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Amadou Hampâté Bâ
Élégie pour la mort de Tierno Bôkar Sâlif composée en 1940

Journal des africanistes, 63 (2) 1993 : 61-80.


      Introduction/Hunorde      
Hunorde
Allaahu juul e Nulaaɗo juulɗo e Joomii mum
mo maleyka'en kala juuli dow mum silmini
mo ɓe inndiroyi dow kammu Mahmuudu Ahmad
Ouverture
Dieu accorde Sa grâce à l'Envoyé qui, de son Seigneur, fut le fidèle, sur qui tous les Anges ont appelé la grâce et la paix et qu'au plus haut des cieux ils nommèrent le Glorifié : Ahmad.
Ngam juulde makko e juulde maɓɓe mi nyaagoyii
Geno Mawɗo jaɓa jaafoa mo ngoy-mi mo njettu-mi
Jinnganɗo seedii ngoonga Bookari Saalihu !
Par la grâce de sa prière et de la leur, je prie humblement l'Éternel, le Très-Grand, d'accueillir l'homme de bien que je chante en cette élégie et qui fut un défenseur et un témoin de la Vérité : Bôkar Sâlif !

1. Mi habraama mawɗo kabaaru waylaali noone am
tuma ndeen ɓe mbii kam Cerno Bookari Saalihu
1. A l'annonce de la terrible nouvelle, je ne laissai rien paraître
dès l'instant qu'on m'apprit que Tierno Bôkar Sâlif,
2. nyawoyii yo tampuɗo sanne, ngoonɗin-miabis koddiral
haawnaaki maayde so lelnoyii ɓii-Saalihu !
2. tombé malade, se trouvait au plus mal, ma foi y reconnut l'arrêt divin
et ce ne fut guère une surprise que la mort soit venue faucher le fils de Sâlif !
3. Giye am tuƴii mbaylii mbusam hono timmidiib
sattic e am mi tiimaali Bookari Saalihu !
3. [Pourtant] mes os mollirent comme mués en moëlle et leur dernière heure venue !
Ce me fut dure épreuve que d'avoir été absent lors du décès de Bôkar Sâlif !
4. Beccamd ɗee ormi paali kine am naƴƴidiie
gonɗamd gomowɗi ngoyir-mi Bookari Saalihu
4. De ma poitrine monta un râle sourd, de mes sinus un craquement sec
et de lourdes larmes versai en pleurant Bôkar Sâlif !
5. Mi woya moodi am biiroyɗo kam bif Muhammadin
gori gorgol am giɗo neene am, ɓii-Saalihu !
5. Je pleure mon Maître, celui qui m'éduqua dans la voie de Mouhammad,
l'époux de ma tante paternelle et l'ami de ma mère, le fils de Sâlif !
6. Mi nyaagiima yaa Wahhaabug nyiimnu e yeeso am
tabe ngaari diina njakawndi, Bookari Saalihu !
6. Je t'en prie, ô Généreux, imprime devant moi pour toujours
les traces du diligent Taureau de la Foi, Bôkar Sâlif !
7. So taw wonki Cerno yo lekki wonnoo mi yarnoyan
fa ki wilita duumoya baalɗe, Bookari Saalihu !
7. Si la vie de Tierno avait été un arbre, je m'en irais l'arroser
afin qu'il bourgeonne et de longs jours perdure, Bôkar Sâlif !
8. Walaa keddotooɗo e dunnyah duumoo maayataa
sinaa Taguɗoi maayde, Tagoyɗo Bookari Saalihu
8. Nul être demeurant en ce monde n'y jouit de l'immortalité
hormis le Créateur de la mort, Celui qui créa Bôkar Sâlif !
9. Won fiyɓe buse mum poɓɓi mbii: « Harrak! men kawiil
ɓe kawaali maayan no maayri Bookari Saalihu !
9. Il en est pour dire, se frappant les cuisses et battant des mains: « Enfin [nous avons gagné ! »
Mais il n'en est rien : ils mourront tout comme est mort Bôkar Sâlif!
10. Sabu Cerno maayii ɓe sikki fii maɓɓe toowoyii
toowaali tooke ɓuutii ɓe sabu ɓii-Saalihu !
10. Parce que Tierno est mort, ils croient leur affaire parvenue à son faîte,
mais il n'en est rien ; de venins ils sont pleins, contre le fils de Sâlif!
11. Mi yurmaama ɓee ɓe miilaali e nde doomi ɗu seyim
maa nde jawloroon ɓe no jawlorii ɓii-Saalihu !
11. J'ai pour ceux-là compassion, qui ne songent point que la mort les attend, et s'ébaudissent
alors qu'elle les va ravir comme elle a ravi le fils de Sâlif !
Notes
a. jaafo : jaafɗo.
a bis. ngoonɗin-mi : ngoongɗin-mi.
b. B. timmidin ; dans la version A, les vers 3 et 4 sont intervertis.
c. A. saqii : Ar. [saqi-] « malheureux, infortuné » (?)
d. beccam, gonɗam : becce am, gonɗi am ; ɓerndam : ɓernde am (v. 17), etc.
e. A. nde mo maayii beccam ormi kine am naƴƴidii.
f. bi : Ar. « au moyen de, avec, par ».
g. Wahhaabu. Ar. « généreux, donateur ».
h. dunnya pour duniyaa : Ar. [dunya] « ce bas monde » et v. 76 dunnyaaru pour dunyaaru.
i. A. Tagɗo.
j. B. foɓɓi.
k. Ar. racine signifiant « devenir libre »
1. A. prononcé qawii.
m. A. njali.
n. A. ma nde jawloroyoo.
Notes
1. Le maître Tierno Bôkar Sâlif Taal est mort à Bandiagara le 19 février 1940, en l'absence de l'auteur, son élève et disciple, qui se trouvait, à cette époque, affecté à Bamako. Lire les deux ouvrages d'A. Hampâté Bâ sur la vie et l'oeuvre de son père spirituel : Le sage de Bandiagara (en collaboration avec Marcel Cardaire, 1957) et Vie et enseignement de Tierno Bôkar. (1980). Nous conservons ici l'orthographe Taal adoptée par l'auteur.
2. Amadou Ali Elimane Tiam eut pour fils Tidjâni — qui devint le père adoptif de l'auteur — et pour fille unique Neene, qu'il donna en mariage au maître Bôkar Sâlif — désigné donc ici par l'auteur comme l'époux de sa tante paternelle.
      Introduction/Hunorde