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Anthropologie - Histoire


Louis Tauxier

Administrateur des Colonies en retraite
Bibliothécaire-archiviste de la Société des Africanistes

Moeurs et Histoire des Peuls

Payot, Paris, 1937. 418 p. 23 gravures 1 carte.


Introduction

Que sont les Peuls ?

C est une race de pasteurs vachers que l'on sait maintenant à n'en pas douter être des Rouges, des Hamites inférieurs et avoir habité jadis l'Est africain, au contact des Massaï, à une époque que nous ne pouvons pas fixer. De là on suppose qu'ils ont remonté vers le nord, le long de l'Egypte à l'ouest. Puis ils auraient suivi la lisière nord du Sahara moins désertique alors que maintenant et plus arrosée et seraient arrivés au sud du Maroc sur les contreforts méridionaux de l'Atlas d'où ils auraient été jetés sur le Sénégal par une expédition musulmane — peut-être celle qui eut lieu sous les Ommiades en 736, après Jésus-Christ. — A ce moment commence leur existence historique : ils se mélangent aux populations indigènes, aux nègres Sérères surtout et donnent la race métisse des Toucouleurs. Un certain nombre d'entre eux gagnent les savanes pauvres du Ferlo, au sud du Sénégal et y continuent leur existence nomade en gardant la pureté de la race — mais la plupart, comme je viens de le dire, se mélangent aux Sérères et même aux Ouolofs et donnent la population mixte des Toucouleurs. A partir de cette époque (VIIIe siècle ap. J.C.) on voit les Peuls reprendre un mouvement contraire, historiquement attesté celui-là, au mouvement qui les avait amenés dans le Fouta-Toron. Ils reprennent la route de l'est qui les mènera jusqu'au pays Haoussa, à l'Adamaoua, au Tchad et au Ouadaï au XIXe siècle. Les étapes sont le pays de Nioro au XIIIe siècle, le Macina au XVe siècle, le pays de Khasso fin du XVIIe siècle, le Fouta-Djallon et le Ouassoulou au XVIIIe siècle, le pays Haoussa et l'Adamaoua au XIXe siècle, etc.
En ce faisant, ils se sont mélangés bien souvent aux nègres et ont donné des populations mixtes : Toucouleurs, Khassonké, Foulanké, Ouassoulonké, les uns tenant plus du Peuhl (Toucouleurs), les autres beaucoup plus du nègre (Khassonké, Foulanké, Ouassoulonké).
D'autre part, des Peuls restés en gros des Peuls (non sans mélanges divers avec les nègres) se sont fixés à la terre en divers endroits, soit qu'ils aient colonisé simplement (Macina), soit qu'ils aient conquis le pays (Fouta-Djallon). Ils sont donc devenus, de pasteurs nomades qu'ils étaient auparavant de simples éleveurs fixés à la terre.
En résumé, le Peuhl est multiforme.
C'est en principe un pasteur vacher nomade aux cheveux arrangés en longues tresses. « Au milieu de tous ces peuples (du Haoussa et de la Nigéria du nord), écrit, Mizon 1 erraient les Foulbés, pasteurs nomades, poussant, devant eux leurs innombrables troupeaux de boeufs zébus, plantant, leurs tentes partout où croît l'herbe ; sur les plateaux pendant, la saison des pluies, et sur le bord des rivières quand le vent a desséché les prairies et que les rives envahies par les eaux pendant plusieurs mois, se couvrent de verdure nouvelle.
Ils payaient aux maîtres de la terre la dîme de leurs troupeaux et échangeaient le surplus de leur lait et leur beurre contre des céréales et des produits de l'industrie Haoussa ».
De même Clapperton dit : « C'est un pittoresque spectacle que celui d'une tribu ou d'une famille peuhle en marche : hommes, femmes et enfants tiennent la tête de la caravane, à cheval. Le bétail suit en file sur une ligne interminable 2. » De même Gautier 3 cite les anecdotes suivantes : « Un berger peuhl voit venir de loin une bande de brigands. Quoiqu'il soit armé et brave, la résistance est impossible. Reste la fuite : le Peuhl appelle les deux taureaux de tête, ceux que le troupeau tout entier est habitué à suivre. Il se place, entre eux suspendu aux deux paires de cornes et il donne le signal. Tout le troupeau, ses deux guides en tête, portant, leur Peuhl suspendu, s'ébranle en un galop furieux, inlassable et laisse l'ennemi loin derrière...
Autre anecdote du même genre. Cela se place sur les bords du Chari qui, en ce temps-là, servait de frontière entre le Cameroun allemand et le Tchad français. Les Peuhls, naturellement, franchissent avec indifférence cette frontière politique ; ils ne se souciaient que du meilleur pâturage. Des Peuhls, qui vivaient sur le territoire allemand, veulent passer ou repasser en territoire français. Les autorités allemandes, justement soucieuses d'empêcher l'émigration des richesses naturelles, les arrêtent à la frontière. Les bergers leur filent entre les doigts, mais les boeufs sont mis sous séquestre. Ils le sont sur le bord allemand du Chari. Alors, dans la nuit, par-dessus le fleuve frontière, venant du bord française, les boeufs, vaguement, inquiets de leur solitude, entendent tout à coup des modulations familières, l'appel des bergers. Et tous alors, massés, irrésistibles, bousculant les sentinelles, sûrs de leur chemin dans la nuit noire, dans la direction de la voix, ils se jettent à la nage dans le Chari et vont rejoindre leurs Peuhls 4. »
Barth, enfin a recueilli chez les Peuls le dicton suivant (IV, 267) :

« La vache est supérieure par les services qu'elle rend à toutes les oeuvres de la création.»

