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Maasina


Amadou Hampaté Bâ & Jacques Daget
L'empire peul du Macina (1818-1853)

Paris. Les Nouvelles Editions Africaines.
Editions de l'Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales. 1975. 306 p.


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Chapitre XI

Tierno Seydou Ousmane Tall, du village de Halwar sur le marigot Doué aux environs de Guédé, dans le Fouta Toro, au Sénégal, avait construit à l'intérieur de sa concession un embryon de mosquée pour y prier à l'écart de ses concitoyens. Ceux-ci, jaloux de la prospérité de la famille de Seydou qui comptait douze enfants remarquables par leur intelligence et leur bonne conduite, ne cessaient de chercher chicane à Tierno Seydou Tall pour un oui ou pour un non. Ils le citèrent finalement devant l'Almami du Fouta en disant :
— Ce Tierno Seydou se croit un autre Jacob. Il se pique de sainteté. Il estime que les siens ont été choisis pour guider le Fouta. Grande est son erreur. Nous te demandons, ô Almami, de signifier à Seydou Ousmane de détruire sa mosquée et de faire comme tout le monde, c'est-à-dire d'aller prier à la mosquée de son village.
L'Almami convoqua Tierno Seydou Ousmane et lui dit :
— Tes concitoyens que voici se plaignent de ce que tu ne vas plus prier à la mosquée publique ; ils interprètent cette attitude comme une marque de mépris à leur égard. Ils ne veulent pas tolérer la présence de deux sanctuaires dans leur village. Je suis obligé, attendu qu'ils possèdent la majorité, de te conseiller de détruire ta mosquée et ceci en vite d'éviter tout désordre dont les conséquences pourraient être plus graves qu'on ne le prévoit.
Tierno Seydou Ousmane était un homme de Dieu qui ne s'était tenu à l'écart de ses semblables que pour éviter d'entendre les propos malveillants tenus sur son compte. Il répondit humblement mais courageusement :
— Almami, je ne suis pas homme à créer des ennuis à mon prochain. Je cite devant Dieu ceux qui m'ont cité devant toi. J'obtempère à ton ordre de détruire ma mosquée.
Les ennemis de Tierno Seydou Ousmane, ne pouvant contenir leur joie, se vantèrent avec affectation. D'aucuns disaient :
— Pour qui Seydou Ousmane tient-il les habitants de Halwar ?
— Pour des hommes sans pantalon, surenchérissaient d'autres. Or, durant cette scène, Tierno Seydou tenait par la main un jeune garçon, son fils Oumar Seydou, le dernier né de sa pieuse femme Adama Aïssé, respectueusement surnommée Sokna en raison de ses vertus. L'Almami imposa silence aux excités et déclara à tous :
— J'ai demandé à Tierno Seydou Ousmane de détruire sa mosquée, cela ne veut pas dire qu'il a tort. Il a obtempéré à mon ordre, cela ne veut pas dire non plus qu'il a peur. Si vous saviez, ô Fouta 1, par combien de grandes mosquées nouvelles sera payée la disparition de la petite mosquée de Tierno Seydou Ousmane, et sur quels vastes territoires ces mosquées nouvelles seront construites, vous seriez moins enthousiastes. Je vous le dis par la grâce du Dieu Eternel : cet enfant que Tierno Seydou Ousmane tient par la main, construira à lui seul plus de mosquées que tous les chefs du Fouta et du Boundou réunis n'en ont jamais construit.
Ce disant, l'Almami caressa la grosse tête du jeune Oumar Seydou. L'enfant se laissa faire sans cligner des yeux qu'il avait clairs et expressifs.
Oumar Seydou fut un enfant précoce. La maturité de son esprit à un âge où ses camarades ne savaient pas encore compter correctement, et sa prodigieuse mémoire attirèrent sur lui l'attention des plus éminents marabouts. Il apprit à réciter le Coran dans un temps record. Puis il attaqua les autres sciences islamiques tant celles dites principales que celles appelées auxiliaires, et avec le même succès. Tout ce qu'il apprenait restait gravé dans sa mémoire. Il n'avait pas besoin de livres pour enseigner les leçons qu'il lui arrivait de donner à ceux qui venaient l'en solliciter. A l'exemple des jeunes étudiants musulmans, Oumar Seydou se mit à voyager et à visiter les hommes réputés de la Mauritanie, du Fouta Toro et du Fouta Dialon. C'est ainsi qu'il fut amené à fréquenter le saint Abd el Karim. Il le choisit comme maître pour l'initier à la vie mystique et à l'ésotérisme du Coran. Abd el Karim était originaire du Fouta Dialon. C'était un des grands maîtres de l'ordre tidjaniste et c'est à ce dernier qu'il initia Oumar Seydou. Il engagea, en outre, son élève à faire avec lui un pèlerinage à La Mekke pour se parfaire aux choses de l'Islam.
Oumar Seydou quitta le Fouta Dialon. Il se rendit à Halwar pour se préparer au pèlerinage. Son maître devait venir le rejoindre pour plaider sa cause auprès de ses parents qui auraient pu le détourner d'entreprendre sans escorte un si long et périlleux voyage. Mais, étant tombé malade en cours de route, Abd el Karim retourna au Fouta Dialon où il fixa un rendez-vous à Oumar Seydou. Ce dernier ne réussit pas tout de suite à obtenir le consentement de ses parents. Ses compatriotes, étonnés par sa grande érudition, mirent tout en oeuvre pour le faire rester parmi eux. On lui promit or, argent et femmes. De partout des étudiants affluaient vers le jeune savant qu'on ne nommait plus sans faire précéda son nom du titre d'Alfa, c'est-à-dire « l'homme aux mille sciences ». La renommée d'Alfa Oumar devint telle que des Maures quittèrent leur pays et vinrent au Fouta Toro dans le but unique de tenir en échec le jeune savant toucouleur. Ils s'en retournèrent confondus, forcés d'avouer qu'Alfa Oumar était un maître de la science.
A cette époque, une lettre du Macina parvint aux chefs peuls du Fouta Dialon. Elle annonçait la victoire de Cheikou Amadou sur les animistes coalisés et la fondation d'une capitale musulmane appelée Hamdallay. Cette lettre demandait en outre le concours de tous les savants musulmans afin que la victoire fut exploitée convenablement. Elle invitait aimablement tout homme de science désireux de visiter le siège du nouvel empire à y venir en toute confiance. Abd el Karim attendit vainement son élève et se décida finalement à partir le premier. Il laissa une lettre dans laquelle il disait à Alfa Oumar de venir le rejoindre à Hamdallay, d'où ils partiraient ensemble pour La Mekke.
Abd el Karim arriva à Hamdallay et y fut reçu avec beaucoup de marques de considération. Il fut autorisé à enseigner. Durant une année, il donna des cours sur plusieurs matières. En initiation, il enseignait les théories tidjanistes. Cela ne pouvait scandaliser personne, car le différend qui opposera plus tard les Toucouleurs, essentiellement tidjanistes, aux Peuls du Macina, habituellement qadriites, n'était pas encore né. D'autre part, la tolérance était grande dans le coeur de Cheikou Amadou qui, pour avoir choisi la voie d'Abd el Kader, fondateur de la Qadriya, n'avait pas manqué de donner le nom de Cheik Tidjani à un de ses fils. Celui-ci ne vécut que quelques jours : on pense que ce fut, en réalité, le premier enfant de Cheikou Amadou.
A la fin de l'année, Abd el Karim tomba malade. Il mourut à Hamdallay après avoir annoncé la visite de son éminent élève Alfa Oumar le Foutanké et l'avoir recommandé comme un homme destiné par Dieu à une brillante carrière maraboutique.
Alfa Oumar, déclara-t-il, sait tout ce que je sais, mais il saura plus tard ce que je ne sais pas. Recevez-le, aidez-le et demandez-lui ses bénédictions.
Alfa Oumar, après avoir prouvé à tous les marabouts du Fouta et de la Mauritanie que sa réputation n'était pas uniquement due à une savante propagande, mais qu'elle était fondée sur son incontestable valeur morale et intellectuelle, s'arracha aux mains des siens. Il se rendit au Fouta Dialon, accompagné par son frère consanguin Aliou. Il apprit que son maître était déjà parti pour le Macina. Lui-même se rendit à Hamdallay où Abd et Karim avant de mourir, avait préparé sa venue. Il fut reçu d'autant plus cordialement que les principaux marabouts et membres influents du grand conseil, ainsi que les chefs de guerre du Macina, étaient des FutankooBe 2, portant le nom ethnique de Futa kinndi, c'est-à-dire « vieux habitants du Fouta ». Ils voyaient en Alfa Oumar un brillant compatriote et s'efforcèrent de lui rendre aussi agréable que possible le séjour à Hamdallay. Alfa Oumar ne fut pas au-dessous de la réputation qu'Abd el Karim lui avait faite.

