, du pays Haoussa, qui sont 2 millions d'après Seligmann (dont 1.700.000 sédentaires et 300.000 pasteurs). Comme les Peuls de l'Afrique occidentale française font déjà 1.790.000 habitants, il faut compter en tout près de 4 millions de Peuls (exactement 3.780.000).

En dehors des Peuls proprement dits, les Peuls se sont métissés 1 avec les nègres de l'Afrique occidentale et ont donné de nombreux peuples métis dont voici les principaux :

  1. Les Toucouleurs ou Tekrouriens que l'on tient généralement pour des métis de Peuls et de Sérères. Delafosse en fait, mais à tort à mon avis, des nègres purs qui auraient donné la langue Peuhle. Ils habitent surtout le Sénégal mais il y en a 38.000 dans le Haut-Sénégal-Niger provenant de l'invasion d'El-Hadj-Omar avec ses contingents Toucouleurs (Delafosse, p. 147)
  2. Les Khassonké, mélange de Peuls et de Malinkés datant de la fin du XVIIe siècle (vers 1680). Delafosse se trompe, comme l'a démontré depuis Ch. Monteil (Les Khassonké, 1915) en faisant remonter ici l'immigration peuhle au XIe siècle. Les Khassonké sont 11.000 dans le Haut-Sénégal-Niger (Delafosse, p. 150). Les Khassonké parlent le Mandé et sont fétichistes
  3. Les Foulanké, mélange également de Peuls et de Malinkés où l'élément nègre l'a emporté comme chez les Khassonké. Les Foulanké (106.000 d'après Delafosse, p. 150) habitent surtout les cercles de Bafoulabé, de Kita, de Bougouni et Sikasso
  4. Les Ouassoulonké, habitant le Ouassoulou, à l'est du Niger en face des Malinké qui sont dans le Manding montagneux sur la rive occidentale. Les Ouassoulonké sont un mélange de Peuls et de Malinkés qui semble s'être formé au début du XVIIIe siècle. Ils luttèrent contre les Peuls du Fouta-Djallon vers 1760 et furent rejetés par eux dans le Ouassoulou qu'ils avaient colonisé et d'où ils s'étaient élancés ensuite à l'ouest du Niger dans le Fouta-Djalon.

Donc Toucouleurs, Khassonké, Foulanké et Ouassoulonké sont les principaux peuples métis de Peuls et de nègres.
Ce métissage nous conduit justement à parler du type physique des Peuls.

Le type physique. — Certains auteurs nous représentent les Peuls comme une race sinon très forte du moins très grande, qui serait une des plus hautes de l'Afrique. C'est là une erreur. Mais il faut distinguer ici entre les Peuls des différentes régions et surtout entre les Peuls et leurs métis Négro-Peuls. Pour moi, voici ce que j'ai vu pour les différents Peuls qu'il m'a été donné de rencontrer en Afrique occidentale de 1905 à 1926.

Les Peuls du Fouta-Djallon (Timbo, etc.) sont de taille moyenne ou plutôt grande, maigres et peu solides. A l'époque où j'étais en Guinée Française (1905-1907) on ne les employait pas pour les travaux de terrassement comme les nègres car les Peuls s'enfuyaient et si on les contraignait à rester et à travailler, mouraient. De même pour le portage : ils lâchaient un beau matin leurs charges et laissaient au milieu du chemin l'administrateur qu'ils étaient chargés de porter, et ce n'était pas absolument mauvaise volonté de leur part, car ils n'avaient pas la force physique nécessaire pour faire des porteurs, pas plus que pour faire des terrassiers. Des difficultés du même ordre se sont élevées pour tous les Peuls de l'Afrique occidentale, difficultés sur lesquelles nous reviendrons plus loin, quand il s'est agi de service militaire.
Cependant il faut ajouter qu'ayant demandé en 1934 à M. l'administrateur du Cercle de Labé de me mesurer 50 hommes et 50 femmes Peuhles, voici le tableau qu'il m'a envoyé qui donne 1 m. 69 de taille moyenne aux hommes et 1 m. 54 aux femmes.
Les femmes peuhles sont ici de petite taille et l'on peut se demander si elles n'appartiennent pas à l'ancienne race Diallonké qui dominait le pays avant 1725, avant la conquête peuhle. Les hommes ont une taille assez haute. L'administrateur qui m'a donné ces notes, note que le Peuhl du Labé est assez fortement mêlé de sang Mandingue (c'est-à-dire, Diallonké) et que très peu de Peuhls sont restés purs.