Voilà le Peul à l'état naturel et on ne s'étonnera pas d'apprendre que l'ancienne religion des Peuls était la boolatrie avant qu'ils eussent été contaminés par le christianisme au IVe siècle après Jésus-Christ et conquis ensuite par l'Islam d'une façon définitive.
Ce Peuhl n'est pas méchant. Il paye aux chefs nègres ce qu'il faut pour avoir le droit de faire paître ses troupeaux dans les savanes soudanaises. Mais attendez ! il va bientôt se transformer.
En effet il se multiplie et bientôt il trouve dur d'obéir à de petits chefs nègres qui le traitent quelque peu en esclave. Ces nègres sont-ils si redoutables ? Travaillé par l'Islam, le Peul devient un croyant et méprise le païen qui le commande. Un beau jour on se révolte, on fait la guerre aux nègres, on les soumet et voilà un Etat fondé.
Les Peuls deviennent alors une aristocratie de pasteurs (ou éleveurs) et de guerriers. Les nègres soumis deviennent des serfs cultivateurs, des Rimaybe (au singulier un Dimadio). Ils fournissent de grains leurs maîtres et se nourrissent avec le surplus. Les plus intelligents des nègres (par exemple les Soninké) donnent lieu à une caste spéciale (provenue de Peuls et de femmes Soninké). C'est celle des commerçants riches et des conseillers des princes Peuls, les Diawambé (au sing. Diawando). Bien d'autres castes sont encore créées :

Inutile de pousser plus loin cette énumération que l'on trouvera complète plus loin, au Livre II. Bref les Peuls créent les castes qui se répandent ensuite dans le nord du Soudan chez les nègres eux-mêmes mais en diminuant de nombre et d'importance à mesure que l'on pénètre chez les nègres du sud, jusqu'au moment où dans le vrai monde, purement nègre on n'en plus trace.
Naturellement, comme je l'ai dit plus haut, les Peuls se métissent souvent avec les nègres et il est remarquable que les Peuls, peu forts quoique assez grands et qui ne peuvent faire ni un terrassier, ni un porteur, ni un tirailleur, donnent par le croisement, avec le nègre un type nègre, plus beau et plus grand que le nègre proprement dit qui est, lui, trapu, robuste et laid.
Ainsi les Peuls ont considérablement amélioré la somatologie de l'Afrique Occidentale Française et ce sont eux qui ont empêché ici qu'on puisse trouver dans cette région le nègre pur, épais, prognathe et stupide.
En résumé le Peul n'est pas un : aux débuts c'est un pasteur vacher nomade, à l'aboutissement c'est un éleveur de bétail conquérant qui caste les nègres pour les travaux autres que la guerre religieuse de pillage, et l'élevage.
Les Peuls dont le vrai nom est Poul ou Foul au singulier, Poulbé ou Foulbé au pluriel, sont désignés par leurs voisins les Ouolof sous le nom de Peul ou Peuhl. C'est ce nom qu'ont adopté les Français et, quoique ce ne soit pas le vrai nom, il est maintenant consacré par l'usage. Les uns l'écrivent Peuhl, les autres Peul. Nous avons adopté cette dernière orthographe.
Les Peuls sont connus depuis le XVe siècle (Makrizi, etc.) mais ils n'ont été étudié à fond pour la première fois que par d'Eichtal (en 1842). On sait que celui-ci leur donnait une origine Malayo-Polynésienne rejetée aujourd'hui, après les critiques de Barth, Faidherbe et Hartmann. De Crozals (en 1883) publie un volume intéressant sur les Peuls, mais sans se prononcer sur la question d'origine.
En 1912, Delafosse dans son Haut-Sénégal-Niger, beaucoup plus audacieux que de Crozals, donne aux Peuls une origine juive ou judéo-syrienne et trace une histoire dogmatique de leurs pérégrinations mélangée d'une certaine fantaisie. Depuis 1912 on n'a rien écrit de fondamental sur les Peuls et le moment est venu après ce que la somatologie et la linguistique actuelles ont découvert définitivement sur les Peuls, de donner sur cette race énigmatique jusqu'ici et intéressante un volume définitif.

Ce volume-ci contient trois parties :

La première et la troisième partie ont été traitées absolument à fond, comme elles ne l'avaient jamais été jusqu'ici. La seconde est une esquisse intéressante d'une fraction Peuhles des bords du Niger. Ce qui manque à ce volume est une étude à fond du Peuhl primitif errant et nomade, étude faite au point de vue social, mais une telle partie sera toujours difficile à écrire, aucun voyageur jusqu'ici n'ayant eu l'occasion de planter sa tente parmi ces Peuls nomades et de les suivre dans leurs pérégrinations en vivant, avec eux, pendant longtemps, de leur vie simple et monotone. Le jour où ce travail sera fait, l'étude sur les Peuls deviendra complète.

L. Tauxier

Notes
1. Les royaumes Foulbé du Soudan Central (1895), p.348, 349.
2. Cité par Crozals : les Peuhls, 1883 (p. 185).
3. L'Afrique Noire occidentale, p. 168.
4. M. Gautier dit avoir emprunté ces anecdotes à M. le gouverneur Gaden (p. 168).