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Layteere Koodal e Lootori
L'éclat de la grande étoile
suivi du Bain rituel
Récits Initiatiques Fulɓe de Amadou Hampâté Bâ

Edité par Lilyan Kesteloot, Amadou Hampâté Bâ, Christiane Seydou, et Alfâ Ibrâhîm Sow
Collection Classiques Africains. Paris. Armand Colin. 1974. 149 p.


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Introduction

Laaytere Koodal est, comme Kaïdara 1, qu'il prolonge et complète, un récit initiatique fulɓe, un jantol. Nous ne reprendrons donc pas, dans ces pages, les généralités qui furent dites sur le jantol en introduction à Kaïdara, puisqu'elles restent valables pour cet autre récit. De même, nous ne referons pas la description de la société fulɓe traditionnelle avec ses quatre clans, ses fonctions pastorales, son initiation et ses mythes, que le lecteur voudra bien retrouver dans Koumen 2.
Le présent récit traite de l'initiation au pouvoir. Aussi examinerons-nous successivement les différentes sortes de chefs et leur rôle à l'intérieur de la société fulɓe l'évolution de la forme de commandement au contact des royaumes voisins et la conception du pouvoir royal telle qu'elle se dégage de ce jantol où les données brutes des structures sociales se trouvent modifiées par une éthique plus rigoureuse.
En conclusion, nous tenterons de situer Laaytere Koodal par rapport à Kaïdara afin de pouvoir dégager la progression qu'il implique dans la conception du monde et la philosophie des Fulɓe.
On sait que, dans chacun des quatre clans fulɓe, la société se subdivise en classes sociales bien distinctes :

Les rimɓe eux-mêmes se répartissent les fonctions sociales selon qu'ils sont :