Guinée Française
Cercle de Labé

Mensuration de 50 hommes et femmes peulhs de Labé

Hommes — Taille (hauteur) Femmes — Taille (hauteur)
1 m. 75 1 m. 62 1 m. 68 1 m. 50 1 m. 52 1 m. 62
1 m. 68 1 m. 66 1 m. 68 1 m. 51 1 m. 61 1 m. 68
1 m. 62 1 m. 73 1 m. 77 1 m. 59 1 m. 52 1 m. 53
1 m. 79 1 m. 68 1 m. 71 1 m. 53 1 m. 56 1 m. 54
1 m. 68 1 m. 58 1 m. 69 1 m. 43 1 m. 42 1 m. 63
1 m. 76 1 m. 77 1 m. 75 1 m. 47 1 m. 54 1 m. 53
1 m. 73 1 m. 69 1 m. 76 1 m. 53 1 m. 53 1 m. 53
1 m. 63 1 m. 67 1 m. 73 1 m. 53 1 m. 63 1 m. 49
1 m. 67 1 m. 66 1 m. 61 1 m. 53 1 m. 54 1 m. 62
1 m. 63 1 m. 69 1 m. 62 1 m. 50 1 m. 49 1 m. 57
1 m. 63 1 m. 69 1 m. 70 1 m. 69 1 m. 43 1 m. 63
1 m. 66 1 m. 69 1 m. 62 1 m. 49 1 m. 47 1 m. 53
1 m. 71 1 m. 70 1 m. 61 1 m. 40 1 m. 49 1 m. 58
1 m. 71 1 m. 69 1 m. 66 1 m. 65 1 m. 58 1 m. 63
1 m. 71 1 m. 76 1 m. 63 1 m. 44 1 m. 66 1 m. 37
1 m. 80 1 m. 74 1 m. 71 1 m. 77 1 m. 53 1 m. 56
1 m. 73 1 m. 65 1 m. 58 1 m. 60
Taille moyenne des hommes : 1 m. 69 Taille moyenne des femmes : 1 m.54

Les Peuls Houbbou ou Foulahs Houbbou

De la province montagneuse du Fitaba dans le nord du cercle de Faranah (4.500 environ en 1907), [ils] sont moyens ou de petite taille. Le chef qu'ils avaient en 1906, Moktar Kaba parlait bien le français et avait l'air d'un écolier sage et très intelligent. Il était plus petit que la plupart de ses compatriotes.
Dans une note sur les Houbbous que j'ai conservée, je dis : « Depuis 1893, Boketto, pris alors et brûlé par les sofas de Samory (le chef Abal fut coupé en morceaux par les vainqueurs), a été reconstruit et le nombre des Houbbous augmente rapidement. Ils étaient 3.500 en 1906. En 1907 ils sont 4.500. Comme les autres Peuls, ils font à la fois de la culture et de l'élevage. Ce sont eux qui fabriquent le meilleur beurre de tout le cercle de Faranah et qui savent le mieux soigner le bétail. Ils sont petits et maigres, faibles de membres au point qu'on dirait des garçonnets. Leur chef actuel, Moktar Kaba, petit et bien pris, avec de beaux yeux noirs d'enfant sérieux, musulman convaincu et rigide, est très intelligent et instruit d'une façon peu commune pour un noir. Il sait l'arabe et compte remarquablement. Il tient ses Houbbous d'une main ferme et sérieuse. Je me demande où M. Machat a pris les renseignements d'après lesquels il représente (Les Rivières du Sud et le Fouta-Diallon, 1906, p. 290) les Houbbous comme retombés au fétichisme, au nomadisme et au banditisme. Il est vrai qu'il y a quelques bandits un peu plus bas que le Fitaba, mais ce sont des indigènes Sierra-léonais qui viennent voler des bestiaux et des femmes en territoire français et les Malinkés dégénérés du Houré (d'ailleurs nullement nomades mais musulmanisés, paresseux et pillards) et les Houbbous n'ont aucun rapport avec eux.»

Les Peuls du Macina

(Parmi lesquels j'ai vécu neuf mois en 1913) m'ont paru de taille moyenne ou grande mais maigres et faibles. Ils ont souvent un petit menton pointu, des reins de chat écorché, la figure longue, le crâne allongé. Ce sont des pasteurs peu robustes, plus intelligents que les noirs qui les environnent et musulmanisés. Les nègres qui les entourent (Sôninnké, Bambara) sont bien plus robustes qu'eux.
Cependant je dois ajouter qu'ayant demandé en 1934 à l'administrateur du Cercle de l'Issa-Ber de me mesurer 50 Peuls hommes et 50 Peuhles femmes du pays, il m'a envoyé les renseignements suivants :