Il séjourna à Hamdallay jusqu'au début de l'année musulmane 1249, qui aurait été celle de la naissance d'Amadou Amadou, petit-fils de Cheikou Amadou 3. Il est de coutume qu'un nouveau-né soit présenté aux personnages réputés par leur piété et leur savoir et qu'on leur demande une bénédiction en faveur du nouvel être. C'est ainsi qu'Amadou Amadou fut présenté à l'hôte illustre de son grand-père, Alfa Oumar le Foutanké. La légende prétend qu'au moment où on lui montra l'enfant, Alfa Oumar avança la main pour la poser sur la tête du bébé. Mais celui-ci se mit à agiter ses petits membres et à pousser des vagissements stridents comme pour se défendre de tout contact. Alfa Oumar tint sa paume ouverte au-dessus de la tête d'Amadou Amadou et, levant les yeux, il s'aperçut que toute l'assistance avait remarqué l'incident. Il lut sur les visages contractés l'inquiétude et la crainte d'un mauvais présage. Instinctivement, il regarda fixement le grand-père du bébé comme pour lui demander une explication ou lui en donner une. Cheikou Amadou, détendu et souriant; lui dit :
Alfa Oumar, je te confie notre petit-fils 4.
Alfa Oumar bénit J'enfant malgré les protestations véhémentes et impuissantes de ce dernier.
Il ajouta :
— Me crois-tu, Cheikou Amadou, capable de violer les lois de ]'hospitalité et de payer le bien par le mal ? Ne sais-je pas qu'Allah a dit :

« Ne semez point le scandale sur la terre après réforme de celle-ci. Priez-Le avec crainte et convoitise (d'obtenir Son pardon) ! La miséricorde d'Allah est proche des Bienfaisants (VII, 54/56). »

Si je fais du mal à notre petit-fils, qu'Allah ne me fasse pas dépasser Baboy 5.
— Certes, reprit Cheikou Amadou, Allah a dit :

« La récompense du bien est-elle autre chose que le bien ? (LV, 60). »

La séance fut levée après que d'autres bénédictions eussent été données au petit Amadou Amadou. En ville, l'incident fut diversement commenté, chacun en déduisant des prédictions plus ou moins tendancieuses. Les mauvaises langues s'en mêlèrent ; quelques marabouts, jaloux de la fortune intellectuelle d'Alfa Oumar et désireux de lui faire, écourter son séjour à Hamdallay où il les éclipsait tous depuis son arrivée, répandirent des bruits malveillants sur les intentions d'Alfa Oumar. Mais ce dernier comptait déjà de nombreuses amitiés et des admirateurs sincères dans la ville. Tout porte à croire qu'il fut informé des rumeurs qui couraient sur son compte et qu'il reçut officieusement le conseil de partir. Il fit ses préparatifs et se joignit à une caravane qui partait pour Kong. L'incident n'eut pas de suite, grâce à l'attitude de Cheikou Amadou qui, en réponse aux insinuations des calomniateurs d'Alfa Oumar, déclara simplement que cet homme était une lumière et que Dieu le destinait à jouer un grand rôle dans l'Islam. Alfa Oumar avait reçu de la Dina et de particuliers des dons importants. Il quitta Hamdallay avec une certaine amertume au coeur. Il devait y revenir une seconde fois pour se justifier et une troisième fois pour punir, mais hélas aussi pour périr non loin de Baboy, village que lui-même avait demandé à Dieu de ne pas dépasser s'il faisait du mal à Amadou Amadou.
De Kong, Alfa Oumar se dirigea sur le Haoussa. Il séjourna sept mois à Sokoto. Il ne cessait d'accroître et d'affermir ses connaissances, tout en donnant à ceux qui le lui demandaient des leçons sur le Coran et le droit musulman. Nanti d'abondantes richesses, en or et en argent, et d'une vaste culture musulmane. Alfa Oumar put traverser les pays touareg, le Fezzan, et le Soudan égyptien, sans autres difficultés que les fatigues physiques qu'entraîne une telle randonnée. Il franchit la Mer Rouge et atteignit Djedda puis La Mekke. Il accomplit le pèlerinage et acquit le titre d'El Hadj. En tant qu'adepte de la voie tidjaniste, il rendit une pieuse visite à Cheik Mohammed el Ghali, chérif et khalife général de l'ordre Tidjaniya en Arabie. El Hadj Oumar se dépouilla de tous ses biens au profit du chérif. Il le suivit à Médine et poussa l'humilité jusqu'à aller faucher de l'herbe pour le cheval de Cheik Muhammad el Ghali et ramasser du bois mort pour faire sa cuisine. Il couchait dans son antichambre et mangeait les restes de ses plats. Il agit ainsi durant un an, sans que le chérif lui prêta l'attention qu'il méritait. El Hadj Oumar se montrait chaque jour plus patient et plus dévoué. Le manque d'égards qu'on lui témoignait stimulait son humilité. Vers la fin de l'année, Cheik Muhammad el Ghali projeta d'aller à La Mekke pour le pèlerinage. El Hadj Oumar obtint l'autorisation de l'accompagner. Il fit ses préparatifs.
On notera que durant toutes ses pérégrinations, du Fouta Toro à La Mekke, El Hadj Oumar était accompagné de son frère consanguin Aliou Seydou dit le pieux. C'est ce dernier qui subvenait aux besoins des membres de la famille de son frère, afin que celui-ci se consacre entièrement au service du Maître de la Tidjaniya. Durant l'année passée à Médine, Cheik Mohammad el Ghali s'était contenté de donner à El Hadj Oumar le livre mère de la Tidjaniya, le Djawahiral-ma'aani 6 en disant :
— Lis-le avec attention ; tâche de te pénétrer de son enseignement et surtout d'en retenir les principaux passages. Cette dernière recommandation était inutile, car El Hadj Oumar n'oubliait jamais une chose apprise. Bientôt, il sut réciter de mémoire tout le livre ; il savait également combien de fois chacune des vingt-huit lettres de l'alphabet arabe y était répétée et le nombre des mots dont il était composé. Un jour, Cheik el Ghali cita un mot du livre mère et dit à son élève :
— El Hadj Alfa Oumar, as-tu rencontré ce mot dans le Djawahiral-ma'aani ?
Aussitôt et sans affectation, l'interpellé répondit :
— Maître, j'ai rencontré ce mot tant de fois dans le Djawahiral-ma'aani et le même mot se trouve répété tant de fois dans le Coran 7.
A partir de ce jour, Cheik Muhammad el Ghali, qui ne voyait en El Hadj Oumar qu'un « visage de poix », un « corbeau , seulement capable de coasser la langue arabe sans jamais la posséder parfaitement, revint sur son erreur. Il accorda à ce « nègre rarissime » une attention et une considération qui ne cesseront d'intriguer et de choquer les quelques Arabes de l'entourage de Cheik el Ghali. El Hadj Oumar allait, une fois de plus, se trouver en butte à la malveillance générale.
Cheik Muhammad el Ghali, n'écoutant que sa conscience et n'envisageant que les intérêts de l'Islam, et de la secte qu'il administrait, s'affranchit de la négrophobie qui sommeille au cœur de tout Arabe. Il ferma les yeux sur la couleur de l'homme pour ne voir que ses dispositions intellectuelles extraordinaires. El Hadj Oumar va, sous la direction de Cheik el Ghali, réviser le Djawahiral-ma'aani et graver dans sa prodigieuse mémoire les secrets de chaque lettre, de chaque mot et de chaque phrase du grand livre tel que le Pôle des Saints, Patron des déshérités, Cheik Abal Abass Ahmed ben Muhammad ben Tidjani l'a enseigné, bouche à oreille, aux grands piliers de son ordre 8. Cheik Mohammed el Ghali et son élève, devenu son confident, son conseiller et son secrétaire, quittèrent Médine pour La Mekke où ils accomplirent les rites qui firent Alfa Oumar deux fois El Hadj.
Dès les premières leçons, Cheik Mohammad el Ghali s'était aperçu que son élève en savait plus long sur les secrets de l'ordre tidjaniste qu'il ne le laissait voir. Il en fut très heureux. Il réunit des soufis et des savants et en leur présence, donna la parole à El Hadj Alfa Oumar. Celui-ci disserta avec la même aisance tant sur les passages obscurs du Coran que sur les paraboles mystiques des grands maîtres de la voie de Dieu. Il ne fut jamais intimidé ni pris de court en aucune matière ni par aucun des assistants. Il ne manquait plus à El Hadj Alfa Oumar que la « baraka ». Cette vertu ne dépend ni du savoir, ni de la fortune et encore moins de la naissance. Elle doit être donnée par un dépositaire consacré. Cheik Mohammad el Ghali en était un pour l'obédience Tidjaniya. Il donna le titre de moqqadem à El Hadj Alfa Oumar, mais ne voulut rien faire quant à la « baraka ».
El Hadj Oumar revint à Médine avec son maître. Il lui demanda et obtint l'autorisation de se rendre à Jérusalem en pèlerinage. C'est donc en tant que moqqadem de l'ordre tidjaniste qu'El Hadj Oumar visita la Terre Sainte. Il ne manqua pas de se présenter et de prier partout où la tradition musulmane a fait passer le « Messie Verbe de Dieu », lhça (Jésus) fils de Marie. C'est pieusement qu'il visita les lieux les plus sacrés de Galilée : montagnes saintes, collines bénies et plaines heureuses autour du lac de Tibériade.
Le passage d'El Hadj Oumar en pays arabe ne pouvait passer inaperçu pour trois raisons. L'abnégation avec laquelle il avait donné toutes ses richesses à son maître Mohammad el Ghali, faisait du bruit partout. Sa grande érudition musulmane lui valait d'être cité, malgré sa couleur, comme un docteur remarquable et un génie sur lequel pouvait compter l'Islam en Afrique noire occidentale. Enfin son titre de moqqadem de l'ordre Tidjaniya, cet ordre qui, bien que presque le dernier en date, gagne du terrain sur les plus anciens et tend à les supplanter aussi bien en Orient qu'en Occident. Si des savants impartiaux accueillaient et assistaient gracieusement El Hadj Oumar, moqqadem de l'ordre Tidjaniya, il en était tout autrement des docteurs et maîtres des congrégations ; les plus acharnés furent les dirigeants des sectes Qadriya et Taïbya. Pendant sept mois, El Hadj Oumar eut à faire face aux attaques dirigées contre la Tidjaniya à travers sa propre personne. N'ayant pu le vaincre dans le domaine de la science, ses adversaires essayèrent de tabler sur la couleur de sa peau pour le ridiculiser.
C'est ainsi qu'au cours d'une discussion scientifique, un de ses détracteurs malicieux déclara à son adresse :
— O science, toute splendide que tu sois, mon âme se dégoûtera de toi quand tu t'envelopperas de noir ; tu pues quand c'est un abyssin qui t'enseigne.
La foule éclata de rire. El Hadj Oumar attendit que l'hilarité générale se fut calmée pour répliquer :
L'enveloppe n'a jamais amoindri la valeur du trésor qui s'y trouve enfermé. O poète inconséquent, ne tourne donc plus autour de la Kaaba, maison sacrée d'Allah, car elle est enveloppée de noir. O poète inattentif, ne lis donc plus le Coran car ses versets sont écrits en noir. Ne réponds donc plus à l'appel de la prière, car le premier ton fut donné, et sur l'ordre de Mohammed notre Modèle, par l'abyssin Bilal. Hâte-toi de renoncer à ta tête couverte de cheveux noirs. O poète qui attend chaque jour de la nuit noire le repos réparateur de tes forces épuisées par la blancheur du jour, que les hommes blancs de bon sens m'excusent, je ne m'adresse qu'à toi. Puisque tu as recours à des satires pour essayer de me ridiculiser, je refuse la compétition. Chez moi, dans le Tekrour, tout noir que nous soyons, l'art de la grossièreté n'est cultivé que par les esclaves et les bouffons.
El Hadj Oumar retourna ensuite à La Mekke pour tripler son titre d'El Hadj. Les pèlerins syriens rapportèrent à Cheik el Ghali le succès remporté par son élève ; ils louèrent la profondeur de sa science et la façon dont il avait riposté aux attaques malveillantes de ses détracteurs ou éclairé ceux qui étaient venus le trouver de bonne foi. Après le pèlerinage, Cheik el Ghali invita El Hadj Oumar à l'accompagner à Médine pour y recevoir sa dernière initiation tidjaniste. El Hadj Oumar en fut d'autant plus heureux qu'il devait retrouver sa famille restée à Médine et notamment une fille qui y était née avant son voyage à Cham. La légende prétend qu'une nuit, après les prières canoniques et surérogatoires, Cheik Tidyani en personne apparut à son représentant Cheik Muhammad el Ghali et lui dit :
— Voici trois ans que mon adepte, Oumar le Différenciateur, te demande le secret du Grand Nom qui recèle la « baraka ». Ne tarde pas davantage à le lui révéler. Sinon, je le lui donnerai directement et, dans ce cas, il ne sera pas de ton obédience, ce qui serait bien dommage pour toi.
Le lendemain de cette apparition, Cheik Mohammad el Ghali prit El Hadj Oumar par la main et le conduisit à la tombe du Prophète.
— Je prends, dit-il, à témoin mon grand père et Prophète Mohammad, ici couché, que sur l'ordre de mon aîné, maître et patron, Sidi Ahmad ben Mohammad ben el Mokhtar et Tidjani, je te consacre, toi, El Hadj Alfa Oymar ben Seydou ben Ousmane, grand maître des secrets de la secte Tidjaniya et khalife général de la même secte pour tous les pays noirs. Je te passe la formule « istikhâra » 9, ainsi que la « baraka » et le pouvoir de les transmettre à qui te sera désigné, le tout en vertu des pouvoirs divins qu'Allah a donné à Cheik Tidjani par l'entremise de notre Prophète.
Cheik Mohammad el Ghali communiqua ensuite les secrets de l'hexagramme, symbole caché de la secte, à El Hadj Oumar et lui ordonna de retourner dans son pays.
— Va balayer les pays.
Tel fut la consigne qu'El Hadj Oumar reçut de son maître en même temps que la dignité de cheik et khalife de l'ordre Tidjaniya.
Quel que soit le sens que les commentateurs donneront à ce mot d'ordre, « va balayer les pays », El Hadj Oumar trouvera à le suivre plus de peines que de joies. Il aura non seulement à affronter le paganisme noir, mais encore à parer les coups que, par rivalité humaine, les tenants des ordres Qadriya, Taïbya et Chadelya lui porteront jusqu'au bout. El Hadj Oumar avait coutume de dire :
On m'a fait, on me fait, et, longtemps après ma mort, on continuera à me faire toutes sortes de réputations. Les marabouts sont mes plus fidèles détracteurs ; ils m'ont attribué tous les travers et toutes les fautes morales ; ils ont tout fait pour me faire paraître odieux. J'ai tout entendu dire de moi en mal, sauf que j'ai été « enceinte d'un bâtard».
L'impossibilité matérielle pour un homme d'enfanter est la seule raison qui m'ait évité cette calomnie
.
Des traditions contradictoires font en effet d'El Hadj Oumar, tantôt un cheik sublime, tantôt un despote sanguinaire qui incendie et pille tout sur son passage. S'il est vrai que la calomnie est la rançon de la grandeur, on ne peut contester qu'El Hadj Oumar fut un grand homme. En quittant Médine, il était bien décidé à ne jamais devenir roi ni courtisan de roi, c'est-à-dire marabout officiel. La preuve en est cette déclaration qu'on lui prête : a Je n'ai pas fréquenté les rois et je n'aime pas ceux qui les fréquentent 10.