Il faut préciser tout de suite que tout Pullo est noble, les artisans castés et les captifs étant nécessairement étrangers. Si l'on capture un Pullo au cours d'une guerre ou d'une razzia, on le tue ou on le libère. Il arrive aussi qu'un captif soit progressivement assimilé et intégré à la famille fulɓe à laquelle il est échu, qu'il adopte un métier et reçoive le yettoore ou nom de la famille. C'est ainsi qu'on peut rencontrer des Bâ griots, des Thiam bijoutiers, etc. Mais jamais un Bâ de souche ne donnera sa fille, par exemple, à un Bâ casté; tandis que n'importe quel petit berger se sentira supérieur à n'importe quel artisan casté, fût-il très important. Cette hiérarchisation sociale qui se superpose à l'ethnie et au métier, joue un grand rôle à l'intérieur d'un groupe dirigé par les Fulɓe.
Dans le clan traditionnel essentiellement nomade et pastoral, le commandement se trouvait entre les mains du silatigi, sorte de maître religieux initié aux secrets pastoraux. C'était lui qui décidait de la transhumance, des lieux de campement, des sacrifices propitiatoires, de la guerre ou des alliances. En cas de litige, il était, comme dans le, circonstances graves, assisté d'un conseil d'anciens dont le doyen avait le titre de mawɗo. Or, le clan était guidé, dans ses déplacements, par des éclaireurs nommés arɓe 3 qui, désignés par le silatigi, changeaient d'après les augures. Ces guides devaient précéder, ouvrir la route au reste du groupe, voir l'état du chemin, les types d'obstacles, les points d'eau etc., puis revenir chercher le troupeau qui s'ébranlait alors pour le voyage. Ces guides furent tout naturellement les intermédiaires entre les Fulɓe et les peuples et royaumes sédentaires des pays qu'ils parcouraient.
Quand les Fulɓe, à leur tour, se sédentarisèrent, ces intermédiaires devinrent les répondants du clan, ceux qui devaient discuter avec les chefs environnants; ils prirent ainsi une autorité croissante et, petit à petit, furent considérés comme chefs.
Ces arɓe changèrent donc leur bâton de guide contre celui du commandement et, bientôt, contre le sabre. Il devait en sortir les empires fulɓe des XVIIIe et XIXe siècles où, sous l'impulsion de l'Islam, les Fulɓe conquirent de vastes territoires aux limites défendues par des armées redoutables. Dans ces empires, le pouvoir devint de plus en plus autoritaire et centralisé, avec des autocrates décidant aussi bien de l'impôt, de la guerre, de la paix, de la vie ou de la mort de leurs sujets.
Ce récit initiatique se situe à la période de transition entre le clan nomade à pouvoir religieux et la société semi-féodale à pouvoir politique.
En effet, dans Laaytere Koodal, ce n'est plus le silatigi qui a le commandement en titre, mais bien le arɗo devenu laamiiɗo 4 ou chef de province, roi du jeeri (pays de la haute vallée, des berges herbeuses, de la haute brousse) où il règne sur plusieurs cités, avec un statut nettement supérieur à celui de ses congénères. Cependant, il reste encore soumis au pouvoir occulte d'un silatigi qui devra l'initier afin qu'il devienne silatigt lui-même et réunisse ainsi pouvoir politique et religieux, le second justifiant et consolidant le premier. Le pouvoir temporel, en effet, n'est pas considéré pour lui-même et ne suffit pas à asseoir l'autorité d'un prince ; le laamiiɗo ne sera chef qu'en apparence aussi longtemps qu'il n'aura pas été investi par les « génies, les ancêtres et les invisibles » ; et il ne pourra l'être qu'après un long apprentissage sous la conduite d'un maître religieux.
Mais comment devient-on chef dans ces sociétés seraisédentaires ? Ce n'est plus le système de la société primitive où le pouvoir passait de silatigi en silatigi selon des critères de savoir et selon le consensus des chefs de famille. Les arɓe prenant le commandement, il va s'établir un système dynastique où le pouvoir s'acquiert par héritage au sein d'une famille régnante selon un ordre de génération, d'âge et de lignée 5.
Évidemment, le système d'héritage peut être interrompu, voire renversé par la violence : guerre, conquête ou révolte. Lorsqu'un nouveau chef doit hériter du trône par voie régulière, les choses ne se feront pas automatiquement; on se souciera de savoir si ce chef légitime sera faste ou néfaste. Dans ce dernier cas, il y a deux possibilités : « avec des sacrifices », on conjure le mauvais sort et le roi pourra régner; « sans sacrifices », rien à faire ! On le fera disparaître ou on le convaincra de s'effacer ou de s'exiler.
Quand le chef est agréé, il prend le pouvoir auprès du silatigi « qui va l'initier car le premier, chef apparent, a « la grâce dans sa langue » alors que le second, chef occulte, possède « le savoir dans la tête ».
Aussi longtemps que durera cette initiation, le vrai pouvoir restera aux mains du silatigi; moyennant quoi jamais il ne contredira le roi en public. Cependant cette initiation est réservée aux chefs de grande importance, laamiiɗo ou kaananke. Tout chef n'est pas nécessairement initié bien que l'on puisse rencontrer par ailleurs de grands connaisseurs parmi les simples chefs de village ; on n'a pas toujours, en effet, la place qui correspond à sa connaissance. Le premier devoir de tout grand chef, cependant, consistera à faire l'impossible pour obtenir cette initiation. Il y va de son prestige, à ce moment de l'évolution de la société fulɓe. Plus tard le laamido pourra se contenter de consulter ses voyants ou ses marabouts, sans être lui-même initié au secret.
Ainsi, dans l'histoire mythique des Fulɓe comme dans son contenu initiatique, ce récit se situe à la suite de Kaïdara. En quittant Hammadi, le dieu de l'or et du savoir avait envisagé de revenir. Il se fait annoncer par Koodal, la grande étoile à cinq têtes symbolisant l'homme (avec sa tête et ses quatre membres).
Mort depuis longtemps, Hammadi devra ressusciter pour recevoir la révélation ultime ! Son rôle de médium accompli, il retournera dans l'au-delà, cependant que le silatigi Baagumaawel qui a prévu et préparé le miracle continuera de guider, de conseiller et d'initier le jeune roi Jom-Jeeri, petits-fils de Hammadi et héritier légitime de son trône.
Jom-Jeeri n'aura donc pas de contact direct avec Kaïdara. Il devra passer par trois médiateurs : l'étoile annonciatrice, l'aïeul intercepteur et le silatigi « décrypteur » du message divin.
Bien que bénéficiaire principal de ces événements, Jom-Jeeri en est l'acteur le plus passif, plus objet que sujet, tel l'enfant entouré de tous les soins mais ne pouvant rien faire par lui-même. Telle est, du reste, l'une des caractéristiques fondamentales de l'initié qui, passant d'un état à un autre, doit littéralement naître une seconde fois, tout apprendre, prêt à toutes les formes de courage car il n'est guère d'initiation sans épreuves.
Les épreuves de l'initiation au pouvoir seront spécifiques ; à Jom-Jeeri qui est déjà roi, on ne demandera ni de vaincre des lions, ni de résister à la cupidité de l'or : il possède déjà richesse et puissance.
Mais quoi de plus difficile pour un prince que cette longue patience qu'on exigera de lui ? Quarante années d'attente alors qu'il avait convoqué de toute urgence son silatigi pour se faire expliquer, par lui, le mystère de l'étoile rayonnante !