Soudan Français
Cercle de Niafunké

Taille des femmes

1 m. 63 1 m. 52 1 m. 64 1 m. 57 1 m. 66
1 m. 58 1 m. 65 1 m. 69 1 m. 66 1 m. 60
1 m. 66 1 m. 62 1 m. 61 1 m. 66 1 m. 62
1 m. 56 1 m. 59 1 m. 68 1 m. 66 1 m. 71
1 m. 56 1 m. 56 1 m. 60 1 m. 53 1 m. 63
1 m. 64 1 m. 61 1 m. 74 1 m. 72 1 m. 60
1 m. 61 1 m. 49 1 m. 64 1 m. 56 1 m. 69
1 m. 72 1 m. 58 1 m. 73 1 m. 65 1 m. 65
1 m. 61 1 m. 67 1 m. 57 1 m. 68 1 m. 51
1 m. 57 1 m. 50 1 m. 66 1 m. 54 1 m. 62
Taille moyenne des femmes = 1 m. 62

Taille des hommes

1 m. 76 1 m. 76 1 m. 79 1 m. 77
1 m. 64 1 m. 70 1 m. 58 1 m. 67
1 m. 65 1 m. 68 1 m. 72 1 m. 63
1 m. 66 1 m. 69 1 m. 68 1 m. 75
1 m. 59 1 m. 84 1 m. 72 1 m. 78
1 m. 70 1 m. 66 1 m. 72 1 m. 66
1 m. 74 1 m. 64 1 m. 73 1 m. 68
1 m. 75 1 m. 78 1 m. 70 1 m. 66
1 m. 57 1 m. 86 1 m. 75 1 m. 73
1 m. 77 1 m. 64 1 m. 67 1 m. 77
1 m. 75 1 m. 69 1 m. 72 1 m. 75
1 m. 68 1 m. 76 1 m. 71 1 m. 67
1 m. 73 1 m. 77
Taille moyenne des hommes = 1 m. 71

Il est évident que ces chiffres sont à l'impression que j'ai eue moi-même relevés et correspondent peu en 1913 en séjournant dans l'Issa-Ber. Mais justement on ne doit pas trop se fier aux impressions (même assez prolongées) qui ne sont pas accompagnées de mensurations exactes.

Les Peuls du Yatenga (nord du Mossi)

… que j'ai connus de 1914 à 1916 et que j'ai étudiés dans mon Noir du Yatenga (1917) m'avaient paru plus grands, plus robustes que les Peuls du Macina, mais aussi plus mélangés d'éléments nègres. J'en ai mesuré un certain nombre (hommes, tirailleurs) et ils m'ont donné en moyenne 1 m. 70 de haut. De même les Peuls du pays Mossi sud (Ouagadougou) et du Gourounsi (encore plus au sud), vus par moi en 1909.

Quant aux métis de Peuls et de nègres ils sont souvent beaucoup plus beaux hommes que les deux races composantes; ils sont plus grands que les nègres, plus robustes que les Peuls et offrent souvent des types superbes (ainsi chez les Khassonké, Foulanké, Ouassoulonké, etc.). Je vois encore Moro Sidibé, un Ouassoulonké, interprète dans le Mossi, qui était grand, beau, bien fait, intelligent et offrait un type physique supérieur à celui du nègre ordinaire comme à celui du Peul. De même on raconte que les Bambara Massasi (Bambara de race royale, venus d'un mélange de Peuls du Macina avec les vrais Bambara nègres de la région de Ségou) sont de très haute taille, fort bien faits, etc. C'est l'explorateur BayoI qui l'affirme (1885) après avoir parcouru le Bélédougou. De même les Peuls du Yatenga semblent plus forts que les autres Peuls pour avoir reçu plus de sang nègre que les Peuls du Macina (d'où ils viennent du reste) et même que les Peuls du Fouta-Djalon.