Voici donc El Hadj Oumar, cheik de l'ordre Tidjaniya, en route pour les pays de l'Occident africain. Il passe par Le Caire où les savants de la célèbre Université essayent vainement de le prendre en défaut. Ce nouveau succès augmente encore son prestige. Une réputation de science et de piété le précède, mais éveille la défiance des rois païens et des marabouts locaux. Au Bornou, El Hadj Oumar échappe par miracle aux machinations criminelles du sultan. Celui-ci, pour réparer sa tentative avortée, donne au voyageur une de ses propres filles Mariatou 11 qui sera mère de Makki, Seydou, Aguibou et Koréichi. Enfin l'infatigable pèlerin atteint Sokoto où Mohammadou Bello, fils de Cheik Ousmane Dan Fodio, a succédé à son père comme sultan.
Pour permettre aux lecteurs non avertis des questions islamiques en Afrique occidentale, de comprendre l'enchaînement des faits qui seront rapportés plus loin, il est indispensable de donner quelques précisions sur la congrégation Tidjaniya. En effet, le conflit qui mit aux prises El Hadj Oumar et les Peuls du Macina, aidés des Kounta, s'explique mal pour qui ignore l'histoire de l'ordre tidjaniste et l'opposition qui a toujours existé entre cet ordre relativement récent et les plus anciens, notamment Qadriya et Taïbya en Afrique du Nord, Bekkaya en A.O.F. et en Nigéria.

Le fondateur de la Tidjaniya, Sid Ahmed ben Mohammed ben el Mokhtar, naquit en 1150 (1737-38) à Aïn Mahdi, dans le Sud algérien. Il fonda sa congrégation en 1196 (1782). Celle-ci, plus jeune que ses rivales, se révéla également plus dynamique. Dix ans après sa fondation, elle se classait déjà au quatrième rang des 67 congrégations qui se partageaient alors le monde musulman. Cette extension rapide inquiéta les dirigeants des autres ordres auxquels elle portait ombrage. Les gouvernants turcs s'émurent. Le bey Mohammed el Kébir pour avoir raison d'Ain Mahdi, fixa à ce village un impôt excessif qui ne put être perçu qu'à coups de canons en 1785. Deux ans plus tard, le bey Ousmane, fils du précédent, envoya également une expédition contre Aïn Mahdi pour se faire payer le tribut imposé par son père (1787). Sid Ahmed quitta alors son pays d'origine et se réfugia à Fez, où le sultan du Maroc, Moulay Shamir, l'accueillit et lui offrit une demeure somptueuse. Mais les attaques auxquelles Sid Ahmed avait cru se soustraire par l'exil, reprirent de la part des adeptes de l'ordre Taïbya, qui était celui de l'état chérifien. Sid Ahmed réussit cependant à vivre en bons termes avec Moulay Ali ben Ahmed, chef dudit ordre, grâce à l'adresse politique et à l'érudition religieuse du sultan Moulay Sliman. La tolérance de ce dernier était telle qu'il autorisait chaque chef religieux à professer librement ses idées dans le cadre du canon musulman.
Après la mort de Moulay Ali ben Ahmed, chef de la Taïbya, de cheik Ahmed Tidjani, fondateur de la Tidjaniya et de Moulay Sliman, sultan du Maroc ; les attaques reprirent de plus belle contre la congrégation tidjaniste. Le nouveau sultan du Maroc, Moulay Yazid ben Ibrahima, poussé par les dirigeants de la Taïbya, parmi lesquels il avait recruté ses conseillers, retira de la succession de cheik Ahmed Tidjani le magnifique palais donné par son prédécesseur, le sultan Moulay Sliman. En outre, pour achever de ruiner le crédit de la Tidjaniya, des fanatiques soutenus par le bey turc d'Oran, vinrent assiéger Aïn Mahdi, mais sans succès. Le bey crut devoir intervenir et attaqua lui-même Aïn Mahdi en 1820 : il essuya un échec. Ces violences avaient coûté beaucoup d'argent et de vies humaines aux tidjanistes, mais leur prestige sortait rehaussé de l'aventure. L'autorité turque ne pouvait tolérer cet état de choses. Le bey Moustafa ben Mezraz ordonna en 1822 de canonner Aïn Mahdi. La ville soutint le siège et les troupes turques durent se replier. En 1826, cheik Mohammed Kébir, fils aîné de cheik Ahmed Tidjani, fut attiré dans un guet-apens près de Mascara et blessé par des Arabes, serviteurs religieux de la Taïbya et de la Qadriya coalisées. Enfin en 1827, les Turcs surprirent Mohammed Kébir et quatre cents de ses partisans dans Mascara. Ils les firent tous assassiner pour venger leurs échecs répétés devant Aïn Mahdi.
Quand Abd el Kader ben Mahi ed Din fut proclamé sultan des Arabes en 1832, il voulut à son tour supprimer la Tidianiya. Moqqadem de l'ordre Qadriya, il pensait que l'anéantissement de la puissance tidjaniste lui laisserait les mains libres dans ses états pour joindre le pouvoir spirituel au pouvoir temporel ; il invita les tidjanistes à l'aider contre les chrétiens qui avaient envahi l'Algérie. Devant le refus des dirigeants de la Tidjaniya, Abd el Kader vint assiéger Aïn Mahdi durant huit mois (1839). Il rasa les murs de la ville mais ne réussit pas à porter atteinte au prestige de la congrégation tidjaniste. De grandes richesses affluèrent à Aïn Mahdi, venant de l'Egypte, du Soudan Egyptien, de la Tunisie et du centre de l'Afrique Noire. En effet la Tidjaniya, qui avait lutté victorieusement contre les Turcs d'une part et contre les Algériens et Marocains, partisans de la Qadriya et de la Taïbya d'autre part, s'était étendue rapidement du côté de la Tunisie, de l'Egypte et de l'Arabie. Elle avait envoyé des moqqadems dans ces divers pays. C'est ainsi que cheik Mohammed el Ghali avait été désigné pour représenter l'ordre en Arabie. Il avait élu domicile à Médine. C'est lui qui donna à El Hadj Oumar le titre de cheik et l'envoya propager la Tidjaniya en Afrique noire.
A l'époque où cheik Ahmed Tidjani parcourait le Sud algérien, Mokhtar el Kébir était directeur de la Bekkaya. Cet ordre, issu de la Chadelya avait été fondé en 960 (1553), par cheik Omar ben Sid Ahmed el Bekkay. Une amitié intellectuelle semble avoir existé entre Mokhtar el Kébir et cheik Ahmed Tidjani ; mais les successeurs de ces deux hommes ne suivirent pas la même politique religieuse. Tant que la congrégation Tidjaniya, de deux cent trente-six ans plus jeune que la leur, ne fit que peu d'adeptes dans leur pays, les Bekkay ne lui opposèrent qu'un mépris hautain. Mais ils ne pouvaient assister impassibles aux relations que les tidjanistes se créaient en Afrique noire et parmi les Touareg. Il s'agissait en fait d'une question d'ordre financier. L'apparition d'un nouvel ordre dans des régions où la Bekkaya était seule à faire la loi religieuse et à percevoir les ziara 12 était un motif valable pour justifier les attaques violentes des Kounta contre les propagateurs de la Tidjaniya. La Bekkaya a joué le rôle d'une digue dressée en travers de la route de la Tidjaniya vers l'Afrique noire. Pour colmater les brèches que les tidjanistes ont fait et font encore chaque jour dans cette digue, tous les moyens sont bons pour les tenants de l'obédience des Bekkay. Aussi, dès que le retour d'El Hadj Oumar, élevé à la dignité de khalife de l'ordre pour l'Afrique noire, fut annoncé, la colère de Sid Ahmed el Bekkay gronda comme un roulement lointain de tonnerre. Il mit tout en oeuvre pour barrer la route à El Hadj Oumar. La sainteté et la naissance illustre n'avaient nullement modéré le tempérament belliqueux du chef Kounta. Tout était martial chez cet homme aux décisions promptes, aux idées tenaces, à l'entêtement irréductible. Il ne reculera pas devant l'avalanche tidjaniste. Il ira jusqu'à envoyer ses forces militaires au secours des Peuls afin d'écraser définitivement El Hadj Oumar à Déguembéré.