Quoi de moins naturel que sa soumission spontanée à Baagumaawel, se mettant sous sa tutelle afin qu'il guide, approuve ou critique tous ses actes ? Point de révolte lorsqu'il eut compris que le maître « savait mais ne dirait rien encore » ; c'est au contraire une stricte obéissance que Jom-Jeeri ne cessera d'observer envers son berger spirituel. Et quand viendra enfin le temps de la révélation, il accomplira les gestes commandés sans discussion aucune, se pliera à tous les rites sans poser une question, fera les réponses qu'il convient quand on l'interroge, acceptera conseils, mises en garde et menaces, sans jamais se départir d'un respect attentif, ses seules initiatives consistant à s'informer de la manière de bien exécuter les ordres qu'on lui donne.
« Roi-mendiant » comme ceux qui apparaissent dans une des prophéties de Bâgoumâwel, DiômDiêri l'est bien; en vérité, mendiant spirituel totalement dépouillé de sa puissance terrestre pour s'en aller à la recherche des qualités de l'âme et de l'intelligence qui, seules, pourront justifier son pouvoir royal; car « être né sage vaut mieux qu'être né d'un sage ».
Le grand-père Hammadi avait utilisé l'or et le pouvoir pour acquérir le savoir. Diôm-Diêri va plus loin; il veut la sagesse, le « comment utiliser » le savoir, c'est-à-dire l'efficacité en vue de diriger son peuple comme il convient.
Là se trouve l'essentiel du message de ce texte, son apport original par lequel il complète en effet le Kaïdara où l'on avait proposé, sans ordre, une caractérologie des types humains. Ici, on en donne une hiérarchie ainsi qu'une méthode d'approche.
C'est une hiérarchie morale fondée sur la qualité des hommes, cette qualité étant elle-même soumise à des critères définis au vers 209. L'échelle des valeurs ainsi définies comporte trois étages eux-mêmes divisés en trois paliers : les sages parmi les sages, les sages parmi les humains, les sages parmi les vauriens; les humains parmi les sages, les humains parmi les humains, les humains parmi les vauriens; les vauriens parmi les sages, les vauriens parmi les humains, les vauriens parmi les vauriens.
Le récit se hâte de préciser que cette hiérarchie ne correspond pas à la structure de la société, car les hommes furent mélangés « comme graines dans un champ »; si bien que, dans chaque pays, chaque ville, chaque groupe, selon le dosage de ce mélange, selon la proportion de sages, d'humains et de vauriens répartis au hasard dans les hautes, moyennes et basses catégories sociales, il régnera ordre, paix, bonheur ou, au contraire, désordre et catastrophes !
C'est toute une conception du pouvoir qui se trouve ainsi esquissée, elle-même impliquant la conviction impérative qu'il n'appartient qu'aux sages de gouverner la cité. Il s'agit d'une puissance des meilleurs, une sorte de république des philosophes ! Cette notion du pouvoir royal se trouve précisée dans la définition de la fonction du chef : ici, on mettra l'accent, non point sur la façon d'acquérir le commandement, mais sur celle de le conserver.
Cependant, les aspects politiques et sociaux ne seront abordés qu'en tant que conséquences du comportement du souverain; il s'agit donc avant tout d'un cours de morale politique.
L'idée que la société fulɓe se fait du chef et ce qu'elle est en droit d'attendre de lui, le silatigi Bâgoumâwel va l'expliquer en détail à son pupille, le roi Jom-Jeeri. « Tête du peuple », son rôle est tout d'abord de commander et son autorité doit être indiscutable comme celle du taureau, guide et chef du troupeau; « tête du peuple » ensuite par son intelligence, le roi devra, par son savoir et son jugement, devenir celui qui comprend les choses mieux que tout autre et qui possède le plus d'éléments pour juger d'une situation ou d'une décision concernant la collectivité.
Cette autorité nécessaire sera assortie de contrôles extérieurs et intérieurs. En effet, les insignes du commandement sont, bien entendu, le sceptre, mais aussi le code et l'habit de deuil ! Le droit de commander implique l'obligation d'obéir aux lois de la coutume et le rappel constant que la mort n'épargne pas les rois : « si ta main droite (celle qui porte le sceptre) s'excite, tu songeras à ta gauche » (celle qui porte le code et l'habit funèbre). Autrement dit : si ta puissance t'enivre, songe que tu finiras comme n'importe quel mortel.
Plus explicitement encore, Bâgoumâwel va engager le roi publiquement devant ses sujets assemblés, à ne jamais abuser de sa force, à ne commettre nulle injustice, à ne jamais tromper ni imposer un mensonge, quitte à sacrifier sa fortune à la vérité.
De plus, il le revêtira d'une tunique d'épines, symbole physique du poids moral et de la responsabilité dont il ne pourra jamais se démettre, même si, par moments, elle est intolérable.
Enfin, si le peuple est en droit de peser sur son roi, le roi, lui, ne peut peser sur son peuple ; en effet, « si un bonnet devient trop lourd, on l'arrache et le jette ! », mise en garde contre la tyrannie qui suscite la révolte. L'assentiment populaire, bien que n'ayant pas été sollicité pour la nomination du roi, est donc nécessaire pour son maintien au pouvoir ; le despote n'aura nul droit à revendiquer si on le détrône, pas plus que sa famille. Bâgoumâwel, qui représente l'autorité morale, la conscience fulɓe, n'est pas tendre pour les tyrans qui abusent de leurs pouvoirs et pour les vauriens qui parasitent les hautes fonctions, les détournent et les confisquent à leur profit personnel; et la diatribe que le silatigi leur réserve confirme qu'il a toujours existé, dans les sociétés africaines traditionnelles, des groupes organisés pour contrôler le pouvoir royal, des catégories sociales ou des individus admis à critiquer le prince : conseils, conseillers religieux, griots ou parents à plaisanterie…
Bâgoumâwel vise aussi à préserver son pupille d'un des vices qui sapent les dynasties les plus valeureuses : le népotisme, cette faiblesse des puissants qui les pousse à confier la sécurité de leur trône et les plus hautes charges de leur pouvoir aux membres de leur famille, fussent-ils médiocres ou débauchés. Or, « être né dans le pouvoir ne donne guère ses qualités; un vaurien, même fils de roi, ne peut être nommé roi à son tour sans qu'il en résulte des troubles car le bien n'est pas en lui pour qu'il le répande ».
Enfin, un chef devra savoir exactement à quelles catégories de gens il a affaire sinon il ne peut les diriger convenablement; les sages se conduisent par l'esprit, les moyens se guident par le bâton du berger et les pires se mènent à la cravache destinée aux chevaux! En d'autres termes, pour bien gouverner les hommes, il faut s'adapter à leur niveau de compréhension, c'est-à-dire parler à chacun son langage, traiter chacun selon ses mérites. Avec un tel savoir-faire, le chef « ne sera en opposition avec personne, rencontrera peu de contradictions et son pays ne verra pas couler de sang ». C'est une exhortation à cette diplomatie dont nul gouvernant, si redouté soit-il, ne peut se passer.
Le pouvoir, en effet, use le meilleur des princes et nul n'est à l'abri du dénigrement, reconnaît Bâgoumâwel qui conclut en reliant ce destin difficile à la condition humaine en général, elle aussi pénible, semée d'embûches et inexorablement fugitive :