Enfin les Toucouleurs, sur le Sénégal

Métis de Peuls et de Ouolofs ou mieux, de Peuls et de Sérères, sont une belle race grande, solide, un peu maigre, qui a fourni d'excellents spahis pour notre conquête soudanaise.
On peut donc dire que le métissage du Peul et du nègre, régénère le nègre, le fait plus grand et plus beau, tout en lui conservant une force que ne possède pas le Peul pur.
Au sujet de cette faiblesse du Peul pur, je dirai qu'en 1921 on envoya dans le Soudan une mission pour étudier la question Peul (mission qui se composait d'un inspecteur colonial de haut grade et de ses aides). En effet, comme on avait voulu appliquer aux conscrits levés en Afrique occidentale certaines mesures types pour la largeur du thorax, la force de l'individu, etc., on avait exclu d'un seul coup sans le vouloir, tous les Peuls, du recrutement africain. Comme les Peuls sont nombreux en Afrique occidentale, cela faisait un trou sérieux dans le recrutement. On avait donc envoyé une mission pour voir ce qu'il en était réellement à ce sujet et pour faire rentrer, si possible, la masse peuhle dans la masse conscriptible. Je ne sais pas quels ont été les résultats de cette mission mais ce que j'ai dit plus haut de la faiblesse des Peuls du Foula-Djallon pour les travaux de force (terrassement ou portage) concorde parfaitement avec les difficultés militaires. Le vrai Peuhl est un pasteur délicat et peu solide, grand le plus souvent, quelques fois aussi de taille moyenne ou même petite — mais toujours grand et solide quand il est croisé avec des éléments nègres.
Ce que je viens de dire suffira peut-être à détruire les exagérations sur la taille des Peuls. Ajoutons que le Dr Verneau donne l'Homme (p. 180, collection Larousse, 1931) une moyenne de 1 m. 71 de taille aux Peuls ce qui en ferait des géants à peu près de même taille que les Touareg (1 m. 75) et supérieurs aux Ouolofs (I m. 72) qui en réalité sont bien plus grands qu'eux et il les déclare bien proportionnés. Malgré la haute autorité du Dr Verneau, ce sont là des chiffres exagérés. Il est vrai que le Dr Verneau étudiant les documents des Missions de Gironcourt en Afrique occidentale (1920) a trouvé pour 10 Peuls du Niger une taille
moyenne de 1 m. 716 et pour une femme Peuhle une taille de 1 m. 56 et pour des Peuls du Haut Dahomey une moyenne de 1 m. 724. Ce sont là des chiffres élevés mais trop élevés justement pour de la masse Peuhle. Deniker tombe dans le même travers que le Dr Verneau et donne aussi pour la taille des Peuls 1 m. 74 en moyenne (ou plus exactement : 1 m. 741, p. 707 des Races et des Peuples de la Terre, édition 1926). C'est une série de 35 individus qui a fourni cette énorme moyenne.
Auparavant Deniker et Collignon avaient, en 1895, mesuré 8 Peuls du Cayor et en 1896, 3 hommes et 5 femmes (notes manuscrites). De plus ils avaient pris la taille de 36 Peuls puis encore de 20 Peuls. Ils avaient trouvé 1 m. 73 en moyenne pour les hommes et 1 m. 61 pour les femmes.
Exagérant encore Deniker donne 1 m. 75 de taille moyenne aux Peuls dans une note de la page 512 (où il étudie les Peuls) de ses Races et Peuples de la Terre (édition de 1926). Le Dr Lasnel, plus près de la vérité, dit dans Une mission au Sénégal (1900) que la taille moyenne des Peuls ne dépasse pas 1 m. 70 en moyenne. Avec lui nous rentrons dans la réalité.
M. Buisson qui, en 1933, vient d'étudier dans le Journal de la Société des Africanistes, au point de vue somatique, quelques Peuls nobles du Haut-Cameroun donne les tailles suivantes pour 6 hommes :

1 m. 67 1 m. 66 1 m. 72 1 m. 68 1 m. 65 1 m. 69

Ce qui fait une moyenne générale de 1 m. 68. Il a mesuré une seule femme qui a 1 m. 61 de taille. Evidemment ces Peuls (hommes : 1 m. 68, femmes : 1 m. 61) sont de haute taille, mais nous voilà loin de 1 m. 74 ou 1 m. 75 de moyenne des Verneau et des Deniker.
En 1918, l'anthropologiste lyonnais Ernest Chantre (Contribution à l'élude des Races humaines du Soudan Occidental Sénégal et Haut-Niger, Lyon, Rey, 1918) a étudié, avec d'autres noirs de l'Afrique occidentale française, des tirailleurs peuls envoyés au front et quelques femmes peuhles en y joignant des mensurations antérieures. En tout il a étudié 39 hommes et 13 femmes provenant de 3 séries différentes (celle de Tripoli : 10 sujets, celle de Paris : 30, celle de Lyon : 12). Les sujets de la 1re série étaient, des Peuls du Sokoto, tandis que les autres proviennent du Sénégal (Cayor) et du Fouta-Djallon.
La première série lui a donné 1 m. 64 de moyenne, la seconde 1 m. 67 pour les hommes et 1 m. 58 pour les femmes, la troisième 1 m. 62 (p. 25 et 25). Plus loin, résumant ses observations, p. 27, il dit que :

Enfin, synthétisant toutes ces observations, il donne 1 m. 67 de taille moyenne aux Peuls, ce qui est une taille plutôt élevée mais sans rien de gigantesque. Cette taille de 1 m. 67 s'applique naturellement aux hommes (p. 27). Les femmes auraient 1 m. 58 de taille moyenne. Avec ces chiffres comme avec ceux du Dr. Lasnet (1 m. 70), de M. Buisson (1 m. 68), nous rentrons dans la réalité moyenne des Peuls, loin des exagérations flagrantes d'anthropologistes illustres.
Ajoutons encore quelques notes sur la taille des Peuls.
Pour moi, comme je l'ai dit plus haut, j'ai pris des mesures de taille sur des Peuls du Yatenga tirailleurs (voir mon Noir du Yatenga, 1917, p. 621 et suivantes).
Il y a en effet dans le Yatenga, pays Nioniossé et Mossi, 29.000 Peuls environ :