Avant de mourir, Cheik Ousmane Dan Fodio, le chef de l'empire théocratique haoussa, manda son fils et successeur Mohammadou Bello et lui dit :
— L'heure de quitter ce monde a sonné pour moi. Ne crois pas que j'en ressente une vive douleur. L'immobilité du corps, son gonflement et sa décomposition n'affectent pas l'âme. La mort n'épuise pas celle-ci.

Puis il fit, entre autres, les recommandations suivantes à son fils :
— Quand tu recevras la visite d'un personnage de race blanche, maure ou targui, comble-le de richesses ; il deviendra aussi docile qu'un chien dressé. Le blanc apprécie la fortune, il la place au-dessus de tout. Quand tu recevras la visite d'un personnage de race peule, honore-le. Le Peul, naturellement orgueilleux, aime la pompe. Il est prêt à mourir pour celui qui ménage sa susceptibilité comme il est prompt à tuer celui qui lui manque d'égard. Quand tu recevras la visite d'un personnage de race noire, ne le reçois qu'entouré de toute ta cour et de tout ce qui indique la force. Garde tes distances. Le noir admire l'air puissant. Il se laisse dominer facilement par les apparences. Ceci dit, au cours de ton règne, tu verras arriver deux personnages antagonistes, également savants et meneurs d'hommes. Le premier viendra de l'est, de La Mekke. C'est un tekrour, un compatriote de nos ancêtres. Il sera à la recherche d'un empire. Il sera donc dangereux pour toi d'entretenir un commerce intime avec lui, mais aussi de le mépriser. Son âme ardente, sa vaste science, ses dons de persuasion auront vite fait de frapper l'imagination des foules et de les entraîner. Tu le recevras avec tout le faste possible ; tu le logeras en dehors de la ville ; tu éviteras de le voir autant que tu le pourras et tu n'enverras vers lui que des gens de caste et des captifs. Quant au second, il viendra de la région de Tombouctou. C'est un Arabe, rejeton d'une illustre famille. Tu te porteras au devant de lui avec toute ta cour, avant même qu'il ne pénètre dans tes domaines. Tu te confieras à lui. Tu le logeras dans tes appartements. Tu lui dispenseras toutes les marques d'égard et de soumission.