Cette demeure éphémère est pareille à un mets dont la sauce est souffrance... Nul ne se délassera dans ce monde. Nul ne sera préservé dans ce monde. Le méchant comme le bon souffrira dans ce monde dont la saveur est pareille à la longueur d'une langue, dont le plaisir est semblable à un faisceau de flammes qui reluit par surprise et sans durer se meurt comme s'il n'advint jamais et jamais ne fut senti. La saveur de ce monde est gluante et glissante; elle ne restera pas, dusses-tu ne point te hâter.

Le bonheur est bref ; rien ne sert de s'y accrocher. Il est donc aussi vain de s'accrocher au pouvoir. L'ultime qualité du chef apparaît ainsi comme l'humilité d'un homme qui se sait périssable et qui ne confond pas son rôle temporel avec sa nature humaine faillible et fragile.
Et le récit se termine sur cette vision de l'homme abandonné parmi les pièges de l'existence, l'homme angoissé qui implore l'assistance divine.
Laaytere Koodal constitue donc un récit grave et sévère, révélant la face tragique de la philosophie fulɓe, qui nous est peut-être plus proche, à nous autres modernes, que les enchantements et l'euphorie qui se dégageaient du Kaïdara.
Mais, par contre, le côté attrayant et pittoresque qui faisait le charme de Kaïdara est ici complètement supprimé, ce qui en rend la lecture plus difficile.