Après avoir étudié ces Peuls, au point de vue historique et social, je termine, en disant, au point de vue somatique :
« Au point de vue physique, le Peul du Yatenga, assez mélangé de sang nègre, surtout le Dialloubé, est aussi noir que les Mossi et les Fulsé qui l'environnent. En revanche il est assez bel homme, le métissage nègre lui ayant donné de la robustesse.
Il n'a pas la maigreur, l es reins de chat écorché, les oreilles caractéristiques énormes bien détachées de la tête, le petit menton en pointe et la couleur relativement pâle du visage — des Peuls de l'Issa-Ber. Bref il semble plus mélangé de sang nègre que ce dernier.
Pour la taille une statistique portant sur 43 tirailleurs Peuls (21 Dialloubé, 10 Fittobé et 12 Torombé) me donne 1 m. 698 de moyenne — en gros 1 m. 70. » Mais il faut ajouter que les tirailleurs sont plutôt des gens choisis. Pour les femmes cela indiquerait 1 m. 60 environ au maximum.
Je relève enfin, dans des mensurations inédites prises par M. Labouret en 1932 sur les Peuls du Foula-Diallon, les notations suivantes :

Noms Lieu d'origine Taille
Abdoulaye Diallo Timbo 1 m. 70
Sori Diallo Labé 1 m. 75
Alfa Omar Diallo Labé 1 m. 70
Mamadou Ba Mali 1 m. 67
Alfa Diallo Dité 1 m. 71
Mamadou Diallo Dité 1 m. 74
Omar Diallo Dité 1 m. 73
Omar Diallo II Dité 1 m. 65
Mamadou Boda Diallo Mamou 1 m. 74
Amadou Ba Fouta-Djallon 1 m. 64
Mamadou Diallo Labé 1 m. 72
Mamadou Bari Labé 1 m. 68
Yaga Diallo Fouta-Djallon 1 m. 68
Mamadou Ba Fouta-Djallon 1 m. 69
Daula Ba Pita 1 m. 64
Mamadou Ba Guinée portugaise 1 m. 71
Ibrahima Bari Timbo 1 m. 72

Cela donne en moyenne 1 m. 698 aux Peuls du Fouta-Djallon soit 1 m. 70 en arrondissant les chiffres. Nous avons vu plus haut que le recensement de 1934, pour 50 hommes et 50 femmes peuhles du Labé, nous a donné une moyenne de 1 m. 69 pour les hommes et de 1 m. 54 pour les femmes.
En résumé, les Peuls ne sont pas les géants qu'on pourrait imaginer d'après les chiffres pourtant récents de Verneau et Deniker. Il faut écarter la moyenne de 1 m. 74 ou 1 m. 75 pour les hommes. Notamment plus petits que les Ouolofs (nègres) ou les Touareg (Hamites), les Peuls sont en général plus grands que les nègres mais moins robustes. Leur taille varie de la moyenne de 1 m. 67 à la moyenne de 1 m. 71 pour les hommes, et pour les femmes de la moyenne de 1 m. 54 à la moyenne de 1 m. 62. Ils sont donc assez grands, plus que les nègres Bambara et Malinké (1 m. 65, 1 m. 66 de haut) mais peu robustes. Leur métissage avec les nègres donne une race plus belle que les deux composantes, des hommes de haute taille, beaux et vigoureux. Voici ce que les anciens voyageurs ont noté sur la taille des Peuls 2.
Gray et Dochard (1821) disent : « que les Peuhls du Bondou sont de taille moyenne, bien faits et actifs. Leur face est couleur cuivre clair. De tous les peuples de l'Afrique occidentale, les Maures exceptés, ce sont eux qui ont dans la physionomie le plus de ressemblance avec les Européens. Leurs cheveux sont plus longs que ceux des noirs, leurs yeux plus grands, plus ronds et d'une couleur plus agréable, ont aussi plus d'expression » (cité par Crozals, p. 82). Plus loin (p. 84), Crozals dit encore : « Le missionnaire Boilat qui a étudié de près les Peuhls de la région Sénégambienne signale chez eux des cheveux longs et épais, approchant un peu de la laine, des traits presque européens, une couleur de bronze rouge, des lèvres moins épaisses que celles des Ouolofs, un nez un peu allongé, une taille médiocre mais bien prise et aisée. »
En revanche le Dr Bayol dit des Peuhls du Fouta-Djallon : « Ils sont grands et minces, leurs cheveux sont peu crépus, leur barbe, rouge brun ou plus foncée, est rare. » (Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1882.)
Relevons encore (Crozals, p. 87) que dans l'Adamaoua oriental, Barth trouva des Peuhls qu'il représente avec les caractères suivants: « petite taille, petits traits, front haut, petites mains et petits pieds, taille mince, ressemblance médiocre avec leurs hautains compatriotes de l'ouest. » (Barth, 11, 477).
Les Peuhls de l'Adamaoua ressemblent fort aux Peuhls Houbbou que j'ai vu en 1907 en visite à Faranah ou dans leur province du Fitaba. En revanche j'ai vu les Peuls du Fouta-Djallon minces et grands comme les a vus le Dr Bayol.
En résumé les témoignages anciens sur le Peuhl physique, réunis par de Crozals les donne :