El Hadj Oumar, avant d'arriver à Sokoto, avait écrit à Mohammadou Bello pour lui annoncer son arrivée et son intention de séjourner quelque temps dans la ville. Une foule considérable, attirée par la réputation exceptionnelle du pèlerin, précédait celui-ci. Elle attira l'attention de Mohammadou Bello et lui permit de reconnaître en El Hadj Oumar le premier visiteur annoncé par cheik Ousmane Dan Fodio. Il fit aussitôt construire hors de la ville une série d'habitations pour recevoir cet hôte qu'il devait à la fois honorer et tenir à l'écart. A son arrivée, El Hadj Oumar fut accueilli par une délégation de griots et de captifs de case, qui l'escortèrent jusqu'au gîte qu'on lui avait réservé. En son honneur, des bœufs et des moutons offerts par Mohammadou Bello, furent immolés.
Les suivants d'El Hadj Oumar attirèrent l'attention de ce dernier sur le fait qu'aucun homme libre ni aucun notable ne figurait parmi ceux qui l'avaient accueilli. Malgré l'amertume que lui inspirait cette singulière façon de l'honorer par la plus basse classe de la société, El Hadj Oumar ne laissa rien apparaître de ses sentiments.
— Tout est leçon dans cette vie, dit-il. Il faut savoir en tirer profit.
Toute la journée se passa sans que Mohammadou Bello et ses notables ne vinssent saluer El Hadj Oumar. Le lendemain ce dernier fit dire à Mohammadou Bello qu'il désirait lui-même aller lui rendre visite. Le sultan se déclara fatigué et ajouta qu'il ferait prévenir son hôte lorsqu'il serait rétabli. El Hadj Oumar attendit un certain nombre de jours pendant lesquels on ne le laissa manquer de rien.
Sur ces entrefaites, Sid Ahmed el Bekkay, venant de Tombouctou, se fit annoncer. Mohammadou Bello convoqua ses notables et donna l'ordre à tous les propriétaires de chevaux de se porter en habits de fête au devant du chef Kounta. Lui-même prit la tête du cortège. Quand il eut rencontré cheik El Bekkay, à une demi-journée de marche de Sokoto, il lui dit après les salutations :
— Il serait bien séant qu'un saint homme comme toi bénisse la ville de Sokoto avant d'y pénétrer.
Sur ce, le cheik composa un poème de bénédiction en faveur de la famille Fodio et des terres qui relèvent de son commandement. Mohammadou Bello répondit à son tour en improvisant un poème pour souhaiter la bienvenue à son hôte et l'assurer du dévouement des siens. Le cortège se dirigea vers Sokoto. Mohammadou Bello logea Cheik el Bekkay dans ses propres appartements.
La différence dans la manière de recevoir les deux illustres visiteurs ne manqua pas d'intriguer les habitants de Sokoto. Toute la ville se mit à en parler. El Hadj Oumar, qui n'avait jusque là reçu ni la visite de Bello ni l'autorisation d'aller se présenter à celui-ci, sollicita avec insistance la permission de saluer son collègue marabout Cheik el Bekkay.
Ce dernier, consulté, se montra empressé de voir El Hadj Oumar dont on lui avait tant vanté les qualités intellectuelles. Tout porte à croire que Cheik el Bekkay n'était venu dans le Haoussa que pour contrebalancer l'action tidjaniste d'El Hadj Oumar. Il était de l'intérêt Kounta que le crédit religieux du Toucouleur fut ruiné le plus rapidement possible. Le meilleur moyen d'y arriver aurait été de le confondre publiquement en prouvant soit son hérésie, soit son peu de science par rapport aux dirigeants Kounta. Cette dernière alternative paraissait la plus facile, car aux yeux des Bekkay, un Noir peut être lettré en Arabe, mais pas au point d'en imposer à un Maure. C'est dire que Sid el Bekkay n'accordait aucun crédit aux bruits qui avaient précédé El Hadj Oumar et selon lesquels ce dernier aurait remporté des victoires sur des Arabes qui l'avaient mis à l'épreuve en Syrie, en Egypte et même en Arabie.
Quand les deux voyageurs se rencontrèrent, chacun se présenta en employant des termes choisis et des tournures élégantes pour mettre en valeur l'étendue de son savoir. Cheik el Bekkay ne se gênait pas d'afficher quelque mépris pour la couleur de son interlocuteur. Il lui parlait avec la condescendance d'un supérieur envers un inférieur intelligent. Choqué de cette manière d'agir, El Hadj Oumar changea la tournure de la conversation. Il posa une première question, puis une seconde, puis une troisième. Soit qu'elles manquassent de netteté, soit que leur tournure littéraire laissât à désirer, les réponses de Cheik el Bekkay amenèrent un sourire sur les lèvres d'El Hadj Oumar. Le chef Kounta se fâcha ; sa nature agressive domina sa raison et il sortit des limites de la courtoisie. Il dit à El Hadj Oumar .
— Avec tout ce que tu as acquis de science et avec la suite nombreuse que tu traînes derrière toi, tu me sembles aspirer à te faire passer pour un rénovateur de l'Islam. S'il en est ainsi, permets que je te mette en garde contre toi-même. Le Prophète a déclaré qu'après lui cinquante personnes essayeront de se faire passer comme rénovateurs de l'Islam. Parmi elles, il y en aura trois répondant au prénom d'Oumar. Deux seront véridiques et hommes de Dieu. Mais la troisième ne sera qu'un imposteur et un ambitieux qui entraînera les hommes avec lui dans l'abîme. Sais-tu, ajouta El Bekkay, que deux Oumar sur les trois prédits, sont déjà apparus ? Ce sont Oumar ben Khatab et Oumar ben Abd el Aziz. Tous deux ont rénové l'Islam. Ils ont prouvé leur sainteté par les fruits de leur oeuvre. Il ne reste plus à venir qu'Oumar le maléfique. Il sera doué d'une science diabolique qui lui permettra d'induire en erreur une foule considérable de peuple. Sous couleur de rénover la religion, il entraînera la masse au vol et au pillage. Il sera cause de la mort de beaucoup d'innocents.
El Hadj Oumar encaissa cette diatribe avec sa philosophie habituelle et pour laisser à Cheik el Bekkay l'illusion d'une victoire, il ne répondit rien. Mais il continua à poser des questions et le chef Kounta ne put se tirer d'affaire avec le brio et l'élégance que lui-même et ses fidèles escomptaient. Pour éviter une seconde rencontre avec le savant Toucouleur ou pour d'autres raisons, Cheik el Bekkay décida d'écourter son séjour à Sokoto, El Hadj Oumar au contraire y resta bien que Mohammadou Bello gardât toujours la même attitude à son égard. Mais, entre autres qualités, El Hadj Oumar possédait une volonté inébranlable ; il n'a jamais manqué de relever un défi, ni jamais désespéré d'une situation. Il dit à ses gens qui le pressaient de quitter la ville :
— Je resterai ici tant que je serai l'objet du mépris de tous. Et Dieu aidant, ce pays reviendra à moi ; l'attitude de Mohammadou Bello changera au point qu'il me préfèrent à sa propre tête.
Après quelques années de séjour, et grâce aux leçons qu'il donnait, El Hadj Oumar se fit une foule d'adeptes ; il en compta même parmi les ministres du sultan. L'attitude des habitants de Sokoto et de Mohammadou Bello devenait de moins en moins hostile. Les choses en étaient là quand Mohammadou Bello fut obligé d'entreprendre une expédition militaire. El Hadj Oumar qui avait à sa disposition une troupe de guerriers, offrit ses services au sultan. Celui-ci refusa. El Hadj Oumar demanda alors sur quelle châria il se basait pour l'exempter de la guerre sainte. Sur le plan juridique, c'était un piège pour Mohammadou Bello et les siens ; en effet aucun chef n'a le droit de refuser un service qu'un fidèle offre à Dieu. El Hadj Oumar posa la question par écrit au sultan et à son collège de jurisconsultes.
— Est-ce que la guerre que Mohammadou Bello va entreprendre est une guerre sainte ou une guerre pour son compte personnel? Si l'expédition est faite au titre de guerre sainte, Mohammadou Bello a-t-il le droit d'en écarter un volontaire musulman? Si elle est faite pour son compte personnel, a-t-il le droit d'y entraîner des musulmans? Quels sont les textes sur lesquels il s'appuie?
La réponse des ulémas de Sokoto fut qu'El Hadj Oumar était libre de se joindre à l'expédition.
Pour surprendre l'ennemi, l'armée voulut prendre un raccourci. Elle marchait de préférence le soir et la nuit, se fiant aux connaissances astronomiques et topographiques d'un guide. Une nuit, ce dernier se perdit et mena l'armée dans une région désertique. Après deux jours de marche, sans eau, hommes et bêtes étaient épuisés. Mohammadou Bello fit faire des prières par ses marabouts : ce fut en vain. On commença à compter des décès par la soif. Alors Mohammadou Bello, bien malgré lui, appela El Hadj Oumar à l'aide. Celui-ci accepta de faire des prières à condition que le sultan lui prêtât serment de fidélité et acceptât le chapelet de l'ordre Tidjaniya. Mohammadou Bello fut obligé de se soumettre. El Hadj Oumar pria. Une heure après, le ciel se couvrit de gros nuages et une pluie abondante tomba. L'armée fit sa provision d'eau et reprit sa marche sous la conduite occulte d'El Hadj Oumar. L'ennemi fut rejoint et battu, Mohammadou Bello revint avec un important butin.
Cet épisode créa des liens solides entre le sultan et son sauveur qui ne tarda pas à occuper une situation avantageuse dans le pays. Convaincu de la puissance et de la sainteté d'El Hadj Oumar, Mohammadou Bello lui remit un jour un document écrit par lequel il le désignait comme son successeur temporel à la tête de l'empire haoussa. En 1253 de l'hégire, le sultan mourut 13. Le conseil de Sokoto se réunit et désigna Atiq, fils d'Ousmane dan Fodio pour remplacer son frère. Au moment d'introniser Atiq, El Hadj Oumar se présenta et exhiba le document écrit par lequel Mohammadou Bello le désignait comme sultan du Haoussa. Les marabouts, pour la plupart adeptes dévoués à sa cause, voulaient prendre l'acte en considération. Mais Atiq, prévenu, réunit le conseil et demanda à avoir communication du document. El Hadj Oumar le lui montra. Atiq le prit, le lut à haute voix et dit :
— Certes, je reconnais là l'écriture de mon frère Mohammadou Bello, de son vivant chef de la famille Fodio et sultan de Sokoto. Mais le sultanat n'était pas sa propriété personnelle, c'était celle de notre père Ousmane Dan Fodio. J'y avais autant de droits que lui. Il ne pouvait disposer à sa guise de ma part d'héritage. Je refuse de reconnaître la légitimité du legs qu'il a fait par ce papier. El Hadj Oumar sentit que s'il insistait, il en résulterait une effusion de sang entre ses partisans et ceux d'Atiq. Ce dernier fut intronisé.
Le nouveau sultan fit mander El Hadj Oumar auprès de lui et lui dit :
— Il va falloir que tu quittes le pays : cela m'évitera d'avoir à te surveiller.
El Hadj Oumar comprit qu'il avait intérêt à quitter discrètement le Haoussa, plutôt que de risquer d'en être expulsé par la force. Un prétexte se présenta fort à propos. Alfa Amadou Seydou 14, frère aîné d'El Hadj Oumar arriva à Sokoto, à la recherche de son cadet qui s'éternisait dans le Haoussa. Les deux frères partirent ensemble, ce qui parut normal à tout le monde, l'incident provoqué par le testament écrit de Mohammadou Bello n'ayant pas été divulgué.

En quittant Sokoto, El Hadj Oumar se dirigea sur Hamdallay. Il était accompagné d'élèves, de partisans, de serviteurs, de femmes et d'enfants, environ un millier de personnes. Chemin faisant, il initiait à la Tidjaniya et s'assurait la sympathie des habitants des pays traversés. S'il ne put profiter de celle-ci pour revenir régler ses comptes avec Atiq, du moins son fils Amadou Cheikou, fuyant les Français en 1893, fut reçu cordialement au Haoussa.
A Hamdallay, Cheikou Amadou réserva à El Hadj Oumar le même accueil qu'à son premier passage. Mais Cheik el Bekkay avait pris ses dispositions et il avait donné ordre à tous ceux qui relevaient de son obédience de créer des difficultés au pèlerin Toucouleur. La suprématie religieuse des Kounta avait tout à craindre d'une union peule entre El Hadj Oumar et les Hamman Lobbo 15. Lorsqu'il sut El Hadj Oumar arrivé à Hamdallay, Cheik et Bekkay lui envoya un poème très élogieux terminé par ces mots :
Tu es le plus instruits des fils de captifs qu'il m'a été donné de rencontrer.
Cette façon insidieuse de l'insulter irrita El Hadj Oumar qui répondit en envoyant une lettre acerbe au chef Kounta. Ce dernier prit une feuille de papier et écrivit en tête :
— Au nom de Dieu le Clément et le Miséricordieux. O Dieu, répands tes grâces et accorde le salut à notre Seigneur Mohammed.
Au milieu de la page le mot :
— Salut.
Et en bas le mot :
— Fin.
Quand il reçut cette lettre, El Hadj Oumar comprit que c'était un méchant rébus à son intention. Il le montra à un de ses compagnons, le savant Abdoul Halim, des Ida ou Ali.
— Cheik Ahmed el Bekkay, dit ce dernier, te traite de jahil c'est-à-dire ignorant, sans-loi.
— Sur quoi te bases-tu pour donner une telle interprétation à ce rébus ?
— Sur le verset coranique suivant :

« les serviteurs du Bienfaiteur sont ceux qui marchent sur la terre modestement et qui, interpellés par les Sans-Loi répondent : salut (XXV, 63/64). »