En outre, le récit est plus ésotérique ; et nombreux sont les symboles et allusions dont le sens nous échappe ou que les règles de l'imitiation interdisent de révéler en public.
Il y aurait à faire une autre lecture de Laaytere Koodal en fonction de cette signification secrète où le rôle de certains chiffres est déterminant : le 7 et le 9 reviennent sans cesse. On trouve ainsi :

Par ailleurs, dans la mesure où Koodal est cette fameuse étoile du berger qu'on rencontre dans la Bible aussi bien que dans le Coran, il n'est pas impossible qu'une recherche dans la Cabale juive et l'ésotérisme musulman puisse éclairer certains aspects du récit qui peut avoir subi une influence orientale soit dans un temps très ancien, soit à travers l'islamisation contemporaine.
Laaytere Koodal fait partie de l'enseignement traditionnel fulɓe ; et, tout comme Kaïdara et Koumen, il relève de l'initiation. On le raconte pour stimuler les gens et les inciter à chercher.
En effet, l'initiation ne s'offre pas; il faut toujours la demander; et sa durée est pratiquement illimitée. Il est des silatigi chevronnés qui entreprennent de longs voyages pour aller trouver des confrères afin de compléter leur savoir ou de se spécialiser.
Cependant, ces récits initiatiques ne sont pas l'initiation. « Ils sont à l'initiation ce que la théorie est à la pratique », avec cette réserve importante que certains éléments du récit ne peuvent être expliqués, voire révélés qu'au cours de l'initiation réelle. On dira par exemple à l'initié, à propos de certaines choses : « Le veau que tu as rencontré dans le récit, voici le piquet où il faut l'attacher. » Ces secrets sont dits de bouche à oreille et ne peuvent être dévoilés au profane sans que le bavard encoure des sanctions pouvant aller jusqu'à la peine de mort, car dans une société ainsi constîtuée, il est impie pour l'initié, dangereux pour le commun des hommes, néfaste enfin pour le savoir lui-même, que la connaissance totale et ses arcanes soient divulgués, c'est-àdire profanés, désacralisés. Le caractère secret des initiations est une épreuve morale, un exercice spirituel, mais aussî une sauvegarde de la pureté et de l'intégrité du savoir transmis.

Notes
1. Kaïdara, récit initiatique peul édité par A.-H. Bâ et L. Kesteloot (Paris, Julliard, 1969).
22. Koumen, récit initiatique peul édité par A.-H. Bâ et G. Dieterlen (Paris/La Haye, Mouton, 1961).
3. arɗo au singulier et arɓe au pluriel, est formé à partir de ardaade (vm-vP) qui signifie conduire, précéder, marcher devant.
4. Il y a plusieurs sortes de chefs dans la société fulɓe sédentarisée. On peut les classer comme suit: arɗo désigne le guide nomade devenu chef de village; joom-deende, le chef de quartier d'une grande cité; laamiiɗo, le chef de plusieurs cités, d'une région et le kaananke, le chef d'un pays conquis, ayant de nombreux laamiilaamiiɓe sous son autorité…
5. Lorsqu'un laamiiɗo qui a un cousin et trois fils meurt, son cousin, de même génération, lui succède devant ses fils; si le cousin meurt, le pouvoir revient au fils aîné du laamiiɗo, puis à ses deux frères; si les trois frères meurent, le pouvoir ira au fils aîné du frère aîné, etc. En général, l'âge prime à l'intérieur d'une même génération; la génération aînée sur la génération suivante même de ligne directe; à égalité d'âge et de génération, la branche directe prime sur l'indirecte.

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