Pour moi (1905 11 1913) j'ai vu les Peuls :

Tous ces témoignages font croire que c'est Chantre qui est le plus dans la vérité en donnant aux Peuls une taille moyenne de 1 m. 67 pour les hommes, ce qui fait environ 1 m. 58 pour les femmes. Quant aux exagérations du Dr Verneau (l m. 74) ou de Deniker (l m. 75) il faut totalement les rejeter.
Ajoutons quelques autres renseignements anthropologico-somatiques : Pour la tête les Peuls ont, d'après Chantre, 74,21 en moyenne d'indice céphalique horizontal, ce qui en fait des dolichocéphales purs. Verneau donne en moyenne à ses Peuls du Niger (missions de Gironcourt) 73,71 d'indice céphalique horizontal. Deniker donne une moyenne de 73,2 (pour 52 individus) puis 74,3 pour 17 individus (p. 709 et 710 de Les races et peuples de la terre, édition de 1926). Le lieutenant Girard (Anthropologie, tome 13, année 1902, p. 51) donne 73,44 pour les Peuls comme indice céphalique horizontal.
Si nous prenons la moyenne de ces différentes mensurations on a 73,68 d'indice céphalique horizontal soit 74 en arrondissant les chiffres. Les Peuls sont donc très nettement dolichocéphales, moins que certains nègres, mais plus que d'autres.
Ajoutons que la tête est élevée en même temps que longue. La face est plus étroite et plus allongée que celle des nègres. Enfin chez les Peuls qui ne sont pas trop métissés de nègres, le nez est moins large que chez ceux-ci, surtout chez les femmes. Les séries de Chantre pour les hommes donnent pour l'indice nasal :

88,37 100 98,54

ce qui donne une moyenne de 96, ce qui est évidemment platyrhinien, mais non ultra-platyrhinien comme le nez nègre en général, comme le nez Bambara en particulier si large et si écrasé ! Les femmes peuhles auraient 95.
Ceci dit sur l'anthropologie physique des Peuls, passons à la question de leur origine.

La question de l'origine. — Les Peuls, d'après le Dr Verneau, qui les a étudiés en 1897-1899 dans l'Anthropologie, sont des Hamites inférieurs, des Ethiopiens. Cette théorie a été généralement acceptée et Deniker (édition de 1926) est du même avis, après avoir soutenu d'abord une origine mixte berbéro-éthiopienne (1900). Cette thèse, comme nous le verrons plus loin, a encore été confirmée par M. Werner (pour la langue) et Seligmann pour la race (1935). Mais cette opinion scientifique est bien plus ancienne que ces savants et Mollien (1818) a l'honneur de l'avoir soutenue le premier. Elle a été soutenue entre Mollien (1818) et Verneau (1897) par un très grand nombre de savants, anthropologues ou linguistes, dont on trouvera plus loin (chap. IV) l'exacte énumération.
A cette opinion il faut joindre immédiatement celle qui donne aux Peuls une origine berbère. Cette opinion n'est pas absurde a priori et, quoiqu'elle soit fausse, à notre avis, à la prendre massivement et en bloc, elle a sans doute quelque chose de vrai par endroits et dans certains cas, car les Peuls ont pu être contaminés par des éléments berbères au nord comme ils ont été contaminés (mais bien plus sérieusement) par des éléments nègres au sud. Ils semblent en effet être venus des environs de l'Egypte (nord-ouest) entre le VIe siècle avant Jésus-Christ et le VIIIe siècle après Jésus-Christ en passant par la lisière nord du Sahara et les traditions du Fouta-Toro les représentent abordant le fleuve Sénégal et le pays Serère par le nord.
Ainsi on devait songer à une origine berbère et c'est l'opinion de Félix Dubois qui, en 1897, dans Tombouctou la Mystérieuse (p. 152) fait des Songhaï des bords du Niger des Ethiopiens (opinion qui n'a pas été suivie et ne mérite pas de l'être), et fait en revanche des Peuls des Berbères de l'Afrique du nord, comme les Maures méridionaux, les Touareg, etc. C'est aussi l'opinion de Passarge adoptée par Constantin Meyer qui leur attribue un caractère berbère atténué.
Cette théorie que les Peuls sont des Berbères doit être rejetée, nous le répétons : ce sont des Hamites inférieurs, des Ethiopiens ou des Nubiens, des Kouschites, etc., venus primitivement de l'est à l'ouest et qui, une fois, dans le Fouta-Toro sont repartis vers l'est jusqu'au Tchad (processus historique celui-là et qui va du VIIIe au XIXe siècle de notre ère). Dans leur première et préhistorique marche de l'est à l'ouest ils ont pu se contaminer jusqu'à un certain point, partiellement et localement, d'éléments berbères. C'est tout ce qu'il y a de vrai dans la théorie.
Mais cela nous conduit à l'origine mixte berbéro-élhiopienne ou nubi-berbère qui a été adoptée par certains auteurs : ainsi par le Dr. Bayol (1887) qui appelle justement les Peuls des Nubi-berbères. Machat aussi (1906) leur donne une qualification de ce genre, en se rattachant pourtant en gros et avec force à l'opinion du Dr Verneau. Deniker, en 1900, dans sa première édition des Races de la Terre lui accordait du crédit en appelant les Peuls (les Berbéro-Ethiopiens.
Dans la dernière édition du même volume (1926, posthume) il en fait des Elhiopiens contaminés au nord par des éléments berbères et au sud par des éléments nègres. Enfin citons M. Gaulier (1935) qui, dans son Esquisse remarquable sur l'Afrique occidentale, fait des Peuls tantôt des Nubiens tantôt des Méditerranéens, donc, en définitive des nubi-méditerranéens ce qui est la même chose que la théorie berbéro-éthiopienne.
Il y a encore une variante de l'opinion berbère qui est celle du Dr. Roubaud qui fait provenir les Peuls d'un mélange de Berbères et de nègres. Le Dr Lasnet a réfuté cette théorie en 1900 (Une mission nu Sénégal) : « Cette opinion, dit-il, n'est pas acceptable. Ils (les Peuls) présentent de profondes différences avec les Porognes 3 ou autre métis de Maures ; le métissage d'autre part n'aurait pu donner naissance à une race aussi puissante et aussi nombreuse. 4 »
Après ces trois théories : l'éthiopienne, la berbère et la berbéro-éthiopienne (dont la première est vraie, la seconde fausse et la troisième vraie en partie) nous avons la théorie sémitique ou judéo-syrienne ou juive qui a été illustrée par Delafosse (1912) mais qui avait été soutenue bien avant lui. Cette opinion, venue de ce que les Peuls, pasteurs, avec leur vie pastorale et leurs nombreux troupeaux rappellent souvent, peu ou prou, les anciens patriarches de la Bible 5 a été soutenue, dès la fin du XVIIIe siècle, par les voyageurs anglais du Sierra-Léone Winterbottom et Matthews, puis plus récemment par Grimal de Guiraudon (1887), puis par Edmond Morel l'adversaire acharné du Congo belge (1904), enfin par Delafosse (en 1912). Même certains savants de valeur comme de Qualrelages el Hamy (1882), dont nous verrons en détail au chapitre IV l'opinion, prononcent malencontreusement pour désigner les Peuls le nom de race sémitique, au lieu de dire hamitique, ce qui tend à brouiller les idées et à renforcer dans leur opinion excentrique les partisans de la théorie de l'origine judéo-syrienne ou juive. De même le Ct. Frey dans sa Côte d'Afrique (1890) dit que les Peuls sont des sémites. Il a l'air d'ignorer qu'entre sémites et nègres on peut distinguer de nombreux degrés humains : Hamites supérieurs (Berbères, Egyptiens) et Hamites inférieurs (Ethiopiens, Nubiens).
L'opinion de l'origine sémitique ou judéo-syrienne ou juive des Peuls semble maintenant, après l'éclat éphémère que lui redonna Delafosse en 1912, définitivement abandonnée. Elle a reçu le coup de grâce avec les dernières recherches, aussi bien somatiquement que linguistiquement. Il y a cependant trop d'auteurs et de gens de talent qui l'ont soutenue pour que nous la considérions comme une théorie stupide ou grotesque.
Il faut parler ensuite de l'origine hindoue des Peuls soutenue par Golberry (1800) et même Binger (1892) : Binger dit qu'il ne cherchera pas si c'est la thèse hindoue de l'origine des Peuls qui est vraie ou la thèse malayo-polynésienne de d'Eichtal !!! C'est être un peu en retard en 1892 (voir plus loin : chapitre V). Cette thèse de l'origine hindoue est intéressante cependant, parce que des auteurs, qui font en définitive des Peuls des Ethiopiens ou Koushites, placent l'origine des Kouschites dans l'Inde d'où ils seraient passés ensuite dans l'Arabie du Sud puis dans l'Ethiopie Africaine (ainsi Knoetel, 1866) La thèse hindoue, qui semble absurde au premier abord, prend donc un caractère plus sérieux, si l'on y réfléchit. Cependant elle est plus qu'hypothétique et Hartmann (1876) qui donne aux Ethiopiens une origine exclusivement africaine semble avoir raison contre Knoetel. Cependant on peut laisser ouverte cette antique question d'origine kouschite.
Parmi les théories décidément excentriques, signalons celle de Gustave d'Eichtal (1842. Histoire et origine des Foulahs ou Fellans). Cet auteur qui fait date dans la Poulologie ou dans la Foulalogie (comme on voudra dire) a consacré un volume aux Peuls il y a un siècle,) une époque où ils étaient beaucoup moins connus que maintenant. Il en fait, on le sait et sa thèse est restée célèbre, des Malayo-Polynésiens venus en Afrique par la côte orientale. Il les retrouve en Abyssinie (juifs d'Abyssinie qu'il croit être des Peuls et qui ne sont en réalité ni juifs ni peuls mais Abyssins avec des prétentions juives), au Dar-Four (qui est la maison des Four ou Foul !!! Les Four ou Foriens sont en réalité de vrais nègres) et enfin au Haoussa et dans toute l'Afrique occidentale. Bref d'Eichtal accorde aux Peuls l'origine qui est vraiment celle des Hovas (ou Houves) de Madagascar, qui sont bien, eux, des Malais. La théorie de d'Eichtal, après avoir fait beaucoup de bruit, est maintenant depuis longtemps abandonnée. D'Eichtal a bien vu que les Peuls n'étaient pas des nègres mais en Afrique même l'on peut trouver des populations de teint très foncé qui ne sont pourtant pas nègres (Ethiopiens, Nubiens, Abyssins, etc.).
Nous en arrivons maintenant aux théories absurdes : les Peuls sont des Tziganes, des Pélasges (!!), des Gaulois (!!), des Romains (!!), etc., etc. C'est la section de Charenton pour l'origine des Peuls. (Pour le détail, voir plus loin : chapitre V.)
Notons que certains auteurs ont deux théories d'origine. Ainsi d'Eichtal superpose à sa théorie malayo-polynésienne la théorie que les Peuls (gens du Fouta) Fouta-Toro, Fouta-Diallo, Fouta-Damga, etc.) seraient le peuple de Phout de la Bible. Mais alors ils ne seraient donc pas des Malayo-Polynésiens ? (à moins qu'on ne fasse du peuple de Phoul lui-même des Malayo-Polynésiens). Delafosse soutient aussi que les Peuls seraient le peuple de Phout. Mais alors, si ce sont des gens de Phout, assez analogues aux gens de Kousch ou Kouschites, ce ne seraient donc pas des Sémites, des Juifs, des Judéo-Syriens ? Il faudrait pourtant choisir...
En résumé, on le voit, il y a bien des théories sur l'origine des Peuls. Nous examinerons dans les chapitres suivants :

  1. Les théories des Peuls eux-mêmes
  2. La théorie sémitique ou judéo-syrienne ou juive
  3. La théorie éthiopienne ou hamitique inférieure
  4. Toutes les autres théories restantes : berbère, berbéro-éthiopienne, hindoue, malayo-polynésienne, etc., etc.

Notes
1. Pour en finir avec la question du nombre des Peuls Delafosse dans son Haut-Sénégal-Niger, p. 146 en compte 405.000 dont 36.000 animistes et 369.000 musulmans dans le Haut-Sénégal-Niger, région qui correspondait à la colonie du Soudan et à la Haute-Volta actuelle. Verneau en compte plus de 700.000 en 1931.
2. Extrait de Crozals : les Peulhs (1883), p. 79 et suivantes.
3. Métis de Maures et de nègres, au Sénégal.
4. Je retrouve dans les notes rassemblées par moi en 1915 sur les origines Peules ceci : « L'opinion qui donne aux Peuls un caractère berbère atténué peut être vraie, car chez les Peuls la femme est jalouse, sans l'être pourtant autant que la femme Maure (Sourak-ha) ou la femme Targui. Elle n'impose pas cependant la monogamie à son mari mais à peu près. Du reste, à mesure qu'on monte vers le nord les Peuls semblent de plus en plus monogames, de moins en moins polygames. Dans le sud ils participent aux moeurs des noirs qui les entourent, moins polygames cependant que ceux-ci, mais, dans le nord, la jalousie de la femme Peuhle et le fait qu'elle ne souffre pas d e rivale se marque très nettement et c'est bien là un caractère berbère très net. »
5. Mais ceux-ci étaient de couleur blanche, tandis que les Peuls sont de couleur noire.