El Hadj Oumar écrivit une seconde lettre plus violente que la première et l'adressa à Cheik el Bekkay. Ce dernier prit une nouvelle feuille de papier et y écrivit seulement :
— Au nom de Dieu le Clément et le Miséricordieux.
Ce fut encore Abdoul Halim qui expliqua le sens de cette missive à El Hadj Oumar.
— Cheik el Bekkay, dit-il, te considère comme étant Satan. Il se base sur la tradition du Prophète : « le chien se chasse avec un gourdin : Satan est un chien et la formule « au nom de Dieu le Clément et le Miséricordieux » est le gourdin qu'il faut utiliser pour le chasser. »
C'est alors que Cheik Yerkoy Talfi, condisciple de Cheik el Bekkay et adepte d'El Hadj Oumar, dit à ce dernier :
— Ne t'obstine pas à poursuivre cette polémique avec El Bekkay ; il réussira à te faire dire beaucoup de sottises et te déprécier dans l'estime des gens de bien. Laisse-moi répondre à ta place, je connais les travers de mon ancien condisciple.
Cheik Yerkoy Talfi composa alors un poème satirique connu sous le nom : « A faire pleurer Bekkay », parce que ce dernier en le lisant ne put s'empêcher de pleurer.
Amadou Amadou était devenu un garçonnet qui fréquentait beaucoup la pièce où se tenait habituellement son grand-père. Mais El Hadj Oumar ne réussissait jamais à caresser l'enfant qui se sauvait chaque fois qu'il le voyait. Un jour, Amadou Amadou, occupé à quelque jeu, ne s'aperçut pas de l'arrivée d'El Hadj Oumar. Ce dernier l'attrapa par le bras avant qu'il ait eu le temps de s'enfuir et il l'amena à Cheikou Amadou en disant:
— Oh, Cheik Amadou veux-tu parlementer entre mon nawli 16 et moi ?
Cheikou Amadou prit la main de son petit-fils qui se débattait et quand l'enfant fut calmé, il dit à El Hadj Oumar :
— Les prières que tu as formulées en tournant autour de la Kaaba et dans lesquelles tu as demandé à Dieu de te donner Hamdallay, seront exaucées aux dépens d'Amadou Amadou. Comment veux-tu qu'il te voie avec plaisir ? Mais advienne que pourra. Voici mon petit-fils, je te le confie et je te renouvelle ce que j'ai dit il y a quelques années alors que tu assistais à son baptême.
El Hadj Oumar prit la main d'Amadou Amadou et dit :
— Je te renouvelle, Cheik Amadou, mon premier dire concernant notre petit-fils.
Sentant l'hostilité sourde des partisans de Cheik el Bekkay cachés à Hamdallay et qui cherchaient à le discréditer, El Hadj Oumar prit congé et se dirigea sur Diafarabé. Amirou Mangal, très avancé en âge, n'avait pu se rendre à Hamdallay pour saluer El Hadj Oumar, dont il avait tant entendu parler. Il se rendit à Diafarabé pour le voir au passage. Très ému du long voyage et des fatigues que s'était imposé ce patriarche, un des plus vieux de l'empire du Macina 17, El Hadj Oumar lui dit :
— Que puis-je faire pour toi ?
— Je suis venu pour que tu dises sur moi la prière des morts.
El Hadj Oumar accepta. Amirou Mangal se fit faire la toilette rituelle des morts, il s'enveloppa d'un linceul puis se fit rouler dans une natte comme un cadavre. El Hadj Oumar récita sur lui les prières : ce fut son dernier acte dans le Macina au temps de Cheikou Amadou.

Sentant sa mort prochaine, Cheikou Amadou, beaucoup plus soucieux des intérêts de la Dina que des siens propres, profita d'une séance du grand conseil pour déclarer:
— Je ne suis pas immortel. La Dina n'étant pas ma propriété personnelle, je ne peux en disposer comme bon me semblerait. C'est à vous, les quarante marabouts siégeants, et à vos soixante suppléants que revient le soin de prendre toute disposition utile afin de pourvoir, le moment venu, à mon remplacement. Je vous demanderai surtout de ne pas confier ma succession spirituelle à un homme qui ferait perdre tous ses ressorts à la Dina. N'oubliez pas qu'il s'agit des intérêts de Dieu. Cherchez donc pour lui confier la direction de l'empire, celui qui vous paraîtra le plus digne par son tact, sa science, sa foi, son humilité et surtout son caractère. Discutez de cette question entre vous et faites-moi connaître votre décision. J'aimerais, je le répète, vous voir suivre un idéal plutôt qu'un homme, c'est-à-dire l'idée de Dieu et non pas Amadou Hammadi Boubou dont la présence vous est agréable et la descendance chère.
Les cent marabouts se réunirent en séance extraordinaire; après de longues discussions, ils finirent par adopter comme principe que la famille Hamman Lobbo représenterait la famille Koréichite au sein de laquelle l'imam, c'est-à-dire le chef de la Dina, sera choisi par le collège des marabouts. Ce point fixé, une liste de tous les Hamman Lobbo, de sexe masculin et majeurs, fut dressée. On procéda à des éliminations successives en tenant compte des mérites de chacun. Finalement, Ba Lobbo et Amadou Cheikou furent les deux seuls noms retenus. Si Ba Lobbo, neveu de Cheikou Amadou, était connu de tous par sa bravoure et ses largesses proverbiales, Amadou Cheikou avait pour lui la science, la dévotion, la finesse et surtout le mépris des plaisirs de la vie. On procéda à un vote et Amadou Cheikou fut élu. Alfa Nouhoun Tayrou, président de l'assemblée, déclara que sous la direction du fils aîné de Cheikou Amadou, la Dina continuerait à prospérer dans la ferveur.
Cependant, ce n'avait pas été sans un violent débat intérieur que les membres du parti militaire, fidèles à Ba Lobbo, avaient renoncé à leur candidat. Ce dernier nourrissait l'espoir de remplacer Cheikou Amadou. Le rôle militaire qu'il avait joué sous les ordres d'Alfa Samba Fouta et qu'il continuait à jouer depuis la mort de ce dernier, sa naissance, les marques de considération que Cheikou Amadou lui avait toujours témoignées, constituaient à ses yeux autant de titres pour être nommé à la tête de la Dina. Il oubliait que l'imamat est une dignité purement religieuse. Aussi, quand le résultat du vote fut proclamé, son attitude désappointée ne manqua pas d'attirer l'attention d'Alfa Nouhoun Tayrou qui s'écria :
— Les cent sont d'accord pour qu'Amadou Cheikou succède à son père. Mais si quelqu'un parmi les Hamman Lobbo a un avis différent à émettre, qu'il le fasse avant que j'aille rendre compte à Cheikou Amadou. Je sens que certains d'entre vous gardent un silence qui me parait désapprobateur.
Amadou Alfami, délégué général des marabouts de Tombouctou répondit:
— Quant à nous, bien que ne pouvant invoquer que des raisons de sentiment, nous choisissons Amadou Cheikou.
Le parti de Ba Lobbo s'abstint de toute réplique. Alors les sept doyens du grand conseil, sous la conduite d'Alfa Nouhoun Tayrou, se rendirent auprès de Cheikou Amadou et lui annoncèrent que son fils aîné avait été choisi :
— C'est parmi nos frères, ajoutèrent-ils, l'homme que nous avons désigné, sur ta demande, pour te succéder, à la tête de la Dina. Cheikou Amadou répondit avec une émotion visible :
— Quelqu'un n'a-t-il pas usé de ruse pour le faire désigner dans le but de me plaire et de réjouir mon coeur de père?
— Que Dieu sois content de toi, Cheikou Amadou. Le grand conseil n'a écouté que sa conscience. Il n'a considéré la naissance d'Amadou Cheikou qu'après avoir apprécié ses vertus, la force de son caractère, son âge et sa résistance tant physique que morale. Le conseil l'a d'abord jugé et c'est ensuite qu'il a béni le ciel d'en avoir fait ton fils aîné. La succession qu'il prendra n'est pas une coupe d'or dans laquelle les rois temporels ont coutume de se désaltérer au son des instruments et des chants licencieux pour que le grand conseil la laisse passer de père en fils, sans autre considération que le droit de naissance. Nous sommes sûrs qu'Amadou Cheikou saura préserver la Dina des malheurs que ses ennemis voudraient lui attirer. Il sera un imam véridique.
— Le grand conseil saura-t-il convaincre le pays qu'Amadou Cheikou a été choisi pour ses mérites et non parce qu'il me doit ses jours ? Saura-t-il faire taire les rancoeurs que cette désignation va soulever ? Il ne faut pas qu'après ma mort l'opinion se retourne contre mon successeur. Je préfère qu'il soit écarté plutôt que d'être un sujet de mésentente pour ses frères en Dieu.
— Le grand conseil se porte garant que rien de tel n'est à craindre. Il saurait d'ailleurs, au besoin, faire taire les rancunes personnelles au nom de l'intérêt général.
— J'ai entendu votre opinion, dit Cheikou Amadou, mais il a été depuis longtemps convenu qu'aucune décision importante concernant ma propre famille ne pourrait être prise sans consulter au préalable la famille d'Amirou Mangal.
En ce temps-là, Bouréma Amirou Mangal remplaçait son père. On lui dépêcha une commission lui enjoignant de se rendre immédiatement à Hamdallay pour une affaire importante. Bouréma quitta Dienné, où il résidait ; il passa la nuit à Koummaga et de là se rendit à Allay Amadou où se trouvait Amadou Cheikou 18. Il lui dit :
— Le conseil des anciens m'a fait appeler, mais je ne me rendrai pas à Hamdallay sans toi.
Amadou Cheikou le suivit docilement. Lorsqu'ils furent arrivés dans la ville, Cheikou Amadou réunit le grand conseil ; le doyen, s'adressant à Bouréma Amirou Mangal, prit la parole :
— Les hommes du Livre, après discussion, se sont mis d'accord pour désigner celui qui remplacera Cheikou Amadou. Mais ils voudraient connaître l'opinion des hommes du Sabre de Dienné. Nous avons choisi Amadou Cheikou, mais son père tient à demander l'avis de la famille d'Amirou Mangal ; le choix définitif en dépend.
— Les hommes du Sabre de Dienné, dont je suis le chef et le porte parole, sont heureux du choix fait par le grand conseil et ils acceptent la désignation d'Amadou Cheikou pour succéder à son père
L'accord de la famille d'Amirou Mangal vous est acquis.
Cette déclaration réglait définitivement la question ; Cheikou Amadou donna son approbation.
Ba Lobbo n'accepta pas de gaîté de coeur cette désignation qui ruinait ses espoirs. Contenant mal son dépit, il alla trouver son oncle et lui dit:
— Mon père 19, est-ce que les deux oreilles ne sont pas à la même hauteur dans le visage?
— Si, mon fils, elles le sont.
— Je me croyais ton fils au même titre qu'Amadou.
— Pourquoi en doutes-tu?
— Parce que je suis plus âgé qu'Amadou et le fait de le proclamer ton successeur viole mon droit d'aînesse. Par ailleurs, je crois que mon procréateur, ton frère, et toi aviez les mêmes droits sur la Dina, comme Amadou et moi devons en avoir.
— Détrompe-toi, mon fils, sur tous les points. Mon frère, ton père, et moi n'avions pas les mêmes droits sur la Dina. J'avais la préséance dite du samedi initial 20. Je n'étais pas le seul à l'avoir sur ton père. Tous ceux qui avaient participé à l'action de Noukouma, eussent-ils été captifs, avaient également préséance sur ton père. Pour ce qui est de la désignation de ton frère Amadou, je n'y suis pour rien. L'affaire a été discutée en dehors de moi. Les décisions du grand conseil sont sans appel : je ne suis qu'un instrument docile dont il se sert pour faire vivre et prospérer la Dina. Lui seul dirige et décide au nom de Dieu dont je ne suis, comme toi, qu'une simple créature. La Dina n'a jamais été ma propriété personnelle ni celle de ton père ; elle ne sera jamais celle d'Amadou. Ne t'en prends donc ni à lui ni à moi ; mais le moment venu, prête serment à l'imam que le grand conseil a choisi pour défendre les intérêts de Dieu lorsque je n'y serai plus.
Ba Lobbo reprit tout décontenancé :
— Je demande pardon à Dieu. En ce qui me concerne, quels conseils me donnes-tu pour que ma ligne de conduite soit irréprochable ?
Cheikou Amadou lui dit :
— Tu ne prendras jamais la tête d'une armée pour aller attaquer qui que ce soit en dehors de ton territoire. Attends l'ennemi dans ton propre pays. Ta chance est plus dans la défensive que dans l'offensive. Et lorsque le Macina sera envahi par ton adversaire et que tu ne pourras plus résister, ne te replie jamais vers le sud.
Avant de regagner Dienné, Bouréma Amirou Mangal vint prendre congé de Cheikou Amadou et lui demanda également quelques conseils sur la conduite à tenir lorsqu'il ne serait plus là pour diriger les affaires publiques.
— Voici, dit Cheikou Amadou, entre autres recommandations celles qu'il faudra suivre pour en retirer un bénéfice moral et matériel.

Bokari Hamsalla, amiiru de Ténenkou, ne voulut pas non plus repartir sans avoir reçu quelques conseils.
— Tu reproches aux MaasinankooBe, lui dit Cheikou Amadou, de vouloir chaque année un nouveau chef. Sache que la recherche de la nouveauté est inhérente à la nature humaine. Ne voudrais-tu pas toi-même avoir chaque année un nouveau commandement en plus, une nouvelle femme, de nouveaux bœufs, de nouveaux chevaux et des vêtements neufs ? Aussi, pour satisfaire les MaasinankooBe, offre leur donc chaque jour une preuve nouvelle de ta justice et de ta bonté. Comme je l'ai conseillé à Ba Lobbo, garde-toi d'aller au-devant de celui qui menacera ton pays. Attends l'armée adverse sur ton propre territoire. Quand celui-ci aura été violé, tu auras la cause belle car celui qui viole un territoire met les torts de son côté. Cette dernière remarque, ajouta Cheikou Amadou, te concerne, toi et tes fils.
Cheikou Amadou aurait donné ces conseils 21 un an ou deux avant sa mort. Il n'aurait ensuite plus pris contact avec ses conseillers et le reste de sa vie aurait été consacré uniquement aux choses du ciel.

La maladie qui emporta Cheikou Amadou ne dura pas plus de deux semaines. Jusqu'à son dernier jour, il put présider la prière, mais des hommes le soutenaient pour aller à la mosquée. Au dernier moment, étendu sur sa natte de mort, il fit venir Amadou Cheikou et lui dit en présence d'Alfa Souleymane Bari, de Dalla:
— Je voudrais qu'Alfa Nouhoun Tayrou fasse ma toilette mortuaire ; qu'il préside la prière à faire sur mon corps ; qu'il épouse ma veuve Adya 22 ; que je sois inhumé à l'endroit même où je mourrai ; qu'Alfa Nouhoun Tayrou 23 et toi Amadou, vous soyez enterrés au même, endroit que moi.
Ces dernières volontés furent rendues publiques à l'instant même et approuvées par les membres du grand conseil.
Dès que Cheikou Amadou eût rendu le dernier soupir, après avoir prononcé la double formule de profession de foi musulmane, son fils Amadou Cheikou, qui l'avait assisté, lui ferma les yeux, étendit son corps, le massa et le recouvrit d'une couverture blanche. Les autres fils et les neveux s'empressèrent alors discrètement autour de l'illustre défunt. Alfa Nouhoun Tayrou procéda à la toilette mortuaire. Le corps de Cheikou Amadou fut enveloppé de sept pièces de vêtement : un pantalon, un surtout, un bonnet, un turban 24, deux couvertures dites lifaafa 25 et une grande couverture par dessus. Quand tout fut prêt, Amadou Cheikou appela Alfa Amadou Ba, du Farimaké, et lui dit :
— Homonyme, voici le corps de ton homonyme. Son âme a été rendue à Dieu. Annonce la nouvelle aux marabouts qui attendent.
Alfa Amadou Ba franchit les quelques pas qui séparaient la chambre mortuaire de la salle du grand conseil ; il était suivi d'Amadou Cheikou et d'Alfa Tayrou.
— Mes frères, dit-il, c'est pour nous le moment de nous reporter aux versets du « Livre de la Guidance » : “quand (l'âme) remonte à la gorge (du moribond), que vous, à ce moment, vous regardez et que nous sommes plus près de lui que vous, bien que vous ne nous voyiez pas, si vous n'êtes pas à notre discrétion, que ne refoulez-vous cette âme, si vous dites vrai ? Si ce mort est parmi ceux admis à la proximité du Seigneur (à Lui) repos, parfum et jardin de délice, s'il est parmi les compagnons de la Droite, paix à toi, parmi les compagnons de la Droite (XXIII, 82-90). Paix, ajoute-t-il, à Cheikou Amadou Hamman Lobbo Aïssa 26. Paix à Cheikou Amadou Hammadi Boubou ! Paix au grand conducteur de la Dina ! Paix à notre grand témoin, pour qui nous témoignons qu'il n'a pas été dans l'insouciance d'un jour comme celui-ci ! Cheikou Amadou est mort : la corde est coupée, à Amadou Cheikou de la nouer 27.”

Les marabouts qui attendaient, prostrés, comprirent que la mort avait fait son œuvre. Ils se levèrent et sortirent de la salle, les uns pleurant doucement, les autres priant à haute voix. Amadou Cheikou, surmontant sa douleur, mais le dos déjà voûté par la charge qui allait peser sur lui, s'avança suivi d'Alfa Nouhoun Tayrou et des marabouts. Cheikou Amadou fut étendu à même la terre. C'est à ce moment qu'un envoyé vint dire aux marabouts que la veuve demandait à voir une dernière fois le corps de son époux.
— La parole est à Amadou Cheikou, dit Alfa Nouhoun Tayrou.
— Dites à ma mère, répondit Amadou, de venir faire ses adieux à mon père et qu'elle lui pardonne les torts qu'il a pu commettre à son égard.
Adya, drapée de blanc, s'avança courageusement et se tint debout près de la dépouille de Cheikou Amadou. Elle déclara d'une voix altérée par l'émotion :
— Je jure par Dieu qui m'a créée et qui connaît le terme de ma vie, que depuis mon union avec Amadou Hammadi Boubou, je ne l'ai vu étendu de la sorte. Cette position ne peut être prise que par son corps dépouillé de son âme. Ta mort, ô Amadou, père d'Amadou et grand-père d'Amadou, ne fait qu'accroître mon aversion pour ce bas monde. Va en paix, toi qui n'a jamais mangé plus que le nécessaire, qui n'a jamais dormi tout ton saoul, qui n'a jamais fait le superbe. Tu m'as toujours tenu un langage doux. Je demande à Dieu d'alléger le poids de la détresse où ta mort me plonge...
D'abondantes larmes jaillirent de ses yeux, ses mains se crispèrent sur ses flancs : elle allait défaillir. Son fils la reçut dans ses bras et la serra un moment sur sa poitrine. Adya reprit ses esprits ; elle s'excusa de sa faiblesse auprès des marabouts et regagna ses appartements d'où jaillit une rumeur de pleurs.
Après la prière funèbre, Cheikou Amadou fut enterré dans sa chambre même, à l'exemple du Prophète. Il fut couché sur le côté droit, la tête tournée vers le sud. Ce vendredi, 12 rebi 1er 1261, vingt-huitième année de la Dina, fut un jour de grand deuil pour le Macina 28. C'est après l'inhumation que la mort fut annoncée en ville. Au même instant, celle-ci retentit de cris et de lamentations. Des élégies étaient improvisées. Voici, les plus typiques :

Amadou Cheikou, après avoir dirigé les funérailles, assisté d'Alfa Nouhoun Tayrou et d'Alfa Amadou Ba, entouré de la famille Hamman Lobbo, alla s'asseoir dans la salle du grand conseil pour recevoir les condoléances d'usage. Il y resta jusqu'à une heure très avancée de la nuit du vendredi au samedi. Quand tout le monde prit congé et qu'Alfa Nouhoun Tayrou voulut en faire autant, Amadou Cheikou lui dit :
— Vénérable, j'ai à te parler. Je voudrais que tu te retires le dernier.
Quand ils furent seuls, Amadou Cheikou reprit :
— Alfa, mon père m'a dit dans ses derniers moments : ô mon fils Amadou, la charge la plus lourde qui puisse faire ployer les épaules et voûter le dos d'un honnête homme, c'est le commandement. Il donne le pouvoir, je ne dis pas le droit, de frapper, de mettre aux fers et de punir de mort. La défense du pouvoir implique parfois la nécessité de faire périr son ennemi. Les chefs sont ceux qui sont le plus portés à croire qu'ôter la vie à son prochain est indispensable pour conserver la sienne, et que violer les droits de son prochain est légitime pour sauvegarder les siens. Si tu n'es pas sûr de pouvoir faire taire ton amour-propre, brider ta colère et enchaîner ton parti-pris, je préfère que tu passes le turban à quelqu'un d'autre et que tu restes près de Dieu. Or, depuis que j'ai vu mon père mort et étendu devant nous, puis descendu dans sa tombe, j'ai fait mon examen de conscience. Je me suis reconnu beaucoup de travers. Je crains d'en arriver à croire que, par le sang de Cheikou Amadou, je suis un privilégié divin qui peut tout se permettre. Comment saurai-je quand il faut tirer le glaive ? pour quelle cause ? contre qui ? Je préférerais te passer le turban. Cheikou Amadou a demandé que tu le laves, que tu pries sur lui, que tu le remplaces dans son lit 33, et que tu sois enterré à ses côtés. Il n'en faut pas plus à mes yeux pour que tu sois tout désigné pour continuer l'oeuvre de celui que nous pleurons.
Alfa Nouhoun Tayrou sourit, malgré la tristesse qui altérait ses traits :
— Louange à Dieu, ô Amadou Cheikou, dit-il, sache que tes paroles prouvent la sagesse que Dieu t'a inspirée. Je suis convaincu que tu sauras trouver la juste mesure en tout. Avec ta conscience, tu tiendras tes engagements vis-à-vis de Dieu et des hommes. Ne te défie pas du pouvoir. Tu as hérité de ton illustre père la sagesse et l'éloquence pour exhorter le peuple à venir à Dieu. Je suis sûr que tu sauras convaincre tout le monde, amis et ennemis. Ceux qui s'éloignent du droit chemin n'éprouvent pas ce que tu viens d'éprouver et s'ils l'éprouvaient, ils manqueraient de scrupules pour le manifester. Dieu connaît ceux qui suivent la bonne direction. Mais, dès le début, nous avons pris, ton père et moi, un engagement réciproque. Lui s'est engagé à ne m'imposer aucun commandement temporel, pas même celui d'un quartier. Quant à moi, je me suis engagé à prier pour que, durant toute la vie de Cheikou Amadou, la Dina prospère et ne connaisse pas de troubles intérieurs ; à répondre à toutes les questions de droit ou de théologie qui seraient posées au grand conseil par n'importe qui de Tombouctou à Dienné ; à prévenir par mes prières toutes les calamités générales qui pourraient s'abattre sur les territoires de la Dina. Cet engagement que j'ai pris vaudra également pour toi, à condition que tu renouvelles celui que ton père avait pris à mon égard.
Amadou Cheikou accepta et c'est seulement après cette conversation qu'il se décida à prendre le commandement de la Dina. Et, tandis que le Macina faisait éclater sa douleur, des tam-tams joyeux retentissaient dans le Kalari et les pays bambara ; les Touareg de la mare de Gossi organisaient des fêtes pour remercier le ciel de les avoir débarrassés de leur plus redoutable ennemi.

Notes
1. C'est-à-dire ô gens du routa ; le pays est pris ici pour ses habitants.
2. Les autochtones du Fouta, sans distinction de race, portent le nom de FutankooBe (sing. Futanke). Les Peuls habitant le Fakala sont des Toucouleurs et des Peuls émigrés du Fouta Toro à une époque bien antérieure à la venue du premier Arɗo dans le Macina.
3. Les traditions prétendent en effet qu'Amadou Amadou vécut vingt-neuf années musulmanes, soit de 1249 (1834-35) à 1278 (1862). Mais El Hadj Oumar, qui était parti pour son pèlerinage en 1827 (d'après A. Le Chatelier, L'Islam en Afrique occidentale, 1899, p. 167) n'a pu séjourner aussi longtemps à Hamdallay, comme le montre la suite du récit. Il est vraisemblable qu'il y a eu une confusion et qu'il faut lire : il séjourna à Hamdallay jusqu'au début de l'année 1244 (fin 1828). Amadou Amadou aurait donc vécu en réalité trente-quatre années musulmanes et pris le pouvoir à 25 ans.
4. L'étiquette soudanaise recommande l'emploi du pluriel au lieu du singulier pour les possessifs entre personnes de même
âge ou de même condition sociale. Manquer à cette règle serait manquer de savoir-vivreet mériter en Peul le qualificatif de 'amboowo (qui n'aime pas partager, égoïste). Un africain parlant français et connaissant les nuances de notre langue devra donc dire, pour se conformer à l'étiquette traditionnelle : « Je te présente notre femme, en parlant de son épouse. » Les Européens non avertis ne comprennent pas toujours le véritable sens de cette façon de parler qui montre seulement combien l'égoïsme était sévèrement jugé dans l'ancienne société africaine.
5. Baboy, localité à 28 kilomètres de Hamdallay, sur la route de Bandiagara. C'est dans cette régionqu'Alfa Oumar, devenu El Hadj Oumar, périra en 1864, après la prise
du Macina.
6. Livre rédigé par Cheik Tidiani lui-même et renfermant la doctrine de la Tidjaniya.
7. Ce mot est secret et connu seulement des grand maîtres de l'ordre. C'est un nom divin qui permettrait à ceux qui le connaissent d'accomplir des prodiges. Inutile de dire qu'il ne nous a pas été révélé.
8. Mohammad ben el Arbi, El Hadj Ali el Harazimi, Ali al Tamaçni, Mohammad el Hafed, El Fadel al Moufdali al Fasi, Mohammad el Ghali ben Azouz, Cheik Rian.
9. Formule secrète pour prier Dieu afin d'être sûrement guidé dans toutes les circonstances de la vie. (Voir H. Gaden, 1935, Vie d'El Hadj Omar, Qacida en Poular, p. 13.)
10. Cité par J. Salenc. La vie d'El Hadj Omar, Bulletin du Comité d'Etudes Historiques et Scientifiques de l'A.O.F., 1916, p. 422
11. Gaden, 1935, p. 17, doute que Mariatou ait été me fille de sultan du Bornou. L'un de nous, bien placé pour en juger, estime au contraire qu'Aguibou n'aurait pu faire la superbe auprès de ses autres frères en se vantant de son ascendance maternelle, si celle-ci avait été obscure. D'autre part, il est incontestable que Makki et Aguibou furent, entre tous, chéris de leur père.
12. Ziara : tournée que font les Marabouts dans le but de recevoir des dons pieux de la part de leurs adeptes ; ces dons eux-mêmes
13. D'après Barth, Travels and Discoveries in north and central Africa, 1857-58, IV, p. 527. Mohammadou Bello mourut le 25 redjeb 1253 (25 octobre 1837). Comme El Hadj Oumar quitta Sokoto peu après et se dirigea sur Hamdallay, il dut passer pour la seconde fois dans la capitale du Macina, en fin 1837 ou début 1838.
14. Père de Tidjani, qui succéda à El Hadj Oumar.
15. Famille de Cheikou Amadou.
16. Nawli, rival, partenaire dans une compétition. Les petits-enfants sont considérés en termes de plaisanterie traditionnelle comme les rivaux de leurs grands-parents et de toutes les personnes de l'âge de leurs grands-parents.
17. En 1838, Amirou Mangal devait avoir près de 80 ans. Il mourut en 1843, et fut enterré dans sa concession à Dienné, à l'emplacement du dispensaire actuel.
18. Voir chapitre VIII, note, p. 158.
19. Ba Lobbo était fils du frère de Cheikou Amadou, donc cousin germain d'Amadou. Mais en Peul, comme dans bien d'autres langues africaines, il n'existe qu'une seule appellation pour désigner le père et les oncles paternels, une seule pour les frères et cousins paternels, une seule pour les fils et neveux. Dans le cas présent, Cheikou Amadou était chef de famille et d'après la coutume peule, c'était le plus âgé de ses fils et neveux qui devait lui succéder comme chef de famille des Hamman Lobbo. Mais ce dernier n'était pas forcément imam et chef de la Dina.
20. Voir chapitre II.
21. Ces conseils constituaient en quelque sorte le testament politique de Cheikou Amadou. S'ils avaient été suivis à la lettre, bien des événements pénibles du règne d'Amadou Amadou auraient pu être évitées.
22. Cheikou Amadou fit cette demande pour éviter qu'après sa mort on n'invoque l'exemple du Prophète pour empêcher le remariage de ses femmes.
23. Alfa Nouhoun Tayrou, dont il a été souvent question, était l'un des deux marabouts qui assistaient constamment Cheikou Amadou et ne le quittaient jamais depuis la prière du matin jusqu'à celle du soir. L'identité du second marabout est contestée. Les uns disent que C'était Dyoro Hammadi Baba, les autres Alloy Takandé, Samba Poullo, ou Alfa Hamman Samba Alfaka. Il se peut que tous ceux-ci aient été attachés successivement à la personne de Cheikou Amadou.
24. L'extrémité dit turban est toujours rejetée vers l'arrière, mais pour un mort, on la ramène sur le visage.
25. Lifaafa, couverture de laine, pliée de façon à former une sorte de capuchon.
26. C'est-à-dire Hamman Lobbo, fils d'Aissa. C'est honorer quelqu'un que de nommer sa mère, en souvenir de l'expression : Ihça (Jésus), fils de Marie.
27. Métaphore pour dire qu'Amadou Cheikou est appelé à remplacer son père
28. 19 mars 1845.
29. Allusion aux droits de ceux qui avaient été présents au samedi initial.
30. nganiima, butin de guerre.
31. Les femmes musulmanes ne devraient sortir que la nuit pour aller saluer des parents on faire des condoléances. Avant Cheikou Amadou, cette prescription coranique n'était pas appliquée chez les musulmans de la boucle du Niger, sauf dans les centres comme Dienné, Tombouctou, Tindirma. Cheikou Amadou la fit appliquer à Hamdallay.
32. Le Sabre et le Livre, c'est-à-dire le pouvoir temporel et spirituel.
33. Reprendra la femme de quelqu'un, c'est le remplacer dans son lit.